Lapid, son dilemme de campagne et son discours à l’ONU sur les 2 États
Il souhaite augmenter la part des votes de Yesh Atid contre Netanyahu, sans pour autant pousser Avoda, le Meretz ou même Yisrael Beytenu sous le seuil d’éligibilité
Cette semaine, la tendance haussière du bloc Netanyahu s’est confirmée et les effets prévisibles de l’éclatement de la Liste arabe unie, alliance à majorité arabe, ont commencé à se faire sentir.
Selon notre estimation, ce bloc – le Likud et ses alliés, réunis autour du chef de l’opposition Benjamin Netanyahu – a gagné 1,2 siège au cours de la semaine, passant à 60,6 sièges, ce qui constitue sa plus forte progression hebdomadaire depuis le début de la campagne.
Suite à l’article de la semaine dernière sur les différents instituts de sondage, il convient de noter que, sur les neuf sondages effectués cette semaine, le bloc Netanyahu n’est crédité de 61 sièges ou plus que par trois d’entre eux, dont deux sondages de Direct Polls.
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Dans les sept sondages réalisés par d’autres instituts, le bloc affiche une moyenne de 60,1, et n’est crédité de 61 sièges qu’une seule et unique fois.
Avec ces précisions en tête, analysons le scrutin du point de vue du Premier ministre Yair Lapid. Examinons son discours à l’Assemblée générale des Nations unies, qui a suscité un vif débat jeudi, envisageons la manière dont il pourrait clore sa campagne et, plus important encore, le dilemme crucial auquel il est confronté et qui pourrait être déterminant pour l’issue de l’élection.
Le bloc sioniste anti-Bibi
Bien que Lapid ne soit pas le seul candidat au poste de Premier ministre parmi les partis anti-Netanyahu, il est le leader incontesté du bloc « anti-Bibi ».
Le bloc lui-même est très hétérogène sur le plan idéologique, allant du Meretz à gauche à la faction de Gideon Saar au centre-droit, et encore plus si l’on inclut le parti arabe Raam, et même Hadash-Taal. Mais pour les besoins de cet article, nous nous concentrerons sur les partis sionistes membres du bloc.
Lors des cinq dernières élections, ce bloc a oscillé autour des 50 sièges, et il est actuellement crédité d’une moyenne de 51,2, soit la moyenne de ce qu’il représente depuis quelques années.
Il convient de noter qu’avec des projections de sièges pour les partis arabes à un niveau historiquement bas (8,2 à l’heure actuelle, contre 10, 15 et 13 lors des trois derniers scrutins), on aurait pu s’attendre à ce que les estimations pour le bloc anti-Bibi soient meilleures, car cela libère mécaniquement des sièges.
Le principal enseignement de ces chiffres est que le bloc anti-Bibi a peu de chances d’aller bien au-delà de ses 51,2 sièges, comme estimé actuellement, ce qui signifie que si Yesh Atid de Lapid veut augmenter sa part, cela ne pourra se faire qu’aux détriments des autres partis du bloc.
D’un bloc unipolaire à un bloc multipolaire – et vice-versa ?
La part globale des votes du bloc anti-Bibi est restée relativement constante au cours des cinq derniers scrutins, mais sa structure a beaucoup évolué.
Lors des trois premiers suffrages récents, en 2019 et 2020, le bloc était dominé par un grand parti (l’alliance Kakhol lavan dirigée par Benny Gantz et Lapid) qui contrôlait environ les deux tiers du bloc, avec deux ou trois partis plus petits, jouant le rôle de « satellites ».
La scission de Kakhol lavan, en 2020, a changé la donne. Lors des élections de 2021, Yesh Atid de Lapid a « hérité » d’environ 50 % du parti (17 sièges sur les 33 de l’alliance), mais Kakhol lavan de Gantz n’en a remporté que huit. Les huit sièges restants se sont répartis entre quatre petits partis du bloc. Yesh Atid était clairement le plus grand parti du bloc, mais il ne contrôlait qu’un tiers des 51 sièges du bloc.
Ce n’est pas en soi un échec de la part de Lapid. En fait, il a mené une campagne exceptionnellement disciplinée et stratégiquement avisée.
Conscient du fait qu’il était un personnage clivant (bien davantage que Gantz), il a fait le calcul que la meilleure façon de développer le bloc n’était pas de s’en prendre directement aux anciens électeurs de Kakhol lavan, mais plutôt de leur permettre de se déplacer librement vers le plus petit parti du bloc avec lequel ils se sentaient le plus à l’aise.
C’est précisément ce savoir-faire stratégique qui a jeté les bases du gouvernement Bennett-Lapid.
Et maintenant quoi, pour Lapid ?
La question est de savoir ce que cela signifie pour Lapid aujourd’hui. En tant que Premier ministre sortant, faire profil bas et œuvrer à l’amélioration de la position du bloc dans son ensemble n’est pas une option.
Pour renforcer sa propre position, il lui faut réduire considérablement l’écart avec le Likud. De la même manière, sinon plus, il lui faut accroître l’écart entre Yesh Atid et le parti Kakhol lavan de Gantz, afin de s’assurer d’être le seul candidat du bloc au poste de Premier ministre.
En fin de compte, il aimerait pouvoir reproduire la structure unipolaire du bloc, en amenant Yesh Atid vers les 30 sièges. Mais comment y parvenir ?
À sa gauche, Lapid a environ 10 sièges, dont deux ou trois, au moins, sont à sa portée. Depuis Tzipi Livni en 2009, les dirigeants du bloc de centre-gauche ont dans l’ensemble réussi à siphonner les voix de gauche en se positionnant comme unique alternative à Netanyahu.
Le problème pour Lapid est que ni Avoda ni le Meretz n’évoluent bien au-dessus du seuil électoral de 3,25 %. Par conséquent, une campagne agressive visant les électeurs travaillistes plus centristes (une cible naturelle) pourrait conduire Avoda sous le seuil.
Ceci explique pourquoi il souhaitait tant qu’Avoda et le Meretz fusionnent, car cela lui aurait permis de rivaliser avec eux sans prendre de risques au niveau des voix. Leur incapacité à fusionner a clairement réduit le champs de ses possibilités.
À la droite de Yesh Atid, la situation est légèrement différente, mais tout aussi complexe. Le problème est que les électeurs les plus à droite de son bloc, selon les données disponibles, l’apprécient globalement moins que le ministre de la Défense Gantz. Et même s’il souhaite affaiblir Gantz, il devra être très prudent en briguant ces électeurs, naturellement plus sensibles à un message plus centre-droit. En outre, en les courtisant, il risque de perdre certains de ses électeurs de gauche au profit d’Avoda.
La situation compliquée de Lapid avec les électeurs d’Yisrael Beytenu est similaire à celle qu’il vit avec les électeurs travaillistes. La majorité des électeurs d’Avigdor Liberman (plus âgés, russophones) lui sont assez loyaux, mais Lapid pourrait certainement en rassembler, à la marge, notamment sur les questions de religion et d’État. Cependant, comme pour Avoda, le risque de conduire Yisrael Beytenu sous le seuil l’emporte de loin sur tout avantage potentiel.
Une stratégie de mobilisation
Lorsque Lapid examine le paysage politique, il voit donc beaucoup de problèmes et peu de solutions.
Idéalement, il pourrait prendre un siège à chacun des autres partis du bloc, ce qui serait assez pour augmenter la part du bloc, sans pour autant les pousser sous le seuil. Mais la politique n’est pas précise, et il y a souvent des imprévus. Une action même subtile et mesurée envers les électeurs travaillistes ou d’Yisrael Beytenu pourrait s’avérer trop puissante, avec des résultats désastreux.
Donc, en fin de compte, la meilleure voie pour Lapid semble être celle de la mobilisation plutôt que celle de la persuasion.
En pratique, cela signifie que, plutôt que d’essayer de persuader les électeurs de la droite ou de la gauche de Yesh Atid de le rejoindre, Lapid devrait chercher à encourager ceux qui lui sont idéologiquement proches à voter.
Par conséquent, il faut s’attendre à de grandes campagnes GOTV (get out to vote [Allez voter]) destinées à dynamiser la participation dans des régions telles que Hod Hasharon, Herzliya, Kfar Saba et Givatayim, qui ont toutes voté entre 26 et 30 % en faveur de Yesh Atid en 2021, mais où environ un tiers des électeurs n’a pas voté. Yesh Atid aurait d’autant plus à y gagner que le parti est particulièrement bon pour ce qui est des campagnes de terrain.
Bien comprendre le discours de Lapid
Tout ce contexte permet d’expliquer en grande partie la logique politique à l’œuvre derrière la mention par Lapid de la solution à deux États et d’un État palestinien dans son discours, jeudi, à l’Assemblée générale des Nations unies. (Il y avait aussi des raisons idéologiques et diplomatiques, sans aucun doute, mais pour les besoins de cette chronique, nous nous concentrerons sur la politique intérieure.)
L’attachement de Lapid à une vision à deux États est généralement perçu comme une tactique à gauche pour « cannibaliser » les électeurs d’Avoda et du Meretz, mais c’est une stratégie extrêmement risquée compte tenu de la proximité de ces partis du seuil.
Il semble peu probable qu’un candidat aussi solide et stratège lors de la dernière élection adopte une approche aussi dangereuse, au risque de servir la victoire à Netanyahu sur un plateau.
Nous assimilons plutôt la mention par Lapid de la solution à deux États à cette stratégie de mobilisation, pour susciter enthousiasme et espoir au sein du bloc, et doper le taux de participation au scrutin.
En bref, il s’agit de donner aux centristes hésitants ou qui ne votent pas (ou à ceux qui devraient être centristes) une bonne raison de se rendre aux urnes.
La question de savoir si cela va suffire à faire la différence est discutable.
Convaincre ceux qui ne votent traditionnellement pas d’exercer leur droit de vote est plus facile à dire qu’à faire, surtout après quatre suffrages consécutifs. D’autant que le risque de cannibaliser les électeurs travaillistes (et dans une moindre mesure, ceux du Meretz), et de les pousser ainsi sous le seuil, est bien réel.
Mais compte tenu des faibles marges de manœuvre dont Lapid dispose, il semble que ce soit encore sa meilleure option.
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* Déclaration complète : Les auteurs de cet article ont récemment mené un sondage pour le compte de Meretz.
Simon Davies et Joshua Hantman sont associés chez Number 10 Strategies, une société internationale de conseil en stratégie, recherche et communication, qui ont mené des sondages pour des présidents, Premiers ministres, partis politiques et grandes entreprises dans des dizaines de pays sur quatre continents.
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