Le fils d’un Juif grec réfugié de la Shoah, bientôt dirigeant du Congo ?
Moise Katumbi ambitionne d'être président, est considéré comme un réformateur dans un pays troublé ; bien qu'il ne s'identifie pas comme juif, il est proche du judaïsme et d'Israël
JTA – Comme beaucoup de politiciens puissants en Afrique, Moise Katumbi cumule les titres. Il est largement considéré comme le chef de l’opposition de sa République démocratique du Congo natale, et il est le président de son équipe de football TP Mazembe, qui est l’une des meilleures d’Afrique.
Aujourd’hui, Katumbi est également plus proche que jamais de devenir le premier dirigeant africain descendant d’un réfugié de la Shoah.
Le père de Katumbi, Nissim Soriano, était un juif grec qui a fui l’île de Rhodes pour s’installer au Congo dans les années 1930, alors que c’était encore une colonie belge. Soriano a bâti un empire de la pêche et a épousé la fille d’un chef local, Mwata Kazembe XIV Chinyanta Nakula, avec qui il a eu deux enfants.
Katumbi, qui a déclaré à plusieurs reprises qu’il voulait devenir président, a forgé une union politique cruciale le mois dernier avec son ancien rival Jean-Pierre Bemba. Cette union a permis à Katumbi, ancien gouverneur régional, de devenir le deuxième homme politique le plus important derrière le seul président Felix Tshisekedi.
Katumbi ne se définit pas comme juif, « mais il a une connexion chaleureuse avec le judaïsme et Israël », a déclaré Menachem Margolin, un rabbin basé à Bruxelles qui est devenu un confident proche de Katumbi depuis 2018.
Dans ses discours publics, l’homme politique africain se réfère fréquemment à ses racines juives, s’appelant même « le Moïse du Katanga, revenu pour diriger son peuple ». Katumbi était le gouverneur du Katanga, l’une des 21 provinces du pays et de loin la plus riche en minerais.
Margolin, le directeur de l’Association juive européenne (AJE) basée à Bruxelles, né en Israël, a déclaré que sa relation avec Katumbi a commencé « parce que je suis un rabbin », mais il a refusé de s’étendre, invoquant son besoin de préserver la vie privée de ceux qui l’approchent en sa qualité de rabbin.
La semaine dernière, M. Katumbi a été invité à devenir Premier ministre ou à nommer un de ses alliés à ce poste, selon The Africa Report. Finalement, il s’est rallié à Jean-Michel Sama Lukonde Kyenge, le directeur-général du géant minier public Gécamines.
Katumbi a souhaité à Sama Lukonde « tout le succès possible dans ses lourdes responsabilités, parmi lesquelles la paix et la sécurité pour tous les Congolais restent le défi majeur ».
Katumbi, qui a refusé d’être interviewé pour cet article, avait passé trois ans en exil à Bruxelles, où il a rencontré Margolin, avant son retour au Congo en 2019.
Katumbi a dû fuir parce que les procureurs de la capitale, Kinshasa, avaient émis un mandat d’arrêt contre lui pour corruption présumée. Katumbi, qui jouit d’une popularité considérable au Katanga, a fait valoir que cette demande était bidon pour l’empêcher de se présenter à la présidence. Le mandat a finalement été levé en 2019, ce qui a permis son retour.
Le Congo a vécu des décennies de dysfonctionnements politiques antidémocratiques qui ont essentiellement conduit à la faillite de ce pays d’Afrique centrale trois fois plus grand que le Texas et doté d’une richesse inégalée en ressources naturelles.
La propre famille de Katumbi a tout perdu, y compris son nom, dans l’un des bouleversements les plus connus du Congo : la montée au pouvoir de son ancien despote kleptocratique, Mobutu Sese Seko, en 1965. Sous Mobutu, ses loyalistes ont nationalisé et se sont partagé les entreprises et les biens du pays, y compris la pêcherie de la famille Soriano. La famille a également été obligée de changer son nom à consonance occidentale pour un nom plus africain. Ils ont choisi Katumbi, un nom qui apparaît dans la lignée de la famille du chef.
Mobutu, qui avait pris le pouvoir lors d’un coup d’État, a rebaptisé la République du Congo en Zaïre. Suite à son éviction, le nom a été changé en République démocratique du Congo.
En Grèce, la famille de Soriano, y compris ses parents, avait tous péri dans la Shoah. Les sœurs de Soriano, cependant, sont allées avec lui au Congo et ont survécu.
Katumbi, qui est marié et père de six enfants, prêche la réforme et le changement dans ses discours – une orientation qui se reflète dans le nom même de son parti, « Ensemble pour le changement ». Ses convictions vont au-delà de la rhétorique.
En tant que gouverneur du Katanga, M. Katumbi a mis en place l’un des programmes de réhabilitation économique les plus remarquables de l’histoire récente en Afrique.
Les revenus annuels de sa région – qui a la taille de l’Espagne et possède 55 % de la production mondiale de cobalt et 5 % du cuivre – s’élevaient à environ 100 millions de dollars en 2007, lorsqu’il a été élu gouverneur à l’âge de 43 ans. En 2013, deux ans avant la fin du mandat de M. Katumbi, les revenus avaient grimpé en flèche pour atteindre 1,2 milliard de dollars.
Katumbi y est parvenu en partie en arrêtant l’exportation de matières premières et en investissant massivement dans la transformation et le raffinage sur place. C’était un pari audacieux dans un pays où la culture de la corruption et du vol a freiné la croissance industrielle pendant des décennies.
Pourtant, cette démarche, associée aux nominations politiques et à la vigilance de Katumbi, a porté ses fruits. Sous sa direction, la production de cathodes de cuivre au Katanga est passée de 18 000 tonnes en 2007 à plus d’un million de tonnes six ans plus tard, selon African Business.
Près d’un tiers des routes de la province qui étaient en ruines ont été reconstruites au cours de cette période et l’accès à l’eau est passé de moins de 5 % à 67 % de la population. La fréquentation scolaire au Katanga, où vivent environ 5 millions de personnes, est passée de 400 000 enfants en 2007 à 1,2 million en 2013. La proportion de filles scolarisées a triplé, passant de 15 % à 45 %.
C’est loin d’être suffisant, a déclaré M. Katumbi à African Business.
« Nous n’avons pas seulement des minerais en abondance, nous avons de bonnes pluies, un bon sol. Nous devrions être aussi forts économiquement que l’Afrique du Sud », a-t-il déclaré.
Ceux qui connaissent Katumbi, un joueur de tennis et de football au physique athlétique, parlent de son attitude décontractée, de son sens de l’humour ironique et de ses excellentes qualités relationnelles dans au moins trois langues, dont l’anglais et le français.
L’Afrique, et plus particulièrement le Congo – où environ 70 % de la population vit dans une extrême pauvreté avec moins de 2 dollars par jour – ont connu de nombreux politiciens pleins de promesses qui ont déclaré vouloir améliorer la vie de leurs électeurs mais ont fini par faire le contraire.
Margolin pense qu’avec Katumbi, les choses seront différentes.
« Il possède les qualités requises », a dit le rabbin. « Il a la chaleur nécessaire pour être aimé de son peuple et la vision nécessaire pour le diriger et gagner le respect des partenaires internationaux. Je pense que quelque chose de très spécial est sur le point de se produire au Congo ».