Le hasard donne une nouvelle vie à un récit de salut peu connu de la Shoah
Le documentaire « Into the North » raconte une partie oubliée de l'histoire : comment 320 adolescents juifs d'Europe centrale ont été hébergés par des familles d'accueil danoises pendant l'Holocauste
La journaliste Judita Matyášová et la cinéaste Natasha Dudinski ont toutes deux grandi en Tchécoslovaquie, mais n’avaient jamais entendu parler leurs enseignants ou leurs parents de la façon dont un groupe d’adolescents juifs tchèques a survécu à la Seconde Guerre Mondiale grâce à la protection risquée de familles du Danemark.
En fait, on ne savait rien de cette histoire de la Shoah jusqu’à ce que Matyášová, basée à Prague, l’ait découverte en 2010 grâce à son travail au Lidové noviny, le plus ancien quotidien tchèque.
La découverte initiale est intervenue dans le cadre d’une initiative visant à marquer le 10e anniversaire d’un programme de sensibilisation à la Shoah dans les écoles tchèques. Mais l’histoire s’est transformée en une investigation qui a duré cinq ans, qui à son tour a donné lieu à un livre de Matyášová et un film documentaire de Dudinski, basée à Jérusalem.
Le film, « Into the North« , une coproduction israélo-tchèque, est projeté ce mois-ci à Haïfa, Tel-Aviv et Jérusalem. La projection à la Cinémathèque de Tel Aviv a lieu le 27 janvier, sous les auspices des ambassadeurs tchèques et danois en Israël, et marquera la Journée internationale de commémoration de l’Holocauste.

L’histoire des Kindertransports qui ont amené des enfants juifs de Tchécoslovaquie et d’autres pays d’Europe centrale en sécurité en Angleterre est bien connue. La même chose est vraie des efforts du regretté Sir Nicholas Winton, qui a organisé le sauvetage de 669 enfants juifs tchèques à la veille de la guerre.
Ce qui est peu connu, en revanche, est l’histoire décrite dans « Into the North », qui dépeint la façon dont 320 adolescents juifs d’Allemagne, d’Autriche et de Tchécoslovaquie ont trouvé refuge au Danemark par l’intermédiaire du programme de l’alyah des jeunes et grâce à la gentillesse de centaines de familles danoises.
Dans un récit qui a été presque oublié avant que Matyášová ne tombe sur lui, le film se concentre sur les expériences des 80 adolescents tchèques au sein du groupe.
Matyášová, qui se spécialise dans les enquêtes liées à la diaspora tchèque (en particulier les histoires de personnes qui ont fui le pays soit en raison de la persécution nazie ou plus tard à cause du communisme), a mis en évidence ces jeunes dans son travail.
A travers les témoignages de quatre personnes âgées, les spectateurs apprennent exactement ce qui est arrivé entre août 1939 et octobre 1943.
Deux d’entre elles, Dita Persson (née Edita Krausová) de Förslöv, en Suède, et Dov (Oskar) Strauss de Moshava Yokneam, en Israël, sont présentés revenant au Danemark, seuls ou en famille, pour visiter les lieux où ils avaient vécu dans des familles d’accueil. Judith Shaked (née Zdeňka Štiastná) partage ses souvenirs vifs et des articles précieux qu’elle a conservés de cette période dans sa maison à Haïfa.
‘Le journal intime est vraiment la clé de l’histoire. Il offre un témoignage puissant et transmet une émotion brute et non retouchée’
Dudinski a choisi de lier la narration du film en utilisant des extraits d’un journal intime écrit pendant la période par Hana Dubová, qui a fini aux États-Unis et n’est plus en vie. « Into the North » inclut des scènes avec sa fille et ses petits-enfants lors d’une rencontre émouvante avec Jensine Nygaard, 93 ans et décédée aussi depuis la mère d’accueil danoise de Dubová.
« Le journal est vraiment la clé de l’histoire. Il offre un témoignage puissant et transmet une émotion brute et non retouchée », a déclaré Dudinski au Times of Israel.
Matyášová est d’accord sur l’importance du journal intime de Dubová. « Le journal de Hana était différent des autres que j’ai trouvés lors de mes recherches. Elle était une fille très douée et son écriture n’était pas juste du bla-bla d’adolescente », a-t-elle dit.
En novembre 1938, lorsque la menace pour la vie juive dans les territoires contrôlés par les nazis était indéniable, les frontières du Danemark étaient déjà fermées aux réfugiés juifs à moins qu’ils n’aient obtenu un visa pour un pays tiers.
Des organisations de femmes danoises ont recruté des milliers de familles à travers le pays pour accueillir les enfants juifs
Le Conseil national des femmes du Danemark et la branche danoise de la Ligue internationale des femmes pour la paix et la liberté ont été alarmés par le sort des juifs d’Europe centrale et voulaient prendre des mesures pour au moins aider les enfants.
Ils ont travaillé en étroite collaboration avec l’Organisation de la femme juive au Danemark, et ensemble, ils ont fait pression sur le gouvernement danois pour permettre à des enfants juifs qui eux-mêmes avaient reçu l’assurance de pouvoir passer rapidement en Palestine sous mandat britannique.
En janvier 1939, le gouvernement a accordé des autorisations à 25 enfants – beaucoup moins que les 1 000 que les femmes avaient espérés pouvoir aider. Une pression supplémentaire des femmes, y compris la preuve qu’elles avaient recruté des milliers de familles à travers le pays pour accueillir les enfants juifs, a abouti le 25 juillet à l’octroi par le gouvernement d’autorisations d’entrée dans le pays pour 300 enfants juifs supplémentaires (« La ligue des enfants »).
Il a été stipulé qu’ils devaient avoir entre 13 et 16 ans, être répartis dans des maisons privées à travers la campagne danoise, et quitter le Danemark pour la Palestine avant leur 17e anniversaire.

Selon les recherches menées par Lone Runitz pour un livre sur le sujet et qu’il a résumé dans un essai dans le numéro du printemps 2013 de la revue PRISM de la Yeshiva University pour les enseignants de la Shoah, 196 garçons et 124 filles ont trouvé refuge de cette manière au Danemark : 106 d’Allemagne, 80 d’Autriche, 73 de Tchécoslovaquie, 44 étaient apatrides et 12 étaient des ressortissants polonais. Cinq enfants qui étaient censés arriver au Danemark ne sont jamais arrivés.
‘A l’époque, comme adolescente, elle n’avait pas vraiment compris à quel point serait permanente la séparation d’avec sa famille’
« Into the North » commence avec les adolescents tchèques, peu de temps après le retour de leur camp d’été sioniste, recevant la notification que des dispositions avaient été prises pour qu’ils puissent se rendre au Danemark.
Quelques jours la déclaration de la guerre début septembre 1939, ils étaient à bord des trains se dirigeant vers Copenhague, où ils sont restés ensemble toute la nuit avant d’être envoyés vers leurs familles d’accueil respectives.
Dov Strauss est montré à l’écran à la gare d’où il a quitté Prague. Il raconte à sa fille et à sa petite-fille, qui ont fait le voyage en République tchèque avec lui, que ce départ est la dernière fois qu’il a vu sa mère. Dita Persson, vue dans la campagne où elle a été accueillie, rappelle qu’à l’époque, comme adolescente, elle n’avait pas vraiment compris à quel point serait permanente la séparation d’avec sa famille.
« Après la guerre, les adolescents sont retournés en Tchécoslovaquie à la recherche de leurs familles. Seul l’un des quelque 80 adolescents a trouvé un membre de sa famille qui avait survécu », a rapporté Matyášová.

Bien que la vie à la ferme était nouvelle et d’abord difficile pour les adolescents juifs citadins (Persson mentionne n’avoir vu des chevaux et d’autres animaux de la ferme que dans des images avant d’arriver à la maison de sa famille d’accueil), la plupart ont pris la main. Certains sont devenus proches de leurs familles d’accueil, tandis que d’autres, comme le chroniqueur Dubová, étaient malheureux et déplacés de famille en famille.
Pour tous les jeunes juifs, les activités éducatives et sociales juives régionales organisées le week-end par les représentants de l’alyah des jeunes étaient une bouée de sauvetage cruciale.
Les adolescents au Danemark se sentaient coupables d’avoir pu échapper tandis que leurs jeunes frères et sœurs devaient rester en danger
« Là-bas, ils pouvaient partager leurs expériences, positives et négatives, de leurs familles d’accueil respectives. Là-bas ils ont été en mesure de socialiser avec les haverim (amis) de la maison, ce qui était essentiel pour leur bien-être ; parlaient leur propre langue, et échangeaient des nouvelles de leurs parents », a écrit Runitz.
Il semble que pour la plupart, les parents ne donnaient pas trop de détails alarmants sur la détérioration des conditions à la maison afin de ne pas attrister leurs enfants.
Ce qui traverse tout le film, cependant, est le sentiment de culpabilité que ressentaient les adolescents au Danemark d’avoir pu échapper tandis que leurs jeunes frères et sœurs devaient rester en danger.
« La femme dont j’ai entendu parler pendant toute cette histoire pour la première fois m’a raconté qu’elle avait survécu parce qu’elle était plus âgée que ses frères et sœurs. Elle avait survécu grâce à quelque chose du genre ‘Le Choix de Sophie’ », a déclaré Matyášová, se référant au roman de William Styron paru en 1979 sur une jeune mère forcée de choisir entre ses enfants en entrant dans un camp de concentration nazi.
Dov Strauss et Judith Shaked faisaient partie de deux groups de “La ligue des Enfants” qui sont partis du Dnaemark vers la Palestine en décembre 1940 et mars 1941. Il y avait environ 40 adolescents dans chaque groupe, mais l’on ne sait pas comment ou pourquoi ces enfants en particulier avaient été choisis.
Quand les Turcs sont revenus sur leur promesse de délivrer plus de visas de transferts après l’attaque de l’Union soviétique par les Allemands le 22 juin, bloquant l’unique route restante entre le Danemark et la Palestine, il est devenu impossible de faire sortir d’autres adolescents.
Quand les Turcs sont revenus sur leur promesse de délivrer plus de visas de transferts, il est devenu impossible de faire sortir d’autres adolescents.
De plus, quand la coopération entre le Danemark et l’Allemagne nazie s’est effondrée fin août 1943, la situation des juifs au Danemark est devenue moins dangereuse. Le 1er et le 2 octobre, les nazis ont raflé des juifs et en ont envoyé 474 au ghetto de Theresienstadt.
Cependant, plus de 6 000 juifs du Danemark ont été prévenu du projet des nazis et ont réussi à s’enfuir. Parmi eux se trouvait la plupart des adolescents juifs restants de Tchécoslovaquie, d’Allemagne et d’Autriche.
Avec l’aide de leurs familles d’accueil, de pêcheurs locaux et d’organisations souterraines, ils sont rentrés par contrebande en Suède. Malheureusement 45 de ces adolescents n’ont pas réussi à s’échapper et ont été déportés par les Nazis.
Selon Matyášová, la plupart des jeunes filles ont trouvé des emplois de domestiques en Suède. Les garçons ont également trouvé du travail, et certains sont allés en Grande-Bretagne pour se faire enrôler dans l’armée tchécoslovaque et reprendre leur citoyenneté. Il semble qu’à partir de ce moment, la plupart des adolescents a perdu contact, pendant qu’ils se concentraient sur comment survivre à la guerre et ont plus tard reconstruit leurs vies.
Après avoir retrouvé et interviewé 30 des 80 participants de « La ligue des Enfants » tchèque, Matyášová a pu assembler les pièces du puzzle là où il s’était arrêté.
“La plupart est partie en Palestine soit pendant soit après la guerre. Quelques-uns sont retournés en Tchécoslovaquie, environ 10 ou 12 sont restés en Danemark ou en Suède, et une poignée est partie dans des pays comme les Etats-Unis ou l’Australie », a-t-elle déclaré.
Certains d’entre eux et leurs descendants se sont retrouvés pendant des réunions tenues en Israël ces dernières années.
Un groupe d’enfants de « La ligue des Enfants » est allé en République tchèque ensemble, et la petite-fille de Dubová, reporter photo, a visité l’Europe pour un projet s’inscrivant dans les pas du journal d’adolescente de sa grand-mère.
‘Il était une fois, un petit pays nommé Danemark où des milliers de personnes étaient prêts à ouvrir leurs cœurs et leurs foyers aux réfugiés juifs’
Bien que Matyášováait depuis d’autres projets, elle continue à parler de ses recherches sur les adolescents juifs qui se sont échappés du Danemark.
« Il y a juste quelques jours, j’ai été invitée dans une organisation éducative qui a été contactée par des professeurs disant qu’ils ne savaient pas comment parler de la crise actuelle des réfugiés avec leurs élèves. J’y suis allée pour apporter une perspective historique », a-t-elle déclaré.
Dudinski pense aussi qu’il y a une importante leçon contemporaine qui peut être tirée de « Into the North » et de l’histoire qu’il présente.
« Il était une fois, un petit pays nommé Danemark où des milliers de personnes étaient prêts à ouvrir leurs cœurs et leurs foyers aux réfugiés juifs au moment où la plupart des autres pays leur avait fermé leurs frontières », a déclaré Dudinski.
« Aujourd’hui, quand encore une fois les pays européens et les Etats-Unis, et Israël aussi, veulent de moins en moins accueillir des réfugiés, c’est une histoire qui vaut la peine d’être racontée », a-t-elle déclaré.
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