L’autrice israélo-néerlandaise Yael van der Wouden en lice pour le Booker Prize
La romancière tire l'inspiration de sa frustration de femme juive ayant grandi aux Pays-Bas avec l'impression que sa culture a disparu de l'espace public
Yael van der Wouden, une Israélo-Hollandaise a été pré-sélectionnée lundi pour le Booker Prize for Fiction 2024, faisant partie d’un groupe d’auteurs comprenant le plus grand nombre de femmes dans les 55 ans d’histoire du prestigieux prix littéraire.
Cinq femmes figurent parmi les six finalistes du prestigieux prix littéraire britannique Booker Prize 2024, qui récompense les œuvres de fiction en anglais, et dont la liste a été dévoilée lundi soir.
Les six finalistes, qui viennent du Royaume-Uni, du Canada, des Etats-Unis, d’Australie et pour la première fois des Pays-Bas, ont été sélectionnés au sein d’une première liste constituée de 13 romanciers.
Mme Van der Wouden est née à Tel Aviv d’une mère juive et d’un père néerlandais non juif et a grandi aux Pays-Bas. Elle a été sélectionnée pour son premier roman, The Safekeep, un drame familial qui se déroule aux Pays-Bas 15 ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Au début de l’année, Mme van der Wouden a déclaré au blog Pages of Julia que sa frustration en tant que femme juive ayant grandi aux Pays-Bas était en grande partie à l’origine de son roman.
« J’ai passé une bonne partie de ma vingtaine dans un tourbillon de frustration et de colère face à l’inexistence de l’héritage juif aux Pays-Bas. Il a été cannibalisé, démantelé et consommé par la culture néerlandaise dominante. Il y a beaucoup de yiddish en néerlandais, ce qui est très déroutant lorsque personne n’est Juif mais que tout le monde dit des mots que vous comprenez », a-t-elle déclaré.
« Il y avait des vestiges. Des synagogues vides, des maisons avec des étoiles de David, mais plus personne n’y vit… C’est comme si – non, c’est qu’une communauté entière de personnes a disparu du jour au lendemain. Et personne n’a jamais demandé où ils étaient passés ».
Yael van der Wouden's extraordinary debut sees tensions between two women reach boiling point over the course of a sweltering summer. She visited Waterstones Piccadilly to tell us more about her debut and three other novels that inspired it.
The Safekeep: https://t.co/Kck4xtVvE2 pic.twitter.com/a6fqkg6Qsl
— Waterstones (@Waterstones) July 2, 2024
Van der Wouden a expliqué qu’aux Pays-Bas, il est courant que les jeunes juifs ne sachent pas qu’ils sont Juifs jusqu’à ce qu’ils atteignent la vingtaine et que leurs grands-parents commencent à parler de leurs expériences pendant la Shoah.
Elle s’est également déclarée frustrée par le discours sur les Juifs aux Pays-Bas, qui se concentre principalement sur les victimes de la Shoah et sur le conflit israélo-palestinien.
« Il n’est jamais question du présent, des personnes qui vivent ici et de la manière dont nous faisons partie de la société », a-t-elle déclaré. « Lorsque vous parlez de quelqu’un uniquement par le prisme de son absence, vous mettez l’accent sur le fait qu’il n’a pas sa place parmi vous. »
Son roman, dit-elle, est né du désir de faire un pas en avant par rapport à la Shoah, car les excuses et la reconnaissance du rôle joué par les Néerlandais dans la génocide des Juifs ne lui semblaient pas suffisantes.
« Je voulais que ces personnages trouvent l’étape suivante, qui est à mon avis le désir. Le désir d’avoir l’autre personne autour de soi. Le désir que l’autre personne reste. Le revers de la médaille », a-t-elle déclaré, expliquant comment la dynamique se joue entre ses deux personnages principaux, Isabel, non juive, et Eva, juive.
À propos de leur sélection de The Safekeep pour le Booker Prize, les membres du jury ont déclaré avoir « aimé ce premier roman pour la façon remarquable dont il traite de l’obsession. Il navigue dans un paysage émotionnel de perte et de retour d’une manière inoubliable ».
Le président du jury 2024, l’écrivain et artiste céramiste anglais Edmund de Waal, a déclaré que cette liste était composée de « livres qui nous ont donné envie de continuer à lire, d’appeler nos amis pour leur en parler, qui nous ont inspiré pour écrire, composer de la musique… ou retourner faire de la poterie ».
Parmi les autres romans en lice figurent un roman d’espionnage, Creation Lake, de l’Américaine Rachel Kushner, qui a également été sélectionnée en 2018 ; l’histoire de la station spatiale internationale Orbital, de l’autrice britannique Samantha Harvey, qui avait déjà été sélectionnée en 2009 ; James, de l’écrivain américain Percival Everett ; Held, de l’auteure canadienne Anne Michaels ; et Stone Yard Devotional, de l’Australienne Charlotte Wood.
Le Booker est ouvert aux œuvres de fiction d’écrivains de toute nationalité, écrites en anglais et publiées au Royaume-Uni ou en Irlande entre le 1er octobre 2023 et le 30 septembre 2024.
Le lauréat sera dévoilé lors d’une cérémonie à Londres le 12 novembre, et recevra un prix de 50 000 livres sterling (60 000 euros), ouvrant souvent la voie à un succès en librairies.
Le Booker Prize est l’une des récompenses littéraires les plus prestigieuses au monde, et a contribué au succès d’écrivains comme Salman Rushdie, Margaret Atwood ou Arundhati Roy.
Le lauréat de l’année dernière était l’auteur irlandais Paul Lynch et son roman dystopique Prophet Song.