L’antisémitisme et la haine en ligne peuvent-ils permettre de mieux éduquer ?
La députée Michal Cotler Wunsh, élevée au Canada et éternelle optimiste, explique dans un entretien exclusif que la pandémie est l'occasion de procéder à des changements attendus
Michal Cotler-Wunsh, membre de la Knesset, est née en Israël mais elle a grandi au Canada. Elue cette année comme parlementaire sous l’étiquette du parti Kakhol lavan, l’avocate et activiste estime que la pensée et les idées en quelque sorte « étrangères » que les nouveaux immigrants peuvent offrir au pays sont très précisément ce dont a besoin Israël en cette période de crise sans précédent.
Dans un entretien-fleuve accordé dans le cadre de la série « Derrière les gros titres », qui est exclusivement offert à la communauté du Times of Israël, Cotler-Wunsh, 49 ans, repousse le sentiment largement répandu d’un système politique gelé et incapable et insiste sur le fait que – en empruntant la phrase-choc de l’ancien maire de Chicago, Rahm Emmanuel – il serait terrible de ne pas tirer parti d’une crise comme celle de la COVID-19.
Cotler-Wunsh, à la Knesset, travaille à s’attaquer à l’antisémitisme en ligne, en particulier sur les plateformes des réseaux sociaux majeurs comme Twitter et Facebook. L’essentiel, dit-elle, est de s’éloigner du débat sur la liberté d’expression pour se concentrer sur l’éducation.
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La Knesset a consacré trois audiences de commission à l’antisémitisme en ligne au cours de ces derniers mois.
« Le cœur de la discussion, ça a été de dire que, pour pouvoir prendre en charge le problème, il fallait tout d’abord le définir », dit-elle.

Twitter, Google, Facebook et TikTok, pour la troisième audience, ont rejoint les discussions. Les députés ont demandé aux entreprises non pas de censurer ou d’effacer des contenus mais bien d’éduquer.
Définir le problème, note Cotler-Wunsh, c’est d’abord commencer par se saisir de la définition de travail de l’antisémitisme qui a été mise au point par l’IHRA « qui a été adoptée par trente pays environ dans le monde entier, et qui sert de point de départ pour la conception des politiques – des politiques transparentes, qui sont aussi mises en œuvre de manière transparente. Ce sont les discussions que nous avons eues avec les plateformes », dit-elle.
Une définition claire de l’antisémitisme « est un outil très utile. Au lieu de tomber dans une discussion binaire de ‘censure vs. liberté d’expression’, on pose une question : ‘Quelle est la responsabilité des plateformes digitales ?’ C’est elles qui détiennent ce pouvoir et le pouvoir entraîne une responsabilité énorme. Elles doivent nous rendre des comptes ».
Quand des politiciens ont publié des mensonges flagrants au cours de la récente élection américaine, Twitter a assorti leurs publications de liens vers des informations correctes.
Ce n’est pas de la censure mais de « l’éducation », estime la députée israélienne.
« S’il est possible de faire ça, de rediriger, s’il est possible de ‘taguer’ [des posts contenant de la désinformation], alors on peut en effet faire une référence et dire que ‘ce contenu contrevient à la définition de travail de l’antisémitisme dont vous pourrez prendre connaissance ici’. On peut vous renvoyer vers l’IHRA et vous permettre de savoir ce qu’est l’antisémitisme. On pourrait utiliser cet outil comme un outil d’éducation plutôt que de rester dans le très facile ‘C’est de la censure !’ ou ‘Qu’est-ce que la liberté d’expression ?' », dit-elle.

La manipulation malhonnête, sur les réseaux sociaux, affecte la politique dans le monde entier et entraîne des problèmes qui vont bien-au-delà du seul spectre de l’antisémitisme. Mais la haine antijuive, dit-elle, est « réellement le canari dans la mine de charbon » qui permet aux parlementaires, en Israël et ailleurs, « de regarder quels défis sont aujourd’hui soulevés par les plateformes digitales en général ».
« Il y a ce sentiment énorme d’absence de responsabilité, et d’absence de comptes à rendre. Quel est notre rôle ? Les gouvernements doivent aussi adopter un rôle actif parce que la vérité, c’est que je ne souhaite pas que ce soit Facebook qui décide de ce à quoi ressemble la liberté d’expression ou pire, que ce soit un algorithme », continue-t-elle.
« Leur modèle commercial a fonctionné jusqu’à présent. Les réseaux sociaux n’auront aucune raison de se démener à réguler quoi que ce soit tant qu’ils n’auront aucun compte à rendre », poursuit-elle.

Cotler-Wunsh est l’une des députées les plus actives sur les sujets sur lesquels elle a été amenée à travailler – de la coordination des discussions à la Knesset sur une enquête possible de la cour pénale internationale sur les soldats et les responsables pendant la guerre de 2014 à Gaza jusqu’à sa présidence de la commission spéciale consacrée aux addictions aux stupéfiants et à l’alcool.
Elle n’a jamais cessé son activisme, même dans une Knesset soumise au carcan d’une crise politique qui dure depuis deux ans.
Les dossiers qui lui tiennent à cœur « ne disparaissent pas », note-t-elle, malgré la pandémie et les dysfonctionnements politiques. Ces problèmes urgents ne peuvent pas se permettre d’attendre que l’Etat juif trouve l’équipe politique idéale pour enfin les prendre en charge.
Cet échange dans le cadre de « Derrière les gros titres » comprend aussi un appel lancé aux immigrants par Cotler-Wunsh, en faveur de leur implication dans la politique israélienne : « La COVID-19 a créé des défis supplémentaires pour les Olim [les immigrants]. Je suis parfaitement consciente de ce qu’ils sont. »
Mais, dit-elle, les Olim font, eux aussi, partie de la solution. « Je pense que nous avons une voix importante, un point de vue important et cette très importante capacité de créer des identités hybrides ou multiples, ou encore des identités intermédiaires, les mêmes que nous mettons en avant et dont Israël a vraiment besoin. »
Et là aussi, il y a une perspective – réellement – enthousiasmante de ce que la pandémie ne soit pas seulement une tragédie, mais qu’elle soit une opportunité de changer réellement les choses.

« Tout le monde parle de revenir à la routine. Puisse Dieu nous préserver de revenir à la routine en en créant une autre », s’exclame-t-elle.
La COVID, selon elle, oblige Israël à explorer de nouvelles voies que le pays aurait dû découvrir de lui-même.
« Quand on regarde le système de l’enseignement – je suis Canadienne, le dimanche me manque – il est clair qu’Israël devrait s’orienter vers une semaine scolaire de cinq jours, alignée avec la semaine de travail, de manière à ce que les deux parents puissent travailler. Il faudrait une journée plus longue où on puisse inclure ce qu’on appelle les ‘activités parascolaires’ dans la journée de travail – qu’il s’agisse de sport, de musique ou d’art -, et il faudrait améliorer et réformer le système scolaire de manière à ce qu’il soit adapté à 2020, qu’il ne soit plus un vestige de ce qu’on croyait que l’enseignement devait être dans le passé. »
Et cela arrive d’ores et déjà « de nombreuses manières », dit Cotler-Wunsh, qui fait part de sa satisfaction. « Voyez ces groupes-capsules, ces cinq jours d’école par semaine, ces demandes faites aux enseignants d’utiliser les technologies », dit-elle.
« Je ne dis pas qu’on y est presque arrivé. Je dis que nous avons la chance d’avoir placé sous les projecteurs tout ce que nous devrions changer. C’est la même chose avec le système de soins, c’est la même chose avec tout ce qui exige des plans à long-terme », continue-t-elle.
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