Le grand rabbin de Strasbourg répond à Barrot
"Qui sème la violence récolte la violence", avait déclaré en début de semaine le ministre – des propos vivement dénoncés par Harold Abraham Weill
En début de semaine, le ministre des Affaires étrangères français, Jean-Noël Barrot, déclarait sur France Inter, au sujet d’Israël, « qui sème la violence récolte la violence ». Le grand rabbin de Strasbourg, Harold Abraham Weill, lui a répondu dans une lettre ouverte publiée ce jeudi.
Intitulée « De la parole comme arme – ou quand la rhétorique ministérielle recharge les fusils », il a vivement dénoncé les propos du ministre.
Selon lui, les propos de Jean-Noël Barrot cités en début de cet article « ne relèvent pas d’un banal dérapage diplomatique » mais « constituent une faute morale, historique et politique d’une gravité abyssale ».
Citant son expérience après les attentats de Toulouse en 2012, quand il était rabbin dans cette ville, il explique que le terroriste avait justifié ses actes par la même rhétorique : « [Mohamed Merah,] pour justifier son geste, invoqua, avec une effrayante familiarité, le même sophisme glaçant que celui que vous venez de proférer, la même réthorique nauséabonde : ‘Israël tue des enfants, je tue des enfants’. »
« Qu’une telle infamie resurgisse sous la plume ou dans la bouche d’un ministre de la République française en 2025 ne relève pas de la maladresse, mais du renoncement, au sens tragique du terme », écrit le rabbin. « Renoncement à la clarté morale, renoncement à la rigueur intellectuelle, renoncement au devoir de protection de tous les citoyens français, dont les Juifs, depuis l’affaire Dreyfus jusqu’à nos jours, savent trop bien combien le sol peut devenir instable sous leurs pieds. »
Harold Abraham Weill poursuit en accusant Jean-Noël Barrot de « [tendre] l’arme à ceux qui guettent une caution pour appuyer sur la détente », des gens « bien plus nombreux que vous ne l’imaginez ». « Vous ne placez pas une cible sur le dos des Juifs de France, vous ouvrez la mitraille. Votre phrase est une rafale, votre langage une complicité », ajoute-t-il.
« Qu’un État comme Israël, assiégé, lacéré par les roquettes, endeuillé par le pogrom du 7 octobre, puisse encore susciter des critiques, cela relève du débat légitime. Mais que l’on établisse une symétrie morale entre ceux qui massacrent des enfants et ceux qui les pleurent, entre des tueurs fanatisés et un peuple retranché dans la survie, cela n’est plus de l’aveuglement : c’est de l’indignité. »
Le rabbin conclue en « conjurant » au ministre de « retirer ces paroles, non par tact politique, mais par décence humaine ». « Et si vous ne le faites pas, alors sachez qu’il restera toujours des voix, rabbiniques, laïques, citoyennes, pour rappeler que la parole, en démocratie, peut tuer. Et que face à l’histoire, nul ministre ne saurait plaider l’ignorance », dit-il, exprimant sa « profonde indignation » et son « impérieux devoir de mémoire ».