Le Hezbollah distribuait encore des bipeurs quelques heures avant les explosions
Des sources ont indiqué que le groupe terroriste libanais avait inspecté les appareils avant de les distribuer ; les contrôles sur les talkie-walkies étaient en cours, mercredi, avant qu'ils n'explosent
BEYROUTH, Liban — Le groupe terroriste libanais du Hezbollah distribuait encore à ses membres leurs nouveaux bipeurs, quelques heures avant l’explosion de milliers de ces appareils, ont indiqué deux sources proches des services de sécurité. Ce qui indique que le groupe était convaincu qu’ils étaient sûrs, malgré une série d’inspections en cours sur les équipements électroniques de l’organisation, des inspections qui visaient à identifier de possibles menaces.
Un membre du groupe terroriste soutenu par l’Iran avait reçu un bipeur neuf, lundi dernier, qui devait exploser dès le lendemain alors qu’il se trouvait encore dans sa boîte, a noté l’une des deux sources. Un autre appareil qui avait été mis à la disposition d’un haut-responsable de l’organisation, quelques jours seulement auparavant, a blessé un subordonné lorsqu’il a explosé, a dit l’autre source.
Dans le cadre d’une attaque apparemment coordonnée qui a eu lieu la semaine dernière, les appareils de communication ont explosé dans les bastions du Hezbollah, dans le sud du Liban, dans les quartiers de Beyrouth et dans l’Est de la vallée de Bekaa. Douze personnes ont été tuées et 3 000 personnes ont été blessées.
La firme Gold Apollo, dont le siège est à Taïwan, a fait savoir qu’elle n’avait pas fabriqué les appareils utilisés dans cette attaque, expliquant qu’ils avaient été assemblés dans une entreprise autorisée à utiliser sa marque – et dont l’usine se trouve en Europe. Reuters n’a pas réussi à déterminer leur lieu exact de fabrication, ni à quel moment de la production les explosifs ont été introduits.
5 000 bipeurs étaient entrés au Liban au début de l’année. Reuters avait fait savoir, à ce moment-là, que le Hezbollah avait choisi de s’appuyer dorénavant sur les bipeurs pour échapper à la surveillance, par les services israéliens, des téléphones mobiles de ses hommes armés, après la mort de hauts-commandants du groupe terroriste dans une attaque ciblée de Tsahal qui était survenue l’année dernière.
C’est en 2022 que le Hezbollah avait commencé à importer des bipeurs. Les membres du groupe les avaient contrôlés, voyageant avec eux pour s’assurer qu’ils ne déclenchaient pas d’alarme dans les aéroports, ont déclaré deux sources à Reuters. Elles n’ont pas précisé dans quels aéroports ces tests ont été effectués.
Ces contrôles étaient entrés dans le cadre des « ratissages » coutumiers qui sont effectués par le groupe terroriste pour inspecter au mieux ses équipements – des inspections qui comprennent un contrôle minutieux de ses appareils de communication et qui visent à garantir qu’ils ne contiennent ni explosif, ni matériel de surveillance, selon une source.
Une autre source a fait savoir à l’agence Reuters que les bipeurs avaient été équipés d’explosifs difficiles à détecter. Une troisième a confié à l’agence que jusqu’à trois grammes d’explosifs avaient été dissimulés dans les nouveaux appareils, apparemment plusieurs mois avant les explosions.
Talkies-walkies
Après les explosions de mardi, le Hezbollah a nourri des soupçons à l’égard de ses autres appareils, craignant qu’ils aient aussi été piégés, ont indiqué à Reuters deux sources issues des services de sécurité ainsi qu’une source appartenant aux services de renseignement.
Le groupe a donc intensifié son inspection de ses systèmes de communication, procédant à des examens minutieux de tous les appareils. Il a également commencé à enquêter sur les chaînes d’approvisionnement.
Des examens qui n’étaient pas terminés mercredi après-midi, lorsque les talkie-walkies ont explosé, tuant 25 personnes et blessant au moins 650 personnes.
Le Hezbollah pense qu’Israël a choisi de faire exploser les talkie-walkies du groupe parce qu’il craignait que le Hezbollah ne découvre que ces derniers étaient eux aussi piégés, a fait savoir l’une des sources à Reuters.
Le taux de mortalité plus élevé qui a été enregistré lors de l’attaque qui a ciblé les talkies-walkies, mercredi, s’explique par le fait que ces derniers transportaient une charge d’explosifs plus importante que les bipeurs, ont déclaré l’une des sources de sécurité et la source issue des services de renseignement.
Les batteries des talkies-walkies étaient imprégnées d’un composant très explosif, du PETN, a confié à Reuters, vendredi, une autre source libanaise informée des matériels utilisés dans la fabrication de l’appareil.
Les photos des talkies-walkies qui ont explosé révèlent des étiquettes portant les mentions « ICOM » et « made in Japan ». Icom 6820.T a fait savoir que la production des modèles identifiés dans l’attaque avait été stoppée il y a dix ans, et que la majorité de ceux qui sont encore en vente sont des contrefaçons.
Yoshiki Enomoto, directeur-général de la Division Sécurité et commercialisation d’ICOM, a déclaré à Reuters qu’il était possible qu’un ancien appareil ICOM ait été modifié pour fabriquer une bombe.
« Il serait toutefois difficile d’insérer un engin explosif dans le compartiment principal du talkie-walkie, ses composants électroniques étant étroitement emballés. Il est donc plus probable que l’engin ait été placé dans le bloc de batterie qui est amovible », a commenté Enomoto devant les caméras de la chaîne de télévision japonaise Fuji TV.
Une source libanaise a expliqué à Reuters que des explosions avaient eu lieu même dans les cas où la batterie était séparée du reste de l’appareil.
Au total, les attaques consécutives ont fait 37 morts, dont au moins deux enfants, et plus de 3 600 blessés.
Enquêtes
Le journal saoudien Al-Hadath a annoncé, jeudi, que le Hezbollah avait commencé à arrêter des personnes soupçonnées d’être impliquées dans ces attaques et notamment le frère d’un membre de premier plan de l’organisation terroriste, ainsi que l’homme chargé des appareils de communication du groupe.
Le journal a ajouté que l’armée libanaise avait fait exploser des appareils de communication du Hezbollah et qu’elle a demandé aux citoyens de signaler ceux qu’ils peuvent trouver, sans s’en approcher.
Le site d’information libanais Al-Janubiyeh a rapporté que le ministère libanais de la Justice coopérerait avec le Hezbollah dans son enquête sur les explosions.
Le Liban et le Hezbollah affirment qu’Israël est à l’origine de ces attaques. Une source de sécurité, en Occident, a confié à Reuters, cette semaine, que l’unité 8200 des services secrets de renseignement militaire israéliens avait été impliquée dans la planification de l’opération.
Les attaques aux bipeurs, survenues malgré les inspections rigoureuses et les contrôles de routine du Hezbollah, ont porté atteinte à la réputation du groupe terroriste qui était considéré jusqu’à présent comme l’ennemi le plus redoutable dans les proxies iraniens appartenant à « l’Axe de la résistance », dans tout le Moyen-Orient.
Dans un discours télévisé prononcé jeudi, le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a déclaré que ces attaques étaient « sans précédent dans l’histoire » de son organisation.
Le service de presse du Hezbollah et l’armée israélienne n’avaient pas répondu à notre demande de commentaire au moment de la rédaction de cet article.
Le conflit entre le Hezbollah et Israël remonte à plusieurs décennies – mais il s’est intensifié depuis un an, parallèlement à la guerre à Gaza, renforçant les craintes d’un embrasement régional de grande ampleur.
Depuis le 8 octobre, les forces placées sous l’autorité du Hezbollah attaquent presque quotidiennement les communautés israéliennes et les postes militaires situés le long de la frontière. Le groupe déclare que ces frappes sont effectuées en signe de soutien à Gaza, dans le cadre de la guerre qui oppose actuellement Israël et le Hamas au sein de l’enclave côtière suite au pogrom que le groupe terroriste palestinien a mené le 7 octobre.
Jusqu’à présent, les hostilités ont entraîné la mort de 26 civils du côté israélien, ainsi que celle de 22 soldats et réservistes de Tsahal. Plusieurs attaques ont également été lancées depuis la Syrie – il n’y a pas eu de blessé à déplorer.
Le Hezbollah a donné les noms de 502 de ses membres qui ont été tués par Israël au cours des affrontements en cours, principalement au Liban, mais aussi en Syrie. Soixante-dix-neuf membres d’autres groupes terroristes, un soldat libanais et des dizaines de civils ont également perdu la vie.
Trois sources ont déclaré à Reuters que le Hezbollah poursuivait son enquête pour déterminer précisément où, quand et comment les appareils avaient été piégés. Nasrallah a fait la même déclaration dans son discours de jeudi.
L’une des sources des services de sécurité a noté que le Hezbollah avait déjoué des opérations israéliennes antérieures visant des appareils qui avaient été importés depuis l’étranger par le groupe.
Des opérations avortées qui, pour certaines, remontent seulement à l’année dernière.
« Il y a eu des problèmes que nous avons pu découvrir en ce qui concerne nos appareils électroniques, mais cela n’avait pas été le cas avec les bipeurs », a confié la source. « Ils nous ont piégés. Chapeau bas à l’ennemi ».
Glenn Gerstell, le directeur-général de la National Security Agency, dont les propos ont été repris par le New York Times, a expliqué mercredi que « ces explosions pourraient bien être le premier aperçu effrayant d’un monde dans lequel, en fin de compte, aucun appareil électronique, qu’il s’agisse de nos téléphones portables ou de nos thermostats, ne pourra jamais être totalement fiable ».