L’attente et l’espoir de la famille d’un journaliste juif américain détenu en Russie
La vie de Mikhail Gershkovich et Ella Milman a basculé en mars 2023 lorsque leur fils a été arrêté par les services secrets russes dans l'Oural lors d'un reportage pour le Wall Street Journal
« Nous n’avons pas d’autre choix, il faut être fort » : près d’un an après l’arrestation en Russie du journaliste américain Evan Gershkovich, accusé d’espionnage, ses parents comptent plus que jamais sur Joe Biden, qui a promis sa libération.
La vie de Mikhail Gershkovich et Ella Milman a basculé en mars 2023 lorsque leur fils a été arrêté par les services secrets russes à Ekaterinbourg, dans l’Oural, lors d’un reportage pour le Wall Street Journal.
Depuis, le quotidien de ces immigrés juifs venus d’Union soviétique s’articule autour de lui : plaider sa cause, lui écrire des lettres. Et attendre.
Le président américain « s’est personnellement engagé, de manière très appuyée, à faire tout ce qu’il faut pour ramener Evan à la maison et c’est formidable pour nous », déclare à l’AFP Mikhail Gershkovich, lors d’un entretien fin février.
Les Etats-Unis considèrent que le journaliste de 32 ans, qui réfute catégoriquement les accusations portées contre lui, est injustement détenu et travaillent à sa libération dans le cadre d’un échange de prisonniers.
Le président russe Vladimir Poutine s’est dit disposé à échanger le journaliste contre Vadim Krasikov, emprisonné à vie en Allemagne pour le meurtre d’un opposant tchétchène à Berlin en 2019.
Mais les efforts pour libérer Evan Gershkovich ont pris un tour plus compliqué depuis la mort en prison de l’opposant N.1 au Kremlin Alexeï Navalny qui, selon son entourage, faisait également partie d’un projet d’échange de prisonniers en cours de négociation.
Premier journaliste occidental accusé d’espionnage depuis la chute de l’Union soviétique, Evan Gershkovich encourt jusqu’à 20 ans de prison. Sans surprise, la Russie n’a jamais étayé ses accusations ni apporté publiquement d’éléments de preuve. L’ensemble de la procédure a été classée secrète et aucune date de procès n’a été communiquée.
« Entre deux mondes »
Evan et sa soeur Danielle, 34 ans, ont été élevés en parlant et en mangeant russe, en regardant des dessins animés en russe. Leurs parents, aujourd’hui sexagénaires, leur ont appris à ne jamais siffler dans la maison pour ne pas porter malheur.
« Nous naviguions entre deux mondes », raconte Danielle, dans son appartement à Philadelphie. « Celui de l’école et de l’Amérique et celui de la maison, un ailleurs ».
Désireux de découvrir le pays natal de ses parents, Evan déménage en Russie en 2017 pour le quotidien anglophone The Moscow Times. Sa mère est emballée. Son père moins, surtout face aux restrictions des libertés sous le président Poutine.
Le reporter couvre les sujets politiques mais aussi la défense d’une langue autochtone ou la mort de poissons dans une rivière de Sibérie. Après un passage par l’AFP à Moscou, il rejoint le Wall Street Journal.
En septembre 2018, peu après la Coupe du monde de football, Ella et Danielle se rendent à Moscou. Evan veut leur montrer cette capitale devenue moderne et dynamique, avec sa riche scène culturelle.
« On a tout vu à travers ses yeux, c’était merveilleux », se souvient sa mère. « Je lui ai dit ‘j’ai quitté ce pays et toi tu aimes ce pays’. Et quel changement ! J’étais heureuse pour lui ».
Quelques années plus tard, ce pays se retourne contre lui.
« Moments inattendus »
Dans sa prison moscovite, le journaliste partage sa cellule avec un autre détenu et a droit à une promenade quotidienne d’une heure, dans une petite cour.
Ses parents ont pu lui parler brièvement en mai à Moscou, dans sa prison puis lors d’une audience. « Le voir menotté, c’était dur à vivre », confie sa mère.
Evan a fait une autre apparition devant un juge la semaine dernière, dans la cage en verre réservée aux accusés. Aussi difficile soient-elles pour les Gershkovich, ces étapes judiciaires leur offrent au moins l’occasion de l’apercevoir.
« Ce sont des petits moments inattendus de réconfort », relève sa soeur Danielle. « Voir ses gestes à lui, juste se dire : ‘Oh, c’est mon frère' ».
Dans ses lettres à sa famille, le journaliste essaie de se montrer optimiste et fait preuve d’humour, il parle d’intelligence artificielle ou des romans-fleuves russes classiques qu’il passe ses journées à lire.
« Il fait de son mieux étant donné les circonstances », glisse Ella Gershkovich. Sa fille Danielle, qui travaille dans l’administration d’une université, rêve de vacances en famille au retour d’Evan. Elle lui a déjà dit qu’elle le serrera si fort dans ses bras qu’il en perdra sa respiration.
« C’est triste de voir tout le temps qu’Evan a perdu », souligne encore Danielle. « Il est innocent. Nous voulons qu’il revienne à la maison le plus vite possible. »