Le cabinet autorise l’enquête sur Pegasus malgré les réserves de la procureure générale
Le cabinet a ainsi accédé à la requête qui était soumise par le ministre de la Justice, Yariv Levin ; Netanyahu n'a pas pris part au vote
Carrie Keller-Lynn est la correspondante politique et juridique du Times of Israël.
Le cabinet a voté en faveur de la formation d’une commission qui examinera l’utilisation par la police des technologies de logiciel-espion, conformément à une requête qui avait été soumise par le ministre de la Justice, Yariv Levin.
Lorsque le gouvernement lui aura accordé les pouvoirs qui seront les siens, le panel sera en mesure d’examiner la conduite des forces de l’ordre et du bureau du procureur de l’État dans des dossiers relatifs à l’obtention de ce genre de cyber-outil, aux opérations de surveillance menée grâce à eux et à la collection de preuves par leur intermédiaire.
Levin a précisé que le dossier était directement lié au scandale qui a éclaboussé la police en 2022 concernant l’usage, par cette dernière, de Pegasus — un outil sophistiqué de piratage de téléphone – accédant ainsi de manière potentiellement illégale aux téléphones portables des citoyens israéliens.
« Cette affaire des logiciels-espions est l’une des plus graves à avoir été découverte ces dernières années. Trouver la vérité dans ce dossier et empêcher de nouveaux incidents similaires de violation des droits des citoyens à la vie privée est une nécessité vitale et extrêmement importante », a écrit Levin dans un communiqué, après l’approbation donnée par la commission.
Les conclusions transmises par le panel permettront d’aider à formuler une structure régulatoire régissant l’utilisation de ces outils sophistiqués « afin de renforcer la confiance du public qui a été endommagée par l’affaire Pegasus », a ajouté le bureau de Levin.
Le ministre des Finances, Bezalel Smotrich, a déclaré dimanche que son soutien à un groupe d’experts chargé d’enquêter sur l’utilisation de logiciels espions par la police se fonde sur le désir commun d’avoir des autorités chargées de l’application de la loi « fortes et indépendantes », même s’il craint que cela ne permette au gouvernement d’interférer dans des affaires en cours, notamment contre des hommes politiques.
« La nécessité de disposer d’autorités chargées de l’application de la loi ayant les mains propres et protégeant pleinement les droits civils et personnels, qui sont la clé de voûte de l’État de droit, est un besoin essentiel qui ne souffre aucune contestation », a-t-il écrit sur X.
« Si le travail de certaines des autorités chargées de l’application de la loi était entaché d’irrégularités, que cela ne se produise pas, je suis persuadé qu’il est dans l’intérêt de toutes les autorités de trouver ce fléau et de s’en débarrasser », a-t-il ajouté.
Illustrant l’opposition de la procureure-générale Gali Baharav-Miara à l’établissement du panel, le procureur-général-adjoint, Gil Limon, s’était dit inquiet à l’idée que la commission n’interfère avec des affaires en cours.
Dans un courrier envoyé la semaine dernière à Levin, la procureure-générale avait signalé que le ministre n’avait pas l’autorité nécessaire pour former une commission enquêtant sur des dossiers judiciaires actuellement traités par les tribunaux – exprimant une préoccupation toute particulière à l’idée d’une interférence du panel dans le procès pour corruption du Premier ministre Benjamin Netanyahu, qui se déroule en ce moment.
Netanyahu n’a pas pris part dimanche au vote en raison du conflit d’intérêts né de son procès pour corruption.
Selon le site d’information Ynet, l’agence de sécurité du Shin Bet et le Conseil national de sécurité s’opposent également à la mise en place de cette commission, de crainte que des « secrets opérationnels » ne soient révélés.
De son côté, la police, qui a utilisé des logiciels espions jusqu’à la publication d’un rapport intérimaire sur des cas d’abus, a fait savoir que cette commission ne ferait qu’aggraver les choses.
« En ces circonstances difficiles, notamment la lutte contre la criminalité, au sein de la communauté arabe et ailleurs, nous n’avons vraiment pas besoin d’une commission d’enquête », a déclaré un responsable de la police à Ynet, évoquant la criminalité endémique au sein des communautés arabes que la police a toutes les peines du monde à contenir.
« Cette commission aura pour effet de nous priver d’outils technologiques pendant encore de nombreux mois. Elle rendra le travail on ne peut plus difficile au sein de la division SIGINT, les gens devront prendre des avocats », a ajouté le responsable.
Des sources proches de Levin citées par le quotidien Yisrael Hayom assurent que la police pourra continuer à utiliser des logiciels espions contre la criminalité dans la communauté arabe.
« La mise en place de cette commission ne fera aucunement obstacle à l’utilisation des outils. Cette histoire a été inventée par la police pour nuire à la commission. Il a été convenu que nous n’attendrions pas les conclusions de la commission et permettrions à la police d’agir conformément à ce que la procureure générale autorise en vertu de la loi », ont déclaré les sources.
Selon des rumeurs persistantes, la police aurait eu accès à une version légèrement inférieure du logiciel espion Pegasus commercialisé par NSO Group, connue sous le nom de Saifan, pour espionner les téléphones des Israéliens.
Début 2022, le journal Calcalist a indiqué, sans preuves ni sources à l’appui, que des dizaines de personnalités israéliennes de tout premier plan – ex-directeurs de ministère, personnalités du monde des affaires, proches et associés de Netanyahu – avaient été espionnées par la police à l’aide du logiciel espion Pegasus, le tout en dehors de toute procédure judiciaire.
Les enquêtes menées par la police et le rapport intérimaire du procureur général adjoint, Amit Marari, ont conclu que les informations de Calcalist étaient erronées, aucune des 26 personnes prétendument piratées n’ayant été espionnée par la police.
Le rapport Marari a malgré tout établi une liste de critères pour encadrer l’utilisation de logiciels espions.
La police a, pour l’essentiel, cessé d’utiliser des logiciels espions, sauf cas exceptionnels et avec l’accord express de la procureure générale.
Les médias israéliens ont indiqué samedi qu’une autre société israélienne de logiciels espions, Paragon, en négociations pour vendre son logiciel à la police, avait cessé tout contact.
« Tant que durera l’enquête sur la conduite de la police, qui donnera lieu à l’émission de nouvelles directives sur le fonctionnement des outils, les mécanismes de supervision et leur contrôle, l’entreprise a décidé de suspendre tout contact », explique le courrier adressé au chef de la cyber-division de la police, selon les médias israéliens.
En annonçant en juillet la création de cette commission, Levin avait précisé qu’il la soumettrait au gouvernement afin de lui conférer des pouvoirs d’enquête « pour examiner la conduite de la police, des services du procureur et de leurs systèmes de supervision pour toutes les questions relatives à l’obtention et la collecte d’informations à l’aide de cyber-outils sur des citoyens et détenteurs de l’autorité ».
La commission d’enquête de Levin présentera ses conclusions dans les six mois suivant sa première réunion, a déclaré son cabinet.
Elle sera dirigée par le juge à la retraite Moshe Drori, ex-vice-président du tribunal de district de Jérusalem et virulent opposant aux services du procureur de l’État.
Fervent soutien du projet de refonte du système judiciaire, il a souvent et vivement critiqué l’ex-procureur général Avichai Mandelblit, qui a supervisé l’acte d’accusation contre Netanyahu.
La société de logiciels espions NSO Group, basée à Herzliya, figure sur une liste noire du gouvernement américain depuis l’année dernière.
Le logiciel espion le plus vendu par l’entreprise, Pegasus, est considéré comme l’un des outils de cybersurveillance les plus puissants du marché, capable de prendre le contrôle total du téléphone cible, télécharger les données de l’appareil et activer la caméra ou le microphone à l’insu de son propriétaire.
La société fait face à de nombreuses critiques tenant à l’utilisation de son logiciel espion par des régimes autoritaires, contre les droits de l’homme. Elle assure que son produit est destiné à aider les pays à lutter contre la criminalité et le terrorisme.