Israël en guerre - Jour 368

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« Le crématorium n’arrivait plus à suivre, » un survivant du camp de Stutthof

Marek Dunin-Wasowicz, "indifférent" aux propos de Bruno Dey, l'ancien garde nazi jugé, ne souhaite ni vengeance ni excuses

Marek Dunin-Wasowicz, survivant du camp d'extermination nazi et témoin dans le procès de l'ancien garde SS Bruno Dey, lors de son interview avec l'AFP dans son appartement à Varsovie, en Pologne, le 16 juillet 2020. (Wojtek RADWANSKI / AFP)
Marek Dunin-Wasowicz, survivant du camp d'extermination nazi et témoin dans le procès de l'ancien garde SS Bruno Dey, lors de son interview avec l'AFP dans son appartement à Varsovie, en Pologne, le 16 juillet 2020. (Wojtek RADWANSKI / AFP)

Les bûchers de corps en feu dans les forêts autour du camp de concentration nazi de Stutthof hantent toujours Marek Dunin-Wasowicz, 93 ans, témoin crucial dans le procès de l’ancien garde SS Bruno Dey, qui devrait se clore jeudi à Hambourg.

Pour M. Dunin-Wasowicz, qui a passé dans ce camp allemand plusieurs mois à l’âge de 17 ans, après avoir été arrêté comme membre présumé de la Résistance polonaise, le procès à Hambourg est bien plus qu’un simple jugement visant à établir la culpabilité ou l’innocence de Dey.

« Que ce soit indirectement ou directement, il a participé à un meurtre. C’est un criminel », a déclaré à l’AFP cet ancien journaliste et écrivain, lors d’une interview accordée ce mois-ci dans son appartement de Varsovie.

M. Dunin-Wasowicz se déclare « indifférent » aux propos de Bruno Dey, ne souhaitant ni vengeance ni excuses.

Pourtant, « tenu par l’honneur », il a décidé de devenir co-plaignant dans ce procès – peut-être l’un des derniers portant sur les crimes nazis – au nom des plus de 60 000 victimes ayant péri dans ce camp et des quelques survivants encore en vie.

L’ancien prisonnier espère que son témoignage sera entendu en Allemagne, pays natal du nazisme, à une époque où la rhétorique d’extrême droite gagne du terrain en Europe.

« Nous ne voulons pas voir ces temps renaître », a-t-il insisté.

Après avoir témoigné au procès l’an dernier, il se souvient avoir été surpris lorsqu’une file s’est formée devant sa table dans la salle d’audience.

« Ils sont venus demander pardon au nom de leurs grands-pères, de leurs pères. J’ai été choqué. Je ne m’y attendais pas. Là, au cœur de l’Allemagne ! », a-t-il déclaré à l’AFP.

Bruno Dey, ancien gardien SS au camp de concentration de Stutthof, cache son visage derrière un dossier à côté de son avocat Stefan Waterkamp avant une audience de son procès le 17 juillet 2020 à Hambourg, dans le nord de l’Allemagne. (Daniel Bockwoldt / POOL / AFP)

« Il savait bien ce qui se passait »

C’est en mai 1944 que Marek Dunin-Wasowicz est arrivé dans ce camp situé sur la côte baltique, en Pologne occupée. Il s’en est échappé en février 1945.

Il ne se souvient pas de Bruno Dey, mais les archives prouvent que le garde y a servi au même moment.

Au cours du procès, Bruno Dey a affirmé n’avoir pas été directement impliqué dans la maltraitance des prisonniers, ne faisant que monter la garde sur un mirador.

Selon Marek Dunin-Wasowicz, des gardes SS comme Bruno Dey escortaient aussi les prisonniers jusqu’aux chambres à gaz et gardaient ceux qui travaillaient à l’extérieur du camp.

Selon le parquet, Bruno Dey est coupable, ayant fait partie de la machine à tuer nazie.

Une décision de 2011 contre l’ancien garde de camp John Demjanjuk a créé un précédent pour de telles poursuites. Depuis, l’Allemagne a traduit en justice d’autres ex-membres de la SS pour ce même motif.

Marek Dunin-Wasowicz rejette les explications de Bruno Dey qui affirme n’avoir pas eu le choix. Il admet ignorer ce qu’il aurait fait à sa place alors que l’alternative la plus évidente au service au camp aurait été de se voir envoyer sur le front de l’Est.

« Il savait ce qui se passait là-bas. Il ne devait pas le faire », déclare l’ancien prisonnier, jugeant par ailleurs « inexcusable » que l’Allemagne ait mis tant de temps pour juger des gens comme Bruno Dey.

La principale entrée menant au camp de concentration nazi de Stutthof à Sztutowo, en Pologne, le 18 juillet 2017. (Crédit : AP Photo/Czarek Sokolowski)

Initialement, Stutthof devait accueillir des dirigeants et des représentants de l’intelligentsia polonaise et fut le premier camp nazi construit en dehors de l’Allemagne, dès septembre 1939.

Il fut aussi le dernier camp libéré par les Alliés à la fin de la guerre en mai 1945.

Marek Dunin-Wasowicz se souvient avoir été agréablement surpris à la descente du train de marchandises transportant 900 hommes environ, dont lui.

Près du camp, il y avait de belles fleurs, une clôture colorée et des cygnes sur l’eau.

« Paradis ! », se souvient-il avoir pensé peu avant de passer par le portail du camp, connu comme « porte de la mort ».

Stutthof était alors en train de passer du statut de camp de concentration à celui de camp d’extermination, dans le cadre du plan nazi d’élimination des Juifs européens.

Le jeune homme a dû endosser l’uniforme et chausser des sabots en bois. Il a reçu un numéro – 35 461 – qui le « suivra jusqu’à la fin de (sa) vie ».

Peu après, il a suivi le conseil d’un médecin bienveillant de s’écraser un orteil pour échapper au labeur exténuant. Cela lui a permis de rester longtemps confiné à l’hôpital.

Depuis une fenêtre, il pouvait voir la chambre à gaz et le crématorium du camp.

Il se souvient avoir vu des « silhouettes » avancer vers cette chambre à gaz, se déshabiller devant et, plus tard, des prisonniers qui « sortaient les cadavres ».

« Le crématorium n’arrivait plus à suivre, alors ils ont commencé à brûler des cadavres sur des bûchers à l’extérieur du camp », juste avant sa liquidation, se souvient Marek Dunin-Wasowicz.

Des gens observent la chambre à gaz de l’ancien camp de la mort nazi de Stutthof, à Sztutowo, le 21 juillet 2020. (Wojtek RADWANSKI / AFP)

« Ils ne se sont plus jamais relevés »

En janvier 1945, il se souvient avoir entendu des premiers tirs d’artillerie. La ligne de front se rapprochait du camp. Des détenus, dont lui, ont été forcés de marcher sous escorte des SS, à travers champs, dans la neige jusqu’aux genoux.

« Quiconque n’a pu suivre, n’avait plus de force et s’est effondré, ne s’est plus jamais relevé parce que les SS les tuaient à coup de fusils », raconte-t-il.

Après avoir marché pendant deux semaines, lui et son frère ont pris la fuite.

« Je ne sais toujours pas comment j’ai réussi », se souvient-il avoir dit au prince William lors d’une visite royale au musée de Stutthof en 2017.

Marek Dunin-Wasowicz ressent un « besoin difficile et douloureux » de s’exprimer pour s’opposer « au fascisme, au néo-fascisme et à tous les autres maux qui ont eu pour conséquence l’hitlérisme et les camps de concentration ».

« Nous, prisonniers des camps de concentration, ne voulons plus que les mains se lèvent en signe de salut parce que les mains sont faites pour des poignées de main (…) Nous ne voulons pas de cris parce que nous nous souvenons des cris de la Gestapo et des SS dans les camps de concentration », insiste-t-il.

« Nous ne voulons pas que les livres soient brûlés parce qu’à l’époque, on a commencé par brûler les livres, et puis ce sont les gens qui ont été brûlés… Je vais le répéter jusqu’à la nausée, jusqu’à ce que je meure. »

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