« L’appel des sirènes » d’un 4e Reich se répand, prévient un expert du nazisme
Le nouveau livre de l’historien "contre-factuel" Gavriel Rosenfeld s’attaque aux craintes anciennes et nouvelles de la renaissance du Reich à notre époque

Depuis la disparition de l’Allemagne nazie, les craintes – et les ambitions – d’un prétendu « Quatrième Reich » n’ont jamais été aussi élevées qu’aujourd’hui, selon l’auteur d’un nouveau livre.
Dans « Le Quatrième Reich, : le spectre du nazisme de la Seconde Guerre mondiale à nos jours », l’historien Gavriel D. Rosenfeld présente son approche contre-factuelle de l’idée d’un nouvel empire fondé sur les idéaux nazis. Il s’agit d’une dystopie fondée sur un phénomène vieux de plusieurs décennies.
« Le cas de l’Allemagne de l’après-guerre montre clairement que les craintes occidentales d’un retour au pouvoir des nazis étaient loin d’être infondées, et que la peur de l’avènement d’un Quatrième Reich ont joué un rôle utile en rendant les gens vigilants pour se défendre contre une telle possibilité », a déclaré Rosenfeld dans un échange avec le Times of Israel.
Professeur d’histoire et d’études judaïques à l’Université Fairfield dans le Connecticut, Rosenfeld a publié des ouvrages sur des sujets tels que la
« normalisation » du nazisme et l’architecture juive sacrée après Auschwitz.
Selon l’évaluation de Rosenfeld, l’idée d’un Quatrième Reich est aujourd’hui à son apogée.
« Le Quatrième Reich traverse actuellement une nouvelle phase de normalisation », a écrit Rosenfeld, dont le dernier livre a été publié en mars. « Grâce aux bouleversements politiques tumultueux dans le monde occidental, le concept est de plus en plus universalisé. L’élection de Donald Trump, les nombreux conflits sans fin au Moyen-Orient et la crise persistante au sein de l’Union européenne ont rendu très prometteuse la perspective d’un futur Reich ».
En Europe, selon l’historien, cette perspective est soulevée par les critiques de l’Union européenne tant à gauche qu’à droite. Certains prétendent que l’Allemagne a transformé l’Union européenne en une sorte de Reich économique. Aux États-Unis, de l’autre côté de l’Atlantique, le Quatrième Reich est invoqué par des manifestants anti-Trump, dont certaines affiches et mèmes incluent des images nazies.
Le concept d’un Quatrième Reich, écrit Rosenfeld, est « invoqué en temps de crise et [s’estompe] en période de stabilité ».

Les premières grandes craintes d’un retour des nazis se sont manifestées pendant la Dénazification, période où les anciens partisans hitlériens étaient censés faire la transition « de loups-garous à démocrates », du nom d’un chapitre du livre de Rosenfeld. La menace la plus significative a été posée par un groupe clandestin d’extrême droite appelé Deutsche Revolution, dont les principaux membres comprenaient Klaus Barbie, le « boucher de Lyon ».
Le projet de Deutsche Revolution était d’infiltrer les autorités d’occupation britanniques, dans le but ultime de convaincre la Grande-Bretagne de se retourner contre la Russie. En contrepartie de son travail contre les Russes, Deutsche Revolution s’attendait à recevoir « une série de concessions alliées : notamment la fin de la dénazification, la libération des nazis des camps d’internement, le retour des territoires allemands orientaux de la Pologne et la fin des réparations économiques », explique Rosenfeld.

La menace posée par les militants de Deutsche Revolution et leur vision d’un Quatrième Reich devinrent si élevées que les Alliés lancèrent l’opération Selection Board, un raid nocturne dans lequel plusieurs milliers de soldats alliés « ont été déployés dans les zones d’occupation occidentales par temps glacial pour arrêter plus de cent suspects associés à la Deutsche revolution », écrit Rosenfeld.
Selon Rosenfeld, bon nombre des radicaux arrêtés cette nuit-là étaient d’anciens officiers des SS et de la Wehrmacht. Il y avait aussi des bureaucrates de niveau intermédiaire, les gens devaient traduire les ordres en actes et n’ont jamais été jugés à Nuremberg ou à Jérusalem.
« On peut facilement imaginer comment le complot aurait pu être plus efficace », a écrit Rosenfeld. Par exemple, si les radicaux avaient profité des tensions qui se sont développées plus tard entre l’Occident et la Russie, les objectifs de Deutsche Revolution auraient été mieux acceptés par les Allemands. Cela aurait renforcé la droite radicale, selon l’auteur.
« Une forme de vengeance fictive »
À partir des années 1960, la culture pop américaine est devenue obsédée par le mal. Selon Rosenfeld, une vague de livres sur le Quatrième Reich effraya la population tout en permettant aux lecteurs de triompher du mal incarné par l’Allemagne, de manière posthume.
« Les récits d’horreur étaient particulièrement populaires, qu’il s’agisse de possession satanique, de tueurs en série, du paranormal, de zombies ou de psychopathes », explique l’historien. « Les récits concernant le Quatrième Reich ont satisfait cet intérêt pour le mal en présentant des nazis commettant des vols, des meurtres, des agressions militaires et des génocides », poursuit-il.
Un élément central du genre du Quatrième Reich était que les lecteurs pouvaient voir « les nazis payer de leur vie les crimes qu’ils ont commis », écrit Rosenfeld. Les gens ont réussi à canaliser leur colère contre les vrais nazis qui se sont « soustraits à la justice pour leurs crimes » dans une
« forme de vengeance fictive par procuration », écrit-il.
L’auteur indique que la littérature du Quatrième Reich était étroitement liée à diffusion de la sensibilisation à la Shoah. Au cours du procès Eichmann et à travers le film, les gens ont été exposés aux aspects explicites du génocide.
Certains observateurs ont tenté d’ « universaliser » la « signification de la Shoah en élargissant sa pertinence à des sujets qui n’y sont pas liés, mais qui sont apparemment similaires», a déclaré Rosenfeld au Times of Israel.
« Par exemple, les militants de gauche, qui ont accusé les administrations Johnson et Nixon d’être un Quatrième Reich nazi en raison des crimes américains au Vietnam, [ont créé] un outil polémique et rhétorique pour sensibiliser les gens à une préoccupation actuelle », selon Rosenfeld.
Certains de ces militants « étaient motivés par leurs agendas politiques pour élucider les différences entre le génocide nazi des Juifs et les actes américains actuels ».
La politique du nazisme a occupé le devant de la scène à Skokie, dans l’Illinois, lorsque le Parti national-socialiste d’Amérique a tenté d’organiser une manifestation en plein centre-ville en 1977. La lutte des autorités de l’Illinois pour bloquer le rassemblement a abouti jusqu’au sommet de la Cour suprême des États-Unis, qui a affirmé les droits des néo-nazis à la liberté d’expression et de réunion.

« L’affaire Skokie » s’est produite vers la fin des « longues années 1970 », une époque où la clarté morale de l’immédiat après-guerre a fait place au kitsch nazi, explique Rosenfeld. Au lieu de la justice cruelle des procès de Nuremberg, les SS ont été transformés en « méchants bourreaux » et en
« symboles superficiels ».
« À mesure que la perspective d’un quatrième Reich s’internationalisait, son sens s’est universalisé », écrit l’historien. « C’est précisément au moment où cela s’est produit que les signes d’une réaction contre lui sont devenus visibles dans les efforts naissants visant à esthétiser le Quatrième Reich en le dépouillant de sa signification morale et politique ».
« Couper le son de la sirène »
Livre universitaire transdisciplinaire, « Le Quatrième Reich » a pour but de réveiller les gens sur la situation mondiale.
« La seule façon de couper la sirène d’alarme du Quatrième Reich est de connaître toute son histoire », a écrit Rosenfeld. « Bien qu’il soit de plus en plus difficile, dans notre monde actuel, rempli de fake news et de désinformation délibérée, de forger un consensus sur la vérité historique, nous n’avons d’autre choix que de la rechercher ».
Pour l’auteur américain, l’un des problèmes majeurs est que peu de gens comprennent « l’attrait historique » du Quatrième Reich. Cette compréhension est une condition préalable à la prévention. Aux États-Unis, par exemple, certaines personnes font des analogies avec un Quatrième Reich qui « exagèrent grossièrement » ce qui se passe, estime Rosenfeld.

« J’ai des sentiments mitigés sur l’utilisation d’analogies et de terminologies nazies pour critiquer la politique américaine actuelle », a-t-il confié au Times of Israel. « D’une part, invoquer le Quatrième Reich pour attaquer Donald Trump, comme l’ont fait certains militants de gauche, est une exagération totale. Ensuite, au même titre que les termes ‘nazi’ et ‘fasciste’, cela peut être considéré comme excessivement alarmiste et tomber dans le danger de ceux qui ‘crient au loup’ », a déclaré l’auteur.
Dans le même temps, « les analogies nazies, si elles sont traitées avec sobriété – c’est-à-dire de manière à exposer les différences et les similitudes – ont leur place dans l’analyse des tendances américaines ».
« D’autre part, il serait irresponsable d’ignorer le virage à droite dans la vie politique américaine (et européenne) et de ne pas examiner les façons dont il pourrait renfermer quelque chose de plus grave ».
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