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Analyse

Le débat sur le burkini en France met en avant une division dans sa communauté juive

Le CRIF a été très silencieux sur le sujet, ce qui a entraîné des critiques de la part des Juifs français, qu’ils soient pour et contre l’interdiction

Une Tunisiennes portant un «burkini», un maillot de bain complet conçu pour les femmes musulmanes très pratiquantes, à la plage de Ghar El Melh près de Bizerte, au nord-est de Tunis, le 16 août 2016. (Crédit: AFP/Fethi Belaid)
Une Tunisiennes portant un «burkini», un maillot de bain complet conçu pour les femmes musulmanes très pratiquantes, à la plage de Ghar El Melh près de Bizerte, au nord-est de Tunis, le 16 août 2016. (Crédit: AFP/Fethi Belaid)

JTA — Comme leurs membres, les représentants principaux des Juifs français ne sont pas connus pour laisser passer des opportunités d’exprimer leur opinion sur des sujets du débat national.

Les institutions juives en France, comme celles aux Etats-Unis, commentent régulièrement de nombreux sujets, y compris des sujets clivants qui dépassent leur domaine immédiat.

L’interdiction du burkini a constitué une exception notable.

En mai, le CRIF a soutenu les officiers de police qui avaient été accusés par des syndicalistes de brutalité envers de manifestants. Et plus tôt ce mois, le CRIF s’est exprimé contre les attaques racistes visant les Asiatiques dans Paris.

L’année dernière, lors de la cérémonie de commémoration de l’Holocauste, le Grand rabbin de France Haim Korsia a incité le gouvernement à traiter les migrants du Moyen Orient selon les valeurs « d’humanisme, d’universalité et de partage », une déclaration qui en a agacé plus d’un dans une communauté et un pays traumatisés par les attaques terroristes de musulmans radicaux.

Pourtant, ces mêmes représentants sont restés soit silencieux soit ambigus dans un débat très polarisant sur une question avec des implications immédiates sur les Juifs français : l’interdiction imposée par 30 municipalités contre le burkini, qui est utilisé par des femmes musulmanes ferventes parce qu’il correspond à leur conception religieuse de la pudeur féminine.

Le 26 août, le Conseil d’Etat a déclaré les interdictions illégales en créant une jurisprudence pour d’autres municipalités.

Alors que presque tout le monde en France, et dans le reste du monde, a formulé une opinion sur le burkini, le CRIF a résisté aux appels à exprimer une position pendant environ un mois. Le CRIF a gardé le silence même après que son homologue britannique, le Conseil des Assistants, ait qualifié l’application de l’interdiction à Nice « de harcèlement policier ».

Ce n’est que la semaine dernière que le président du CRIF Francis Kalifat a finalement abordé la question, mais sans adopter une position claire. Il a appelé à une loi qui distingue les vêtements et les symboles véritablement religieux de ceux qui sont utilisés à des fins politiques.

De nombreux Juifs français voient cette ambiguïté comme un compromis nécessaire entre la liberté religieuse et la sécurité nationale. Mais la déclaration du CRIF a agacé les Juifs à travers tout le spectre politique et communautaire.

Pour certains, l’incapacité de défendre avec force les droits de la minorité religieuse a montré l’infirmité morale des dirigeants juifs et a ouvert la porte à des actions contre les Juifs qui portent des vêtements distinctifs.

Selon cette critique libérale des représentants, les dirigeants juifs ont mis de côté des principes civiques importants uniquement pour éviter d’avoir à déplaire aux membres les plus à droite de la communauté et à un gouvernement qui est perçu comme un soutien des intérêts communautaires.

D’autres voix étaient mécontentes que le CRIF n’ait pas défendu fermement l’interdiction qui avait pour but, selon le gouvernement, de contrer l’islam radical qui menaçait la viabilité des Juifs français. Beaucoup de ces voix critiques affirment depuis longtemps que les responsables de la communauté vivent dans une tour d’ivoire coupée de la sinitre réalité de la violence antisémite.

Le seul rabbin français important qui s’était clairement prononcé en soutien de l’interdiction, Moshe Sebbag, a ensuite fait machine arrière, en affirmant que les citations données au JTA ont été « prises en dehors du contexte ».

Les rabbins Yechiel Eckstein, à gauche, et Moshe Sebbag à la Grande Synagogue de Paris, le 27 juin 2016 (Crédit : Cnaan Liphshiz / JTA)
Les rabbins Yechiel Eckstein, à gauche, et Moshe Sebbag à la Grande Synagogue de Paris, le 27 juin 2016 (Crédit : Cnaan Liphshiz / JTA)

La volte-face de Sebbag, le rabbin en chef de la Grande synagogue de Paris, reflète le dilemme qui se pose aux dirigeants juifs, sous pression interne de la part des deux camps sur le débat du burkini.

« La question du burkini a divisé la nation, et ses Juifs », a déclaré Yeshaya Dalsace, un célèbre rabbin français conservateur de Paris. Il a dénoncé l’interdiction d’un costume de bain comme « une interdiction ridicule qui diminue la crédibilité de l’Etat », même s’il a concédé que le port du burkini est parfois une « affirmation politique ».

Tandis que les divisions peuvent « expliquer » le silence des dirigeants des Juifs français, cela « ne démontre pas un grand courage », a déclaré Dalsace, un rabbin progressiste et critique de longue date des dirigeants des Juifs de France.

Pour Bernard Rozes, chroniqueur du site d’information Causeur, le « silence ambigu » des Juifs français, comme il le définit, sur la question du burkini est un « paradoxe » puisque les Juifs religieux portent des vêtements similaires au burkini.

La logique juive en France de s’adapter au communautés de la Diaspora, affirme-t-il, signifie adopter l’idéal local de la laïcité, une séparation stricte entre la religion et l’état au point d’interdire la religion dans le domaine public. Pour les Juifs français, « l’état est la loi », a écrit Rozes dans une chronique du 30 août.

Mais il y a peut-être des raisons plus spécifiquement politiques pour expliquer pourquoi les dirigeants français restent en dehors du débat sur le burkini.

Manuel Valls, le 22 mai à Tel Aviv (Crédit : Marine Crouzet/ Ambassade de France en Israël)
Manuel Valls, le 22 mai à Tel Aviv (Crédit : Marine Crouzet/ Ambassade de France en Israël)

La critique sur l’interdiction du burkini par les dirigeants juifs serait embarassante pour le Premier ministre français, Manuel Valls, qui soutient l’interdiction comme une mesure contre l’islam radical et qui est considéré comme l’un des dirigeants français les plus pro-Israël et pro-Juifs français de l’histoire récente.

Pourtant, le silence des représentants juifs français sur l’interdiction du burkini a un prix : cela les éloigne des musulmans français. Avec la radicalisation et les attaques des laïques et de l’extrême droite sur les coutumes religieuses communues comme l’abattage rituel ou la circoncision, la coopération interreligieuse est perçue par beaucoup comme plus nécessaire que jamais.

Le site d’information Presse musulmane est parmi les nombreuses publications qui interpellé les Juifs français sur leur position, ou leur manque de position, au sujet du burkini.

« Quelle est la différence entre un vêtement traditionnel musulman et juif pour les femmes ? » a demandé le site d’information dans une lettre ouverte du 29 août. « Pourquoi un groupe est-il autorisé à montrer des signes religieux quand un autre ne l’est pas ? »

Au final, le silence des Juifs français n’est pas lié à de l’hostilité envers les musulmans ni à de la fidélité envers l’état, mais à un conflit interne sur la question, a déclaré Dalsace, le rabbin conservateur, dont la sœur orthodoxe juive se baigne dans un maillot de bain rappelant la burkini.

Parmi les Juifs français, le conflit va au-delà de la division en blocs comme les progressistes contre les traditionalistes, la gauche ou la droite, a déclaré Dalsace.

Certains laïques de gauche soutiennent l’interdiction parce qu’ils considèrent la pudeur religieuse comme un retour en arrière. Certains Juifs ultra-orthodoxes, dans le même temps, ont peur d’une domination musulmane, mais sont également inquiets qu’une interdiction fasse jurisprudence et conduise à interdire leur propre tenue.

« La communauté est divisée, tout comme le sont les individus qui la forment, a déclaré Dalsace. Quant à moi, je suis déchiré entre le désir d’avoir un pays dans lequel les coutumes religieuses sont respectées et défendues, et le désir de vivre dans un pays dont les habitants ne vivent pas dans l’ombre du djihadisme. »

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