Refonte : Le gouvernement tente de saluer le compromis ; l’opposition pas convaincue
Le projet de l'ancien ministre de la Justice prévoit d'assouplir la législation relative à la nomination des juges et aux restrictions du contrôle judiciaire
Jeremy Sharon est le correspondant du Times of Israel chargé des affaires juridiques et des implantations.
Un projet de compromis visant à résoudre la crise de la réforme judiciaire qui a été formulé par plusieurs personnalités, dont l’ancien ministre de la Justice Daniel Friedmann et l’ancien conseiller à la Sécurité nationale Giora Eiland, a été accueilli favorablement par plusieurs membres du gouvernement, dont le ministre de la Justice Yariv Levin.
Cette proposition modérerait considérablement certains des textes actuellement proposés par le gouvernement sur des questions essentielles telles que la répartition des pouvoirs en matière de nomination des juges et sur la possibilité, pour la Knesset, de passer outre une décision prise par la Haute Cour de justice d’invalider une loi.
La proposition de compromis interdirait à la Cour suprême d’exercer un contrôle judiciaire sur les lois fondamentales quasi-constitutionnelles d’Israël, mais conférerait à ces dernières un poids plus important et exigerait un consensus plus large pour tout passage ou amendement que ce n’est le cas à l’heure actuelle.
Selon le cabinet du ministre de la Justice, Levin aurait déclaré que la proposition est « le premier plan qui sort des sentiers battus » qui « va dans la bonne direction ». Il aurait ajouté qu’il allait étudier cette proposition.
Le secrétaire de cabinet Yossi Fuchs a tweeté mardi que le plan était « sérieux » et qu’il pouvait servir de « base aux négociations sur des points essentiels » du projet de réforme du système judiciaire, mais il a ajouté qu’il n’était pas acceptable « en l’état ».
Eiland a toutefois souligné que la proposition devrait être acceptée sans « modifications manipulatrices ».
Les opposants aux réformes du gouvernement ont amèrement critiqué la nouvelle proposition, l’ancien ministre de la Justice et député du parti HaMahane HaMamlahti, Gideon Saar, décrétant que « c’est la même femme mais avec un costume de Pourim ».
Eiland a noté mercredi que la nouvelle proposition avait été requise par Levin et par le député Simcha Rothman, l’autre grand architecte des réformes radicales du gouvernement, suscitant ainsi de nouvelles critiques de la part des opposants à la refonte du système judiciaire.
La nouvelle proposition de compromis a été rédigée par Friedmann, un défenseur de longue date de la réforme judiciaire, en collaboration avec Eiland, l’ancien doyen de la faculté de droit du Kiryat Ono College, Yuval Albashan, et le célèbre homme d’affaires du secteur high-tech, Giora Yaron.
Leur plan prévoit que les nominations à la Cour suprême ne seraient possibles que sur la base d’un consensus entre représentants du gouvernement, du pouvoir judiciaire et de l’opposition.
C’est une modification importante par rapport au texte législatif de la coalition, selon lequel le gouvernement aurait un contrôle total sur toutes les nominations judiciaires dans le pays, y-compris sur celles des magistrats à la Cour suprême.
La révision du processus de nomination des juges est l’un des piliers centraux des projets du gouvernement, et une réforme moins radicale pourrait donc être une avancée décisive dans les négociations dans la mise en place d’un compromis acceptable pour l’opposition.
Le plan Friedmann propose deux options pour la nomination des juges. La première prévoit la création d’une commission de sélection des juges composée de 11 membres, dont six seraient issus du gouvernement et de la coalition, deux de l’opposition et trois de la magistrature.
Une nomination à la Cour suprême nécessiterait une majorité de huit membres sur onze, ce qui signifie qu’aucune branche du gouvernement ne pourrait procéder à des nominations sans l’avis d’une autre branche.
La législation actuellement proposée par le gouvernement donne à la coalition une majorité intrinsèque pour nommer tous les juges, y compris ceux de la Cour suprême, sans vote nécessaire de la part de la magistrature ou de l’opposition.
La deuxième option proposée par le plan Friedmann donnerait à la coalition, à l’opposition et au pouvoir judiciaire quatre représentants chacun au sein d’une commission de 12 membres – une commission dans laquelle les juges ne seraient que des observateurs sans droit de vote pour les nominations à la Cour Suprême.
Les nominations à la Cour suprême se feraient par paires, avec un poste attribué au candidat élu par la coalition et l’autre à celui choisi par l’opposition. Le président de la Cour suprême aurait un droit de veto sur les candidats proposés par la coalition et l’opposition et ce une fois par mandat de la Knesset, c’est-à-dire jusqu’à la tenue de nouvelles élections.
Les nominations aux tribunaux de première instance et aux tribunaux de district se feraient avec une majorité de sept des douze membres de la commission et nécessiteraient le soutien de deux représentants de la coalition, de deux représentants de l’opposition et de trois juges.
Les propositions du plan Friedmann concernant les restrictions du réexamen judiciaire des lois sont également plus modérées que les textes actuellement proposés par le gouvernement.
Selon le plan, toute législation gouvernementale ordinaire serait soumise au contrôle judiciaire de la Cour suprême, mais toute décision invalidant une loi nécessiterait une majorité des trois-quarts dans un panel de 15 juges, assez semblable à la proposition du gouvernement d’une majorité de 80 pour cent.
Mais alors que la législation du gouvernement permet à la Knesset de soustraire de manière préventive une loi à tout contrôle judiciaire avec une majorité de seulement 61 députés, ouverte à toutes les coalitions, le nouveau plan ne permettrait à la Knesset de relégiférer une loi qu’après son invalidation par la Cour Suprême, avec une majorité légèrement plus élevée de 65 députés.
Selon le plan Friedmann, une loi pourrait être relégiférée avec une simple majorité de 61 députés, mais elle n’entrerait en vigueur que six mois après la formation d’une nouvelle Knesset.
Les Lois fondamentales ne seraient pas soumises au contrôle judiciaire de la Haute Cour comme le propose le gouvernement, mais à la différence des projets du gouvernement, les Lois fondamentales nécessiteraient quatre lectures à la Knesset au lieu de trois et une majorité de 61 députés à chaque lecture.
Et dans ce cadre, si une Loi fondamentale ou un amendement obtient moins de 70 voix, ou si elle implique une modification du système électoral, la quatrième lecture devra se tenir au lendemain des élections générales suivantes, au sein de la nouvelle Knesset qui en résultera.
Ces légères modifications de la législation gouvernementale pourraient apporter quelque protection contre l’utilisation abusive des lois fondamentales à des fins politiques ou idéologiques ciblées.
Le plan Friedmann propose également des réformes plus modérées concernant la fonction de conseiller juridique du gouvernement.
Alors que selon le projet du gouvernement, dont le processus législatif n’a pas encore avancé, les conseillers juridiques professionnels sous l’égide du ministère de la Justice deviendraient des personnalités politiques nommées par un ministre, dans le cadre du plan Friedmann, ces conseillers demeureraient des fonctionnaires professionnels.
Mais, tout comme dans les projets du gouvernement, le ministre ne serait pas lié par leur avis sur la législation et dans les décisions administratives, et le département gouvernemental concerné aurait la possibilité de chercher un autre conseiller sans l’accord du procureur-général au cas où le conseiller juridique s’opposerait au positionnement du ministre.
Le plan Friedmann réduirait également l’utilisation du critère de raisonnabilité pour contrôler les décisions gouvernementales, mais ne l’éliminerait pas comme le propose actuellement le gouvernement.
Selon la nouvelle proposition, les décisions administratives seraient toujours soumises au test du caractère raisonnable, mais il ne pourrait pas être utilisé pour annuler les nominations du gouvernement ou celles faites par la Knesset, ou encore concernant l’allocation des ressources du gouvernement.
Saar a rejeté l’enveloppe de mesures proposée par Friedmann.
« Je comprends clairement pourquoi Levin et Rothman sont favorables au plan Friedmann : la politisation des nominations judiciaires, une barre extrêmement haute pour le contrôle judiciaire, des conseils juridiques qui ne sont pas contraignants pour le gouvernement », a tweeté Saar.
« J’ai du mal à comprendre pourquoi certains parlent de compromis. Mais c’est la même femme avec un costume de Pourim », a-t-il ajouté, en référence à la fête célébrée mardi et au cours de laquelle il est de coutume de se déguiser.
L’ancien premier ministre Ehud Barak, un autre opposant farouche à la réforme judiciaire du gouvernement, a fait des commentaires similaires.
« Un changement de régime en costume de Pourim », a-t-il tweeté.
« Le plan Friedmann-Albashan est parti de bonnes intentions mais ses résultats sont un écran de fumée qui permettra à Levin et à Rothman de retirer leurs jetons des négociations sur la législation et de continuer à maintenir un contrôle total sur les nominations judiciaires, l’immunisation des lois fondamentales [face au contrôle judiciaire] et une dérogation avec 61 députés. Netanyahu et le président pourraient l’adopter. Le mouvement de protestation et l’opposition doivent le rejeter », a poursuivi Barak.
Eiland a décrit le plan qu’il a corédigé comme « le moindre de deux maux », mais il a déclaré qu’il espérait que Levin et Rothman l’accepteraient dans une interview accordée à Ynet.
Il a ajouté que la proposition devait être acceptée « telle quelle » et sans « modifications manipulatrices », faute de quoi il se remettrait à s’opposer aux projets et à la législation du gouvernement.