L’arak produit par un Américano-palestinien salué à l’international
Le trentenaire travaille seul dans un sous-sol étroit, en utilisant des raisins fermentés de Cisjordanie, pour produire cet alcool courant qui rappelle le pastis français
Dans sa cave de Bethléem, trois petits alambics, six barils et un espace de dégustation. Nader Muaddi produit un arak artisanal d’une qualité saluée à l’international, grâce à laquelle il espère raviver l’intérêt des Palestiniens pour cette boisson traditionnelle à l’anis.
Cet homme de 35 ans travaille seul dans un sous-sol étroit, en utilisant des raisins fermentés de sa région, la Cisjordanie, pour produire cette boisson courante en Turquie et au Proche-Orient qui rappelle l’ouzo grec, le raki turc ou le pastis français.
Près de 500 bouteilles sont sorties l’an dernier de sa fabrique artisanale installée aux abords de Bethléem où, selon la tradition chrétienne, Jésus serait né.
Cette année, pour la première fois, M. Muaddi a inscrit son arak à trois prestigieuses compétitions, affrontant des centaines d’autres boissons alcoolisées du monde entier. Résultat : une médaille de bronze à Londres lors de la London Spirits Competition; l’argent à New York, l’or à Berlin et le prix de « l’Arak de l’année » dans ces deux compétitions.
Fort de cette reconnaissance internationale, l’arak de Nader Muaddi se négocie désormais à 150 shekels (36 euros) la bouteille, bien plus cher que d’autres.
« Je suis très heureux de pouvoir fabriquer cela depuis ma cave, en utilisant des produits locaux et en étant en mesure de rivaliser avec des industries qui pèsent plusieurs millions de dollars », a déclaré à l’AFP M. Muaddi.
Cet Américano-Palestinien né aux Etats-Unis affirme que l’arak y est devenu très populaire au sein de la communauté arabe.
Cet alcool se déguste lentement avec de la glace, comme un digestif lors des longs déjeuners au Moyen-Orient.
Mais l’arak consommé aux États-Unis provient essentiellement du Liban, un pays qui compte une importante communauté chrétienne et où le marché de l’alcool est dynamique.
Dans les Territoires palestiniens, où les chrétiens ne constituent plus qu’un faible pourcentage de la population et où les musulmans buvant de l’alcool sont moins nombreux en raison du Coran qui leur interdit la consommation d’alcool, le marché est restreint. En termes de production aussi : on ne compte que quelques producteurs de vins, de bières et les ventes d’alcool, comme pour les autres biens, peuvent être affectées par les soubresauts du conflit israélo-palestinien.
C’est en guise de hobby que M. Muaddi, qui travaille à plein temps pour une organisation caritative internationale, a commencé il y a dix ans à créer son propre arak à partir de livres commandés sur Amazon, alors que la popularité de cette boisson décline selon lui depuis des décennies.
Peu à peu, il a développé son breuvage en s’appuyant sur la méthode de ses ancêtres, distillant la boisson trois fois.
Aujourd’hui, il nourrit des ambitions pédagogiques : « Je souhaite apprendre aux gens comment l’arak est fabriqué et comment le fabriquer correctement », dit-il, déplorant que la qualité des araks ait souffert de la baisse d’intérêt pour cette boisson traditionnelle.
Nader Muaddi réside dans une zone sous contrôle total de l’Etat hébreu. Une route reliant deux implantations israéliennes à Jérusalem traverse la montagne sous son domicile.
Les agriculteurs qui travaillent dans la région, qu’il qualifie de « Bordeaux de Palestine » pour sa longue histoire de production de raisin et de vin, sont régulièrement menacés par les résidents d’implantations, selon M. Muaddi. « Parfois, leurs champs sont brûlés, parfois les vignes sont coupées (…). Donc parfois, c’est un peu compliqué de s’approvisionner » en raisins.
Les agriculteurs palestiniens accusent régulièrement les résidents d’implantations de détruire leurs cultures – et vice versa. Il s’agit souvent de représailles après des attaques menées contre des Israéliens, mais dans d’autres cas, ces agissements semblent n’avoir d’autre motivation que de détruire des biens palestiniens.
La production de l' »Arak Muaddi » reste à petite échelle et la livraison est tout aussi artisanale : Nader Muaddi met une caisse de six bouteilles à l’arrière de sa voiture et se rend dans une boutique à Bethléem.
Selon Steve Shahwan, qui travaille dans le magasin d’alcools Vodka & More à Bethléem, le whisky y est la principale boisson vendue mais l’arak gagne en popularité grâce à une meilleure sélection de l’offre. « L’arak est plus traditionnel. Les gens l’adorent lorsqu’ils font un grand repas. »
Les prix remportés par l' »Arak Muaddi » ont suscité de l’intérêt pour cet alcool, relève Steve Shahwan, qui a goûté récemment celui de M. Muaddi. « Je l’aime beaucoup, il est fort en goût et pur – contrairement à tous les araks que j’ai essayés dans ma vie. »
Nader Muaddi espère doper ses ventes grâce à sa nouvelle notoriété. Il vise un triplement de sa production cette année, à 1 500 bouteilles.
Mais « je ne veux pas grandir à un rythme qui compromettrait la qualité de ma boisson », dit-il. « Je me concentrerai toujours sur la qualité plutôt que sur la quantité ». « Je veux produire le meilleur arak du monde. »