Israël en guerre - Jour 496

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Le coronavirus aggrave la précarité des migrants africains en Israël

De nombreux migrants ont perdu leurs emplois ; d'autres, qui travaillent, redoutent l'infection. Les mesures sont obscures et les soins hors de portée

Leah Hecht et d'autres bénévoles assemblent des produits alimentaires pour en faire des colis à distribuer, dans le sud de Tel Aviv, le 3 avril 2020 (Autorisation : ARDC)
Leah Hecht et d'autres bénévoles assemblent des produits alimentaires pour en faire des colis à distribuer, dans le sud de Tel Aviv, le 3 avril 2020 (Autorisation : ARDC)

Filmon, 30 ans, demandeur d’asile érythréen qui a fui son pays natal ravagé par les conflits en 2012 et qui a depuis trouvé refuge en Israël, a été en mesure de conserver son emploi dans un supermarché de la ville de Netanya, dans le centre du pays, malgré la pandémie de coronavirus. Il se considère comme « très chanceux » de pouvoir travailler à un moment où presque un quart de la main-d’oeuvre du pays – 25,8 %, selon les derniers chiffres – est dorénavant au chômage.

Mais travailler dans un magasin bondé, toute la journée, alors même que le virus continue de tuer, présente des dangers en soi. « J’ai peur de venir au travail et je sais qu’une personne testée positive au virus venait dans notre magasin. J’ai peur de tomber malade », explique Filmon au Times of Israel.

Ce n’est pas seulement l’angoisse de contracter le virus qui lui fait perdre le sommeil. En tant que demandeur d’asile n’ayant pas obtenu le statut de réfugié de la part de l’Etat, Filmon est bien conscient qu’il pourrait ne pas bénéficier des tests ou des soins médicaux d’urgence auxquels ont droit les citoyens du pays.

« Si je tombe malade, mon patron va me dire de rester chez moi. Mais disons bien ce qui va arriver – la compagnie d’assurances nationale ne va pas m’indemniser les jours où je ne vais pas travailler. Et si je perds mon emploi et que je ne peux pas payer mon loyer à temps, mon propriétaire m’expulsera, c’est sûr. Je suis terrifié à l’idée que ça puisse arriver », déclare-t-il.

Des dizaines de milliers de demandeurs d’asile provenant des pays africains et qui vivent en Israël partagent un grand nombre de ces mêmes inquiétudes. Tandis que de nombreuses informations, ces derniers jours, ont souligné le taux élevé de contagion parmi la population orthodoxe au sein de l’Etat juif, ces gros titres ont largement négligé les difficultés de la communauté de Filmon.

Selon des données de l’Autorité de la population et de l’immigration transmises en mars 2018, environ 36 000 demandeurs d’asile africains vivent actuellement au sein de l’Etat juif. La première vague d’immigration depuis l’Afrique vers le territoire israélien avait commencé en 2009. La vaste majorité des migrants – originaires d’Erythrée et du Soudan – n’ont jamais obtenu le statut de réfugié même si un grand nombre d’entre eux avaient été dans l’obligation de fuir leur pays d’origine pour échapper à la guerre et d’autres crises humanitaires.

Ils vivent actuellement en Israël avec des visas temporaires qui sont renouvelés périodiquement.

Des bénévoles du centre de développement des réfugiés africains se préparent à livrer des colis alimentaires aux demandeurs d’asile africains dans le sud de Tel Aviv, le 3 avril 2020 (Autorisation : ARDC)

Sous l’autorité du Premier ministre Benjamin Netanyahu, et dans la crainte qu’un grand nombre de migrants ne soit à la recherche de la seule démocratie de type occidental qui soit accessible dans la région, le gouvernement avait pris des mesures de plus en plus dures pour enrayer le flux des migrants – en fermant notamment la frontière avec l’Egypte que plusieurs milliers d’entre eux franchissaient chaque mois.

Il a également mené des négociations publiques ou secrètes avec d’autres nations pour permettre l’expulsion de ceux qui se trouvaient déjà au sein de l’Etat juif vers des pays tiers.

Tandis que ces pourparlers sont actuellement en suspens, l’Etat a rendu presque impossible, pour les membres de cette communauté, de passer des diplômes de l’enseignement supérieur ou d’accéder à des services sociaux ou de soins subventionnés.

Depuis longtemps dans le flou et devant affronter la peur constante de l’expulsion, un grand nombre d’entre eux ont perdu leurs emplois dans le secteur alimentaire et touristique dès l’apparition de la pandémie en Israël, le mois dernier. Au chômage, enfermés chez eux, des dizaines de milliers de migrants africains risquent dorénavant de perdre leur logement et de finir à la rue.

Alors que le gouvernement laisse les demandeurs d’asile face à leur destin, plusieurs organisations à but non-lucratif leur apportent de l’aide. Le Times of Israel s’est entretenu avec différents groupes et avec des membres de la communauté, qui ont parlé de leurs peurs pour l’avenir. Mais aussi de résilience.

Un avenir terrifiant

L’un des principaux groupes venant en aide aux demandeurs d’asile en Israël est l’ASSAF (organisation d’aide aux réfugiés et aux demandeurs d’asile en Israël). Fondée en 2007, cette ONG fournit des services psycho-sociaux et juridiques aux membres de la communauté par le biais d’une variété de projets en cours.

Tali Ehrenthal, directrice-générale de l’ASSAF (Autorisation : Asaf)

« Les répercussions de l’épidémie de coronavirus sont vraiment dramatiques lorsqu’on en vient aux demandeurs d’asile », commente Tali Ehrenthal, directrice-générale de l’ASSAF. « Ils souffrent d’une pauvreté extrême, ils étaient déjà faibles et vulnérables avant même l’apparition de ce virus. Mais nous constatons aujourd’hui une nette augmentation du nombre de personnes au sein de la communauté, qui ne travaillent plus. Selon nos évaluations, plus de 50 % ont perdu leur emploi depuis le début de l’épidémie, au début du mois dernier », ajoute-t-elle.

Contrairement aux citoyens israéliens qui peuvent prétendre à des allocations de chômage lorsqu’ils sont licenciés, les demandeurs d’asile « ne sont pas éligibles à des indemnités s’ils sont renvoyés de leur lieu de travail », poursuit Ehrenthal.

« L’argent qu’ils sont supposés avoir est placé sur un fonds de dépôt auquel ils n’ont pas accès, et ils se retrouvent donc à dépendre uniquement des bénévoles et des groupes d’aide », dit-elle, faisant référence à la Loi de dépôt.

Cette législation, entrée en vigueur en 2017, demande aux employeurs des demandeurs d’asile de soustraire 20 % de leurs salaires et de déposer la somme correspondante sur un compte auquel ils ne pourront accéder que s’ils quittent l’Etat juif.

C’est cette dure situation que doit affronter Tekleab, demandeur d’asile d’Erythrée qui a échappé à un service militaire d’une vie entière et qui est arrivé en Israël en 2011. Aujourd’hui, il réside dans le quartier Tikva, au sud de Tel Aviv, avec son épouse et leur fille qui vient de naître.

Il travaillait comme cuisinier dans un café mais il a été renvoyé il y a trois semaines lorsque l’établissement a fermé ses portes. « Ma femme n’a pas non plus de travail pour le moment et cette situation nous fait peur », explique-t-il. « D’un côté, je veux chercher un nouveau travail parce que j’ai besoin d’argent. Mais de l’autre côté, j’ai peur d’être exposé au virus et de mettre potentiellement ma famille en danger si je trouve un emploi », souligne-t-il.

Tekleab indique que l’incertitude de son avenir est « terrifiante. Je n’ai pas eu mon dernier salaire et je ne sais pas comment on va faire. Ma propriétaire m’a appelé l’autre jour et elle m’a demandé si je pourrais payer le loyer, et je lui ai répondu que je n’étais pas sûr. Si ça continue, on va avoir de gros problèmes », dit-il.

Des cas comme celui de Tekleab, avertit Ehrenthal, seront majoritaires dans quelques semaines.

« Si le gouvernement n’intervient pas rapidement, on va assister à une catastrophe humanitaire », affirme-t-elle.

« Nous estimons que dans très peu de temps, de nombreuses familles de demandeurs d’asile vont se retrouver à la rue, mendiant pour avoir de l’argent, la faim au ventre. Et nous recevons déjà des appels téléphoniques de personnes propriétaires d’appartements loués par des demandeurs d’asile et qui nous disent que ‘nous devons les jeter dehors’. »

Son organisation distribue des bons de manière à ce que ceux qui en ont besoin puissent acheter des produits alimentaires de base. Elle fournit également des aides financières et psychologiques, avec le renfort de travailleurs sociaux spécialement formés et de psychologues bénévoles.

« De nombreux migrants ont survécu aux tortures dans le Sinaï alors qu’ils venaient en Israël et ils souffrent encore des conséquences des traumatismes extrêmes qu’ils ont été amenés à vivre. La situation actuelle aggrave cet état mental problématique. S’il n’y a pas de changement immédiat, je prévois une dégradation supplémentaire de leur état psychologique », avertit Ehrenthal.

Le pouvoir de l’éducation

Senait, demandeuse d’asile érythréenne qui a fui son pays et qui est arrivée en Israël en 2012, alors qu’elle était âgée de 17 ans, travaille comme femme de ménage depuis qu’elle s’est installée dans le pays. Mère de trois jeunes enfants, elle s’est trouvée dans l’obligation d’arrêter de travailler avec l’apparition du virus.

Senait, demandeuse d’asile érythréenne (Autorisation : ARDC)

« Je me sens très triste et stressée, pour tout le monde, pour ceux qui ont perdu un être cher. Et personnellement, je subis cette crise moi aussi : Je suis inquiète pour ma famille en Erythrée, je suis inquiète de ma capacité à nourrir mes enfants et à payer mon loyer », dit-elle au Times of Israel.

Elle trouve du réconfort et une distraction dans ses études. Elle prépare le diplôme du GED depuis le mois de février auprès du centre de développement des réfugiés africains. Cette ONG dont les activités se concentrent sur l’enseignement a été fondée à Tel Aviv en 2004 et elle est depuis venue en aide à plus de 14 000 demandeurs d’asile africains.

« Nous, les demandeurs d’asile, nous souffrons beaucoup de problèmes psychologiques. En particulier les femmes comme moi, qui devons nous occuper de nos enfants pendant cette période. Nous n’avons pas de temps à investir dans des choses comme l’éducation mais, et en particulier maintenant, je le recommande vivement aux femmes de ma communauté – tentez de faire des études si vous le pouvez. Cela va changer votre vie », s’exclame-t-elle.

Leah Hecht, directrice des opérations au sein de l’association ARDC. (Autorisation : ARDC)

Leah Hecht, directrice des opérations au sein d’ARDC, explique que l’organisation a récemment mis tous ses cours en ligne de manière à ce que les étudiants puissent continuer leurs apprentissages.

Parmi les cours offerts gratuitement par l’ARDC, les cours de préparation au GED, des cours des grammaire et de codage. Le groupe utilise des logiciels comme Zoom et Google Classroom pour les leçons.

« Certaines personnes travaillent à partir de leurs téléphones et utilisent des serveurs, et les connexions internet peuvent donc être aléatoires. Mais malgré tous ces défis, les élèves ont décidé qu’ils voulaient continuer à apprendre », déclare Hecht.

Un cours en ligne pour le GED en direction des migrants africains en Israël (Autorisation : ARDC)

L’organisation a aussi élargi son travail au-delà des leçons virtuelles – en commençant récemment un projet de livraisons alimentaires. Des colis alimentaires offerts par la Shapiro Foundation (avec des contributions faites par des citoyens Israéliens) sont rassemblés et livrés par des bénévoles et Hecht prévoit que ces distributions auront lieu chaque semaine.

Parmi les bénévoles qui aident à distribuer les colis, il y a Tesfalem (Tesfit), diplômé du cours de codage de l’ARDC et interprète travaillant pour l’ONG Médecins pour les droits de l’Homme. Il est arrivé d’Erythrée en 2009 et était en train de passer brillamment un diplôme en biologie marine lorsqu’il a fui son pays.

« J’ai commencé à apprendre le codage en 2010 et j’ai décidé d’en apprendre davantage pour me spécialiser dans ce domaine. Aujourd’hui, j’apprends Javascript et quand j’aurai terminé, j’espère trouver du travail dans le secteur high-tech« , explique-t-il.

Tesfalem (à droit) et un autre étudiant en codage de l’ARDC (Autorisation : ARDC)

A travers son travail, Tesfit a réalisé qu’un grand nombre des membres de sa communauté risquaient d’attraper le coronavirus, ne comprenant pas les instructions publiées par le ministère de la Santé en hébreu et en anglais. Avec d’autres leaders communautaires, Tesfit a donc mis au point une page Facebook dans laquelle il diffuse les informations cruciales au sujet de la maladie en Tigrinya.

« Nous transmettons les informations sur la page et nous faisons des vidéos en direct, dans lesquelles nous expliquons la situation et faisons part de ce qui arrive en temps réel aux gens. C’est important d’avoir de telles vidéos parce qu’un grand nombre de demandeurs d’asile ne savent même pas lire dans leurs langues et ils ont besoin qu’on leur dise oralement les choses. Cela aide à faire survivre ma communauté », note-t-il.

S’accrocher à l’espoir

Autre ONG à se consacrer vingt-quatre heures sur vingt-quatre aux demandeurs d’asile : Hotline. Fondée en 1998, ses principales activités sont de défendre les droits juridiques des demandeurs d’asile et des migrants. Ce que l’association fait grâce à l’intervention d’experts juridiques qui viennent en aide aux immigrants dans leurs communications avec les autorités.

Shira Abbo, porte-parole de Hotline, explique que l’organisation a élargi ses horaires depuis le mois dernier. Elle a mis dorénavant en place une ligne d’urgence téléphonique qui fonctionne de neuf heures du matin à une heure du matin, tous les jours de la semaine.

L’une des principales actions du groupe, depuis l’apparition du virus, a été de renforcer le combat des demandeurs d’asile emprisonnés dans le cadre du système de détention administrative, sans procès.

« Quelqu’un peut se retrouver derrière les barreaux pour six mois pour un délit très léger, puis être soudainement transféré en détention administrative. Tout ce qui est nécessaire, c’est une décision prise par un responsable de l’Autorité de la population et de l’administration qui estime que l’individu concerné est un danger pour la société », explique-t-elle.

« A ce moment-là, il est possible d’être emprisonné pendant un an, parfois même deux. Alors nous tentons de les faire libérer et de leur fournir un avocat. Cela devient d’autant plus urgent aujourd’hui qu’il y a un risque massif de contamination dans les prisons. Ces dernières semaines, nous sommes parvenus à faire libérer sept personnes et nous représentons encore dix personnes de plus dont nous demandons, là aussi, la libération », continue Abbo.

Filmon, l’Erythréen de 30 ans, est l’un de ces demandeurs d’asile à avoir été emprisonné au sein de l’Etat juif – pendant plus d’un an, au centre de détention de Holot. Il n’avait pas été mis derrière les barreaux pour avoir commis un délit mais parce qu’il était entré illégalement dans le pays. Filmon note qu’il lui a fallu longtemps pour guérir de cette expérience de la détention après le long voyage qu’il avait effectué pour venir en Israël.

« J’ai traversé des choses difficiles, ma vie a été très dure », dit-il. « Mais tant que je me réveille le matin, que je vois la lumière du jour, ça vaut le coup. Il y a de l’espoir, je suis encore en vie ».

Filmon déclare que son quotidien – son travail au supermarché, ses lectures, ses discussions avec ses amis pendant son temps libre – sont une consolation.

« Pour le moment, je me suis trouvé une sorte de foyer ici », explique-t-il.

Mais ce foyer qu’il a trouvé parviendra-t-il à lui garantir la sécurité ?

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