L’association israélienne Matnat Haim déclare la guerre à la dialyse
Quelque 130 donneurs se sont réunis à Jérusalem le temps d'un Shabbat pour évoquer leur expérience de don de rein, grâce à l'action menée par le rabbin Yeshayahu Heber et à son amitié avec un jeune homme rencontré dix ans plus tôt - une amitié qui changera beaucoup de destins
L’histoire commence il y a dix ans, dans une salle d’hôpital de Shaare Zedek à Jérusalem, deux hommes – un jeune de 22 ans et un père de 42 ans – s’y retrouvent trois fois par semaine, quatre heures par jour. Ils sont sous dialyse. Leurs reins les ont lâchés. Ils ne filtrent plus les déchets de leur sang et ils ont besoin d’une satanée machine pour fonctionner.
Le jeune Pinchas a déjà reçu un rein, mais il en a besoin d’un autre. Sans greffe, il est condamné. Même destin pour Yeshayahu Heber, deux enfants, deux boulots : c’est un homme fatigué. La dialyse peut en théorie les maintenir en vie entre cinq et sept ans, mais elle nuit de manière rédhibitoire au système immunitaire des malades, et les vouent à mener une ‘vie’ exténuante. La vraie solution résidant dans une greffe de rein. Si la machine ne peut plus les aider, une belle amitié entre les deux hommes leurs rendra espoir.
Une belle amitié, improbable, mais rendue possible « grâce » à la maladie qui les a réunis dans cette salle de dialyse un peu morbide. L’histoire se poursuit. Trois fois par semaine, quatre heures par jour, ils se retrouvent, ils bavardent, ils tentent d’oublier qu’une machine leur pompe leur sang et leur énergie. Ils connaissent trop bien les jours sous dialyse, et les jours de récupération car le traitement leur inflige une intense fatigue.
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Jusqu’au jour oú Yeshayahu parvient miraculeusement à trouver un donneur compatible. « Et moi ? » lance Pinchas sur le ton de la plaisanterie, bien conscient qu’il doit déjà être trop tard. Si Yeshayahu reçoit un rein, Pinchas devra désormais se lier d’amitié avec cette satanée machine – trois fois par semaine, quatre heures par jour.
Mais à ces paroles, Yeshayahu se dit en voilà une bonne idée. Miraculeusement, quelques temps plus tard, il parvient, – alors qu’à l’époque, le don d’organes et les greffes ne sont pas répandus en Israël, – à trouver un donneur pour son jeune ami.
Mais il est trop tard. Deux semaines avant la greffe, Pinchas meurt. Ses reins l’ont définitivement lâché. Il a perdu la bataille.
En rentrant de l’enterrement de Pinchas, Yeshayahu, anéanti, reste seul pendant 24 heures. Il s’isole, il veut comprendre – mais il n’y a rien à comprendre. Il ne mange plus. Défait, il réfléchit longuement. Il veut changer de vie, il veut quitter ses deux boulots, avoir d’autres enfants. Il veut changer les choses. Il veut donner un nouveau sens à sa vie.
Mais surtout, il ne veut plus se rendre à l’enterrement d’un gosse de 22 ans qui n’a rien fait pour mériter ce terrible sort.
Il veut se rendre utile pour d’autres Pinchas qui peuplent ces salles d’hôpital. Il y en a à la pelle qui sont allongés en attendant que ces satanées machines épurent leur sang, trois fois par semaine, quatre heures par jour.
Il y en a à la pelle de ces salles d’hôpital où des amitiés se créent ‘grâce’ à la maladie. Où des patients doivent réfléchir au jour où leurs reins vont les lâcher aussi, où ils doivent constamment penser à leur maladie qui les ronge, eux et leurs proches, et à préparer le jour où ils ne seront plus là pour eux.
Après ces 24 heures d’isolement et de réflexion, Yeshayahu crée du jour au lendemain Matnat Haim, littéralement, le cadeau de la vie. La première année, il réussit à trouver quatre donneurs. La deuxième, huit et huit ans plus tard, il en compte 406.
406 vies changées, 406 vies sauvées, des destins croisés, des histoires improbables, où cette satanée dialyse est vaincue à plates coutures et où le greffon prend. Où la vie l’emporte et où l’espoir reprend sa place, où des enfants pourront enfin profiter normalement de leur père, où l’épouse ne deviendra pas veuve.
C’est le soulagement de milliers de personnes, des amis, des collègues, des voisins. Et des amitiés qui naissent entre les donneurs et les receveurs, grâce à celle née entre ce jeune homme et ce rabbin dans cette salle d’hôpital.
Il y a près de 6 000 patients sous dialyse en Israël. On estime que 15 % d’entre eux meurent chaque année en Israël
Voilà pourquoi, 10 ans plus tard, quelque 130 donneurs sur les 406 se sont retrouvés Shabbat dernier à l’hôtel Ramada de Jérusalem dans une atmosphère où régnaient le bon, le bien et le sentiment d’avoir eu « le privilège » comme ils disent, d’avoir pu donner la vie.
Vous devez imaginer un réfectoire rempli d’hommes et de femmes avec un rein en moins, avec des cicatrices, avec des taux de créatine à surveiller où chacun raconte son incroyable expérience. Ils sont pour deux tiers des hommes, religieux, vivant dans des villes et des kibboutzim du nord au sud du pays, dans des implantations, de Hébron à Karnei Shomron, en passant par Efrat. Il y a aussi des donneurs qui ne sont pas pratiquants, mais ils sont moins nombreux et représentent près de 5 % de l’ensemble des donneurs que compte Matnat Haim.
La salle à manger de l’hôtel est remplie d’hommes, âgés de 30 à 40 ans, pourvus de barbes blanches ou noires, courtes ou longues, coiffés d’un chapeau indiquant la dynastie à laquelle ils appartiennent. Les femmes, quant à elles, portent des foulards colorés, de longues jupes et ont mis leurs plus beaux bijoux pour participer à ce Shabbat particulièrement émouvant.
Vous devez imaginer des hommes et des femmes en parfaite santé qui ont choisi d’aller faire un séjour à l’hôpital, qui ont décidé de prendre un risque, certes minime mais un risque tout de même, pour eux et pour leur entourage, qui ont voulu eux aussi à la manière de Yeshayahu Heber, donner un nouveau sens à leur vie pour sauver d’autres Pinchas, de jeunes Pinchas, de vieux Pinchas – 406 Pinchas.
Pourquoi vouloir donner un rein ? Pourquoi pas, répondent la plupart
Ils ne sont pas tous des inconnus, les Pinchas se cachent parfois dans notre famille. Alors, une mère redonne vie à son fils en lui donnant un rein, ou bien une femme aide son mari, ou l’inverse, ou un frère à sa sœur, ou l’inverse.
Judith Abrahams, 68 ans de Rehovot qui travaille dans une boîte de pharmaceutique, fut terrifiée quand son fils voulut prendre exemple sur elle. « C’est mon fils, comment vous expliquer, » dit-elle au Times of Israël.
Ou encore un ancien député de la Knesset, dont les 12 enfants sont allés jusqu’à consulter un rabbin pour déterminer de qui des douze frères et sœurs, allait pouvoir lui donner un rein, et ainsi accomplir une double mitsva [bonne action], celle d’honorer le père et celle du ‘pikouah nefesh’, [Pikouah nefech – le concept de sauver une vie – remplace tous les autres commandements, à l’exception de trois commandements : l’interdiction du culte des idoles, l’inceste ou des relations sexuelles inappropriées, et verser le sang qui comprend son propre sang] la mitsva suprême – sauver la vie de quelqu’un et donc sauver le monde. Le droit d’aînesse l’a dans ce cas emporté et Moshe Ravitz fut ravi d’entendre des années plus tard son propre fils lui annoncer qu’il allait lui aussi à son tour accomplir cette mitzva, mais cette fois-ci pour redonner vie à un parfait inconnu.
Les Pinchas sont en effet surtout à 80 % de parfaits inconnus et en tant que donneur vous entrez alors dans la catégorie dit des « donneurs altruistes », qui n’entretiennent aucun lien avec le chanceux receveur.
Imaginez des étrangers, des personnes que vous n’avez jamais croisées et pour qui « vous êtes la solution », comme l’a si joliment souligné une donneuse d’Efrat, Rivkah Moriah, élevée dans une famille du New Hampshire où donner de soi allait de soi.
Ou encore le couple Livman, la quarantaine, vivant à Migdalim, parents de 10 enfants, qui décide chacun de donner un rein. « On a toujours fait les choses ensemble, » avaient-ils alors expliqué aux responsables de Matnat Haim.
Ou bien alors une série de coïncidences déterminée par la lecture d’un blog, par la rencontre fortuite d’un ami qui avait décidé de le faire, ou par du pur hasard comme diront certains des donneurs rencontrés par le Times of Israël à ce Shabbat. Ou un accident de voiture d’où l’on est sorti indemne et qu’on veut rendre un peu de ce cadeau de la vie qu’on a reçu par miracle alors que les grands-parents dans ce même véhicule n’en sont pas sortis indemnes.
Il y a aussi Avi Apelbaum, 34 ans, né à Anvers, qui vit à Éli avec sa femme et ses six enfants, pour qui la coïncidence a résidé dans une émission de télévision qui recueillait le témoignage d’un homme qui avait besoin d’un rein, mais qui mourra avant la transplantation, – comme Pinchas.
L’informaticien originaire de Belgique donnera finalement son rein à une autre personne, pour qui il représentait un véritable miracle. En effet, Ilanit qui vit à Ramat Aviv, ne trouvait pas de donneur compatible alors qu’elle était sous dialyse depuis 7 ans.
Toutes ces raisons qui aboutissent finalement à la prise d’un rendez-vous avec l’association basée à Givat Shaul et à la longue et fatigante myriade d’examens pour, avant tout, vérifier si l’on peut concrètement donner un rein. Plusieurs paramètres rentrent en jeu : le groupe sanguin, la morphologie, la bonne santé psychologique et physique.
Les risques de rejet existent mais grâce à la qualité des traitements immuno-suppresseurs, ils ont considérablement diminué. La survie du greffon à 10 ans est en l’occurrence supérieure à 90 %, autrement dit le taux de rejet est extrêmement faible, selon le professeur Olivier Bastien, directeur des prélèvements et de la greffe à l’Agence de la biomédecine en France.
« Mon seul critère, c’est que le ou la receveuse soit malade. »
Rivkah Moriah
L’opération de greffe requiert une à deux heures. La France a été pionnière dans le recours à la cœliochirurgie (technique chirurgicale qui permet d’opérer à partir d’une image apparaissant sur un écran, transmise par un tube muni d’une caméra optique) pour éviter une intervention trop invasive. Ainsi, il n’y a pas forcément de cicatrice, le rein peut être extrait par le vagin pour les femmes ou par le nombril pour les hommes.
Comme en France, la loi israélienne permet de donner son rein soit à un parfait inconnu, soit à une personne que l’on connaît (entourage, famille), pour éviter le trafic d’organes.
L’état d’Israël paie l’équivalent d’un mois et demi de salaire au donneur, en guise de compensation du salaire pour le temps où ils n’ont pas pu travailler.
Donner, mais à qui ?
Les donneurs peuvent toutefois poser certaines conditions. Ainsi, certains donneurs préfèrent souvent donner à un enfant plutôt qu’à un adulte. D’autres, comme Simha Abrahams, 34 ans, vivant à Jérusalem, préfèrent donner à des personnes plus âgées car justement il y en a moins qui donnent aux personnes âgées.
Avigdor de Karnei Shomron (implantation située à l’est de Kfar Saba), ambulancier à Magen David Adom, âgé de 66 ans et qui a bataillé avec son épouse Adi, plutôt réticente devant l’idée de prendre un risque en subissant une intervention, avant d’entamer la procédure, a refusé de donner son rein gauche à une fumeuse.
« Pourquoi devrais-je me soucier de sa santé, alors qu’elle ne s’en soucie pas elle-même, » s’est-il demandé.
Il n’a pas non plus voulu donner son rein à un Arabe. « Je ne pense pas qu’un Arabe m’aurait donné le sien. »
Mais Judy Singer, en charge de lever des fonds pour l’association et qui est aussi une donneuse altruiste, explique au Times of Israel qu’elle a rencontré des donneurs qui, « au contraire veulent dafka [exprès] donner à des Arabes. »
Certains donneurs, comme mentionné plus haut, donnent à 80 % à des inconnus, c’est-à-dire qu’ils n’émettent aucune ‘préférence’. Comme l’a confié en plaisantant au Times of Israël, la mère célibataire d’Efrat, « mon seul critère, c’est que le ou la receveuse soit malade. »
Ils rencontrent souvent le ou la receveuse quelques instants seulement avant l’intervention, le temps d’échanger de chaleureux et d’éternels remerciements. Mais la plupart des donneurs restent en contact – parfois de façon quotidienne – avec leur receveur.
Il faut alors imaginer l’espoir retrouvé des receveurs. La fin des souffrances, la fin de l’attente, le coup de fil tant espéré pour enfin entendre ces mots, ce sésame pour un nouveau départ : « On a trouvé un donneur compatible. » Prenez un moment pour imaginer alors ce sourire dans les yeux, figurez-vous un instant ce soulagement inestimable. Un droit au bonus, une deuxième chance, le retardement de l’heure fatidique, écartée.
« Peu m’importait de savoir qui allait recevoir mon rein, je voulais le faire pour le ‘chesed’ [bienveillance, gentillesse]. Le chesed pour le chesed, » confie Menahem Bakush, 29 ans de Shomron, père de 4 enfants et marié à Naomi rencontrée dix ans plus tôt alors qu’ils étaient tous les deux bergers.
« Pour moi, c’est comme donner son sang. » « Ce n’est pas pareil, » rétorque un autre donneur. « Si, tu donnes. C’est tout. Tu aides. C’est pareil, » insiste Menahem Bakush.
« Si tu peux aider. C’est merveilleux, » explique à son tour Dan Grunewald, 41 ans, originaire de Strasbourg et actuellement agent de voyages et étudiant en Urbanisme et en Environnement à l’université Hébraique de Jérusalem, quand le Times of Israël lui demande pourquoi il a fait ce don.
« Tu peux très bien vivre avec un rein [la journaliste qui écrit cet article vous le confirme]. Pourquoi Dieu t’en donne deux ? Un pour donner et un pour toi, » affirme ce père de quatre filles, en souriant et dont le rein a été donné à un père de deux enfants vivant à Afula.
« Aussi, si jamais, j’ai à mon tour besoin d’un rein ou si quelqu’un de ma famille en a besoin, je suis placé automatiquement en haut de la liste, » poursuit Dan, fils de Jaquot Grunewald et marié à Hila, psychologue, qui a accouché d’une adorable petite fille seulement deux mois après l’intervention de son époux.
Dan compte bientôt courir les 10 km au marathon de Jérusalem le 17 mars prochain pour faire taire l’idée qu’on ne peut pas faire du sport après avoir fait don d’un organe.
Aujourd’hui, l’association Matnat Haim fonctionne avec une équipe de six personnes, qui travaillent avec cinq hôpitaux dans le pays (Rambam à Haïfa – Beilinson à Petah Tikva – Ichilov à Tel Aviv – Hadassah Ein Kerem à Jérusalem – Soroka à Beer Sheva). Beaucoup de donneurs donnent aussi de leur temps pour témoigner de leur expérience et donner envie à d’autres personnes de suivre leurs exemples.
La religion et le don d’organes
Un des épithètes de Dieu, que l’on trouve dans le livre de Jérémie, est l’ « examinateur des reins et du cœur ».
Toujours dans la tradition juive et encore utilisé dans la vie quotidienne moderne, les reins sont le siège de l’émotion, de la pensée et de la conscience. Par exemple, l’expression « musar kilyot » en hébreu moderne (dérivé du Psaume 16:7), dénote le remord ou le regret.
Les reins peuvent également être utilisés pour décrire le navire du bonheur, selon les Proverbes 23:16-17. Et dans le Talmud, Bavli Brachot 61A, il est écrit, « L’homme a deux reins, l’un lui donne de bons conseils, et l’autre lui recommande le pire ».
En raison d’une combinaison de facteurs – y compris, selon certains, une mauvaise interprétation de la halakha [la loi juive] – les communautés juives de la Diaspora font partie des plus faibles pourcentages de donneurs d’organes.
Il faut d’abord faire une distinction entre le don d’organes effectué par un donneur en vie et par un donneur mort.
Des lois sur le prélèvement d’organes post-mortem automatique sans consentement ont récemment été votées en France et en Russie. Le Grand rabbin de Russie et le Grand rabbin Michel Gugenheim de Paris ont alors vivement recommandé aux Juifs de leurs pays de s’inscrire sur le fichier national de refus de prélèvement d’organes post-mortem sans consentement.
« Nous comprenons que les organes sont nécessaires pour une greffe. Mais les prélever à une personne contre la volonté de ses proches est inimaginable », avait déclaré le grand rabbin de Russie, Berel Lazar, cité par les agences de presse russes.
« Le corps humain, tout comme son âme, est un don de Dieu […] et nous n’avons pas le droit d’utiliser notre corps d’une mauvaise manière, ni lorsque nous vivons, ni après notre mort », avait alors souligné Lazar.
La Russie effectue très peu de greffes d’organes en comparaison avec les pays occidentaux, avec notamment moins de 2 000 opérations de ce genre effectuées en 2015, selon le quotidien officiel Rossiïskaïa gazeta.
Dans les colonnes de l’hebdomadaire juif Actualité Juive, le rabbin Michel Gugenheim nuance et précise tout d’abord les cas où le don est permis voire obligatoire.
C’est le cas du prélèvement à partir « d’un donneur vivant qui effectuerait un don d’organes [sans mettre sa vie en danger] à un proche compatible » : il s’agit d’une « grande mitsva, » dit-il.
Le deuxième concerne le don post-mortem, plus délicat. « Si tirer profit d’un défunt et ne pas l’enterrer, tombe sous le coup d’un triple interdit, celui-ci peut être repoussé par l’application de la règle selon laquelle préserver une vie humaine repousse tous les interdits de la Torah ». A la condition, toutefois précise-t-il, que le futur donneur soit identifié. Selon le Grand rabbin de Paris, il est interdit que l’organe prélevé soit conservé dans une banque pour « une utilisation ultérieure ».
Le troisième cas, est un cas-limite et problématique. Celui où l’on prélève un ou des organes d’une personne dont on est un certain de la mort imminente, mais à qui l’on doit prélever les organes de son vivant pour pouvoir ensuite les transplanter. « Dans ce cas, le principe halakhique selon lequel ‘on ne repousse pas une vie au bénéfice d’une autre vie’ l’emporte et le prélèvement est donc interdit ».
Problème, on ne peut prélever cœur et foie que du vivant d’un donneur potentiel. Ces prélèvements seraient donc systématiquement interdits, quitte à ne pas sauver la vie de personnes attendant une transplantation.
Cependant, rappelle le rabbin Gugenheim lui-même, une décision rabbinique israélienne datant de la fin des années 90 « avait donné l’autorisation de ces transplantations, ce qui avait provoqué une vive contestation de la part des plus grands décisionnaires de la Torah ». Décisionnaires ultra-orthodoxes du côté de qui le grand rabbin de Paris a généralement tendance à se ranger. Il préconise donc le « doute juridique ».
Ainsi pour éviter l’automatisme du prélèvement induit par la nouvelle disposition, et laisser ce difficile choix aux proches, le rabbin Gugenheim appelle « fermement » à s’inscrire sur le fichier national du refus. Choquant ?
Le débat n’est pas fini en Israël, notamment autour de la question centrale de la mort cérébrale. Comme le rappelle le blog Modern Orthodox, qui a produit un état des lieux du débat, assez détaillé, l’avis du rav Moshe Fenstein, un autre décisionnaire orthodoxe central, suscite le débat, le « rav Tendler, gendre du rav Fenstein et spécialiste en éthique médicale, affirme catégoriquement que son beau-père [figure éminemment respectée du monde ultra-orthodoxe, Ndlr] considérait la mort cérébrale comme mort valable et apporte comme preuve une de ses responsum (iguerot Moché, Y.D III, 132).
« Il n’y aura jamais de loi en Israël sur le prélèvement d’organes post-mortem automatique sans consentement. »
Judy Singer
Judy Singer balaie d’un revers de main cette idée : « Il n’y aura jamais de loi en Israël sur le prélèvement d’organes post-mortem automatique sans consentement. »
La loi juridique israélienne est en contradiction avec la loi juive. La mort intervient avec l’arrêt du cœur selon la Torah, tandis que la loi juridique stipule qu’elle intervient avec l’arrêt des fonctions cérébrales. L’intervalle de temps entre l’arrêt du cœur et le prélèvement des organes est trop court, et les organes ne pourront pas être utilisés pour une transplantation.
En revanche, si l’on souhaite donner ses organes après notre mort, il est possible de s’inscrire sur un registre en Israël.
« L’Eglise orthodoxe russe pourrait […] soutenir l’idée du don [d’organes] volontaire dans notre pays », avait déclaré de son côté Dimitri Perchine, qui préside la commission missionnaire du conseil du diocèse de Moscou, cité par l’agence publique RIA Novosti.
« La tradition chrétienne ne prévoit pas d’obstacle à cela », avait-il souligné.
Pour l’islam, il existe un large consensus sur la légalité religieuse de la plupart des formes de don d’organes.
Quelques exemples de victoires sur la maladie
« Si j’avais refusé de donner un rein à ma sœur, je ne pourrais plus me regarder dans la glace, » a affirmé en 2014 Richard Berry au micro de Thomas Sotto sur Europe 1. « Je suis même heureux, fier, et presque serein de la voir aujourd’hui vivre comme vous et moi. Presque comme vous et moi. »
A la question de savoir comment elle se portait depuis, l’acteur juif répond : « Elle va de mieux en mieux ! Elle va très bien, elle a une vie quasiment normale, indépendamment des médicaments qu’elle peut prendre, qui ont parfois des petites conséquences sur son état de santé global. Comme tous les greffés, elle prend des immuno-suppresseurs, de la cortisone, qui laissent quand même des petites traces à longue échéance. Mais rien à voir avec ce qu’était sa vie quand elle était en dialyse trois fois par semaine sans pouvoir boire une goutte d’eau car elle n’avait plus de reins, on les lui a supprimés il y a trente ans. »
Quand Ilai et Omri Nir sont morts dans un terrible accident de randonnée dans le Néguev, en décembre dernier, leur famille a tout de suite décidé de faire don de leurs organes.
A eux deux, ils ont pu sauver la vie de cinq patients en attente d’un cœur, de poumons, d’un foie et de reins. Un millier de personnes ont rendu hommage au père et au fils, enterrés côte à côte.
Adam Krief, 31 ans et père de trois enfants vivant à Los Angeles, a annoncé sur Facebook qu’un donneur avait été trouvé, et qu’il était en chemin pour recevoir sa greffe de moelle épinière. Les efforts pour le sauver ont été nombreux et soutenus par des stars comme Kim Kardashian, Mayim Bialik et Jason Biggs.
Adam Krief avait récemment été diagnostiqué d’une splénomégalie myéloïde, une rare forme de cancer du sang qui est généralement mortelle si une greffe de moelle osseuse n’est pas possible. Pour lui trouver un donneur, du même groupe sanguin assez rare, des recherches ont été menées dans le monde entier, notamment en Amérique du Nord, en Israël, en France et à Mexico.
Deux personnes ont pu retrouver la vue après voir reçu des cornées de l’ancien chef du Mossad Meir Dagan, qui est mort le 17 mars après un long combat contre le cancer.
Abraham Gian, âgé de 81 ans, et une femme inconnue de 70 ans ont reçu les cornées, la couche transparente qui se trouve devant l’œil.
« Nous sommes tous redevables à cet homme, et maintenant moi plus que tous, parce que je peux voir grâce à lui, j’ai espéré retrouver ma vue après des années sans avoir été capable de voir quoi que ce soit », a-t-il déclaré.
Sarah, la femme de Gian, a déclaré à la Deuxième chaîne : « Abraham est très content ; il a retrouvé la vue après deux années difficiles… C’est un monde différent pour lui ».
Deborah Sard, porte-parole du centre de transplantation d’Ichilov, avait alors déclaré qu’un nombre croissant d’Israéliens signaient des documents pour donner les organes après leurs morts.
Des chiffres et un tour d’horizon de la situation dans quelques pays
– Aux États-Unis
En avril 2015, près de 101 662 Américains étaient encore en attente d’une greffe de rein.
En 2014, 17 105 transplantations rénales ont eu lieu aux États-Unis. Parmi celles-ci, 11 570 provenaient de donneurs décédés et 5 535 de donneurs en vie, selon le rapport annuel du Département américain de la Santé et des Services de collecte d’organes et de transplantations (OPTN) et le registre scientifique des greffés (SRTR).
Statistiquement, l’attente pour une greffe de rein aux États-Unis est de 3,6 ans. Durant cet intervalle, la thérapie la plus courante est la dialyse. Il y a de graves risques de problèmes liés aux infections et d’autres complications.
Sur les 300 000 Américains sous dialyse, 50 % mourront dans les cinq ans ; 80 % meurent dans les 10 ans.
– En Israël
En Israël, il y a 31 dons pour chaque million d’Israéliens. En comparaison, aux États-Unis il y en a 90 par million de citoyens.
Il y a près de 6 000 patients sous dialyse en Israël. On estime que 15 % d’entre eux meurent chaque année en Israël. Au 1er janvier 2017, l’on dénombrait en Israël 845 personnes sous dialyse et en attente d’un rein, et 350 personnes en attente d’être sous dialyse.
– En France
Depuis 2000, le nombre de donneurs d’organes a quasiment été multiplié par 2, avec une forte augmentation des prélèvements sur des donneurs vivants (notamment des greffes de rein).
En 2015, 571 individus ont autorisé un prélèvement de leur vivant, tandis que les organes de 1 824 personnes décédées ont permis de sauver des vies.
Plus de 12 000 personnes sont en attente de greffe de rein en France.
Tout organe confondu, il y a plus de 3 000 greffes par million d’habitants en France.
En 2015, plus de 21 000 personnes étaient en attente de greffe. Là encore, le rein est l’organe le plus demandé, selon un article du Monde.
Pinchas a perdu la bataille mais il a gagné la guerre grâce au combat que Yeshayahu mène en son nom. Yeshayahu sera d’ailleurs reçu mercredi après-midi par le président Reuven Rivlin, qui encourage aussi vivement le don d’organes en Israël, et qui félicitera Matnat Haim pour avoir sauvé 406 Pinchas.
Mais le combat continue.
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