Le Kosovo accueille sa première synagogue et un musée juif
Même si le pays à majorité musulmane accueille aujourd'hui moins de 60 Juifs, l'Etat s'enorgueillit d'une communauté datant d'avant l'inquisition espagnole
- Votim Demiri, 72 ans, patriarche de la communauté juive du Kosovo de 56 personnes (Crédit : Larry Luxner/ Times of Israel)
- Une vue de l'hôtel Theranda, aux abords de la mosquée de Sinan Pasha, un site important de Prizren. (Crédit : Larry Luxner/ Times of Israel)
- Vue de la ville médiévale de Prizren, et du fleuve Bistrica qui traverse son centre (Crédit : Larry Luxner/ Times of Israel)
- Des jeunes filles dans les rues pavées du centre-ville de Prizren, deuxième municipalité la plus importante du Kosovo. (Crédit : Larry Luxner/ Times of Israel)
- Le cimetière juif de Priština. (Crédit : Larry Luxner/ Times of Israel)
- Ce bâtiment abandonné et cloisonné de Prizren accueillera bientôt la seule synagogue et le seul musée juif du Kosovo (Crédit : Larry Luxner/ Times of Israel)
PRIZREN, Kosovo — Au début du mois, environ 40 personnes se sont rassemblées dans un hôtel appartenant à un catholique dans la deuxième ville la plus importante du Kosovo pour allumer la sixième bougie de Hanoukka.
Cette cérémonie, qui avait eu lieu le vendredi soir, avait été conjointement organisée par Votem Demiri, patriarche de la minuscule communauté juive du Kosovo, avec l’aide du docteur Irfan Daullxhiu, un cardiologue musulman de Prizren et de Steven Aiello, fondateur et co-directeur du groupe israélien à but non-lucratif Debate for Peace. Près des deux-tiers des personnes présentes étaient des Juifs et des musulmans albanophones locaux, et les autres des étudiants israéliens en voyage.
Cette cérémonie a été la dernière d’une série d’événements juifs organisés dans ce bastion balkan médiéval, bien plus célèbre pour la mosquée de Sinan Pasha – construite durant la période ottomane – et pour la cathédrale Notre Dame du perpétuel secours, édifiée au 19e siècle, que pour quoi que ce soit lié avec le judaïsme – même de loin.
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Dans un an, Prizren pourrait bien également s’enorgueillir de nouveaux monuments religieux, à savoir de la toute première synagogue du Kosovo ainsi que d’un musée de l’histoire juive.
Le « Muzeu Shqiptaro-Hebraik », ou musée juif albanais, serait alors édifié dans un pays où plus de 95 % des deux millions d’habitants s’identifient en tant que musulmans.
« Je veux un bâtiment religieux ouvert à tous », avait déclaré Demiri au Times of Israel au début de l’année. « Je voudrais que les enfants des écoles puissent venir le visiter. Nous expliquerons l’histoire de la communauté juive par des artéfacts et des photographies. Nous sommes actuellement en train de les collecter ».
Daullxhiu, qui s’est rendu en Israël pour une conférence médicale en 2007, soutient lui aussi le musée.
« Je pense que c’est un très bon projet pour notre ville et aussi pour le Kosovo parce que les Juifs font partie de notre histoire », commente-t-il. « Malheureusement, au début de la Seconde Guerre mondiale, la communauté juive pratiquement toute entière a quitté le Kosovo ».

Aujourd’hui, le Kosovo albanophone n’accueille que 56 Juifs, dont 14 enfants. La majorité d’entre eux résident à Prizren, une ville pittoresque coupée en deux par le fleuve Bistrica qui s’écoule sous des ponts en pierre.
Une histoire de relations chaleureuses dans toute la région
A l’époque médiévale, Prizren était la capitale de l’empire serbe entier. Au cours de la Seconde Guerre mondiale et jusqu’à la dissolution de la Yougoslavie en 1991 et 1992, la Serbie était la plus vaste des six républiques qui constituaient la fédération de Yougoslavie.
Environ 3 000 Juifs vivent aujourd’hui en Serbie, qui a contrôlé le Kosovo jusqu’à la déclaration unilatérale d’indépendance de ce dernier en 2008. Il y a peu de Juifs en Albanie, dont la population majoritairement musulmane avait caché les 200 citoyens juifs du pays ainsi que 600 à 1800 Juifs des pays voisins pendant l’occupation nazie.
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« Il y a tellement d’exemples de personnes albanophones qui ont secouru des Juifs », s’exclame Demiri, citant l’exemple d’Arslan Resniqi, musulman kosovar qui, en 1941, était parvenu à faire fuir d’un camp de travail nazi un médecin juif macédonien. En 2008, suite à une campagne lancée par la petite-fille du docteur, Yad Vashem, en Israël, avait distingué Resniqi en lui décernant le titre de Juste parmi les nations.

Demiri, qui fume deux paquets de cigarettes par jour malgré de nombreux pontages, est fier de son importante connaissance de l’histoire juive et balkane. De 1988 à 1992, il a vécu à Paris, représentant la chambre de commerce yougoslave en France. Avant cela, il avait été à la tête d’une usine textile qui employait 2 600 personnes et il était alors l’homme d’affaires le plus influent de la ville.
Le grand-père à la retraite, dont la conversation est constamment interrompue par des amis qui l’arrêtent dans les rues pour le saluer, se rappelle avec tristesse cette journée de l’année 1963 au cours de laquelle la seule synagogue du Kosovo a été détruite pour laisser la place au nouveau bâtiment du Parlement à Priština.
« J’avais alors 17 ans. Je me souviens que ma mère avait pleuré quand elle avait appris la nouvelle », dit-il. « A ce moment-là, je n’avais pas conscience de ce qui était en train de se passer ».
Demiri montre une photo en noir et blanc, datant de 1929, de cette synagogue et de sa congrégation – disparues depuis si longtemps – ainsi que des clichés plus récents le montrant aux côtés de l’ancien vice-président américain Joe Biden, de l’ancien Premier ministre britannique Tony Blair et d’autres dirigeants – dans la « salle juive » qui contient également des livres de prière en hébreu, un piano et une menorah de Hanoukka.

« Actuellement, nous fêtons le Shabbat tous les vendredis à mon domicile mais nous avons parfois un problème à réunir le quorum de prière [mynian : [NdT : le quorum de dix personnes nécessaire à la récitation de certains passages de la prière et à la lecture de la Torah] », explique Demiri, dont le fils vit au Kosovo. Il a également une fille à New York et une autre à Tel Aviv.
A l’occasion, les Juifs de la ville sont rejoints par d’autres, en provenance de Subotica (dans le nord de la Serbie, à proximité de la frontière hongroise) partis en bus pour Prizren pour le week-end.
Un projet soutenu par les Juifs américains et les musulmans
En partant de chez Demiri, il faut marcher cinq minutes le long d’un chemin pavé pour se rendre au restaurant Ambient, qui a accueilli cette année un séder pour 100 invités, à Pessah. Il faut encore dix minutes pour rejoindre Rruga Hysen Rexhepi : Dans cette rue, seront édifiés une synagogue et un futur musée juif.
Le bâtiment décrépi, une ancienne maison de retraite, est situé à côté de la Croix rouge du Kosovo et en face de l’église catholique, dont la cloche résonne lourdement alors que l’appel à la prière du muezzin retentit depuis une mosquée avoisinante.
Lorsqu’il sera terminé, le complexe de deux étages mesurera 300 mètres-carrés et aura coûté environ 300 000 dollars. Le ministère kosovar de la Culture a alloué 50 000 euros au projet, dont les premiers travaux de rénovation devraient débuter au début de l’année prochaine. Le chantier devrait, espèrent ses soutiens, s’achever à la fin de l’année 2019.

Selon les plans, le musée devrait occuper le première étage. Au second, il y aura une synagogue, ouverte pour le Shabbat et à l’occasion des fêtes. L’entrée sera gratuite et les expositions seront rédigées en anglais, en albanais et – si c’est possible – en hébreu.
Pour donner vie au projet, les Juifs locaux oeuvrent aux côtés de la municipalité de Prizren, ainsi que du Congrès juif mondial et de la JDC (American Joint Jewish Distribution Committee).
Le représentant Eliot Engel, membre du Congrès, dont le district de New York accueille une importante population albanaise, sera le prochain président de la Commission des Affaires étrangères à la chambre. Au début de l’année, le démocrate est venu à Prizren en compagnie de deux hommes d’affaires américano-albanais d’origine musulmane : Harry Bajraktari et Rustem Gecaj. Au mois de février prochain, Bajraktari va organiser un événement de collecte de fonds à New York au cours duquel il espère pouvoir engranger entre 50 000 et 100 000 dollars.
« Ce projet m’excite beaucoup », explique Bajraktari, développeur immobilier né dans le Bronx. « Prizren est un symbole de la résistance contre l’empire ottoman et accueille de nombreuses religions – catholiques, orthodoxes, musulmans et juifs. C’est un lieu formidable pour édifier un musée. Nous pensons qu’il profitera à la population du Kosovo, comme aux générations futures ».

« Une synagogue n’est pas une synagogue s’il n’y a personne pour y prier »
Le Kosovo enclavé, conquis par les Byzantins au Moyen-Age et gouverné ensuite par les Bulgares, les Serbes et les Ottomans, est aujourd’hui l’un des pays les plus pro-américains de la terre. Une statue gigantesque de l’ancien président Bill Clinton trône sur le boulevard qui porte son nom à Priština et, au mois de novembre 2017, la poste kosovare a émis un timbre à deux euros à l’effigie d’Engel – c’est la toute première fois qu’un membre américain du Congrès fait l’objet, de mémoire d’homme, d’un tel honneur.
En tant que député, Engel s’est battu auprès de l’administration Trump pour la pousser à intervenir à la fin des années 1990 contre l’homme fort de Serbie Slobodan Milosevic, qui s’était engagé dans un nettoyage ethnique contre les Kosovars.

Malgré son statut de capitale du Kosovo, dont elle est aussi la plus grande ville, Priština présente peu de sites liés au judaïsme malgré un cimetière, sur un flanc de coteau, de 75 à 80 tombes dans des États de décrépitude variés.
« Pour vous dire la vérité, il y a peu de Juifs à Priština », s’exclame Fatos Jusufi, 42 ans, barbier local qui a appris l’hébreu auprès de sa mère et qui a peu d’occasions d’utiliser la langue. « Il n’y a pas plus de 10 familles juives dans tout le Kosovo. Je sais très bien qui est juif et qui ne l’est pas ».
Il y a aussi, au Parlement de Priština, un monument en marbre qui rappelle – en albanais, en serbe, en anglais et en hébreu – l’endroit où se dressait la synagogue jusqu’en 1963. Une inscription rend également hommage aux 258 Juifs kosovars déportés par les nazis au camp de concentration de Bergen-Belsen, où 92 d’entre eux ont été assassinés.
Demiri note que Kadri Veseli, président du Parlement kosovar, avait initialement proposé d’ouvrir une synagogue à Priština, comprenant plus tard que l’idée n’avait finalement que peu de sens.
« J’ai été défavorable dès le premier jour à la construction d’une synagogue à Priština », explique-t-il. « Très peu de Juifs y vivent et ce n’est pas facile pour nous de faire le déplacement à Priština depuis Prizren chaque samedi pour y prier. Une mosquée n’est pas une mosquée – ou une église une église ou une synagogue une synagogue — s’il n’y a personne pour y prier ».

Pas – encore – de reconnaissance diplomatique d’Israël
Le 17 février 2008, le Kosovo – province de Serbie qui avait joui d’une certaine autonomie pendant l’existence de la Yougoslavie – a déclaré unilatéralement son indépendance, suscitant la fureur des Serbes. Dans les 10 années qui se sont écoulées depuis, 116 nations ont reconnu le Kosovo, dont 23 des 28 membres de l’Union européenne. Les cinq États réfractaires sont Chypre, la Grèce, la Roumanie, l’Espagne et la Slovaquie.
Israël a jusqu’à maintenant rechigné à cet élargissement de la reconnaissance diplomatique même si le 21 septembre, le président du Kosovo, Hashim Thaçi, a juré qu’en cas de reconnaissance de la part de l’Etat juif, le Kosovo installerait son ambassade à Jérusalem. Entre autres choses, les responsables israéliens ne veulent pas offenser la Serbie avec laquelle les liens bilatéraux sont forts. Ils ne veulent pas non plus établir un précédent en termes de déclaration d’indépendance unilatérale, au vu de l’impasse dans laquelle se trouve Israël dans le conflit avec les Palestiniens sur la solution à deux Etats.
Teuta Sahatqija, ambassadrice du Kosovo aux Nations unies depuis le début de l’année 2016, affirme être fière de la coexistence harmonieuse des religions qui existe, selon elle, au Kosovo.

« Il est très important pour nous qu’à travers ce musée, nous montrions notre amitié et notre respect envers nos citoyens juifs. Ils sont eux aussi Kosovars et nous les apprécions », dit Sahatqija, interviewée dans un café de Pristina à quelques blocs d’immeubles de la plaque de commémoration de la Shoah.
A la fin du mois 2016, Thaçi a interdit toute la littérature antisémite au Kosovo à l’issue de la visite d’un expert israélien du racisme et du terrorisme, qui a découvert des douzaines d’ouvrages néo-nazis – notamment trois traductions en albanais de « Mein Kampf » d’Adolf Hitler – présentés à la vente sur un marché, dans une rue de Priština. Et au début de l’année, un tribunal de Priština a condamné huit Kosovars à la prison pour avoir programmé une attaque déjouée contre l’équipe nationale de football israélienne au cours d’une rencontre qualificative à la Coupe du monde à Tirana, en 2016.
Et pourtant, la chaleur affichée par le Kosovo envers ses Juifs ne s’est pas traduite en une reconnaissance de la part de Jérusalem.
« Les Israéliens ne l’ont jamais dit de manière aussi claire mais leur crainte est que cela puisse rappeler la question de la Palestine », déplore Sahatqija. « Mais cela n’a rien à voir avec la Palestine. Le Kosovo est un produit de la dissolution de la république fédérale de Yougoslavie. C’est le septième état. Tout le monde en reconnaît déjà six et il est donc inimaginable de comprendre la raison pour laquelle le septième n’est pas reconnu ».

Le Kosovo et la Serbie négocient un échange de territoires qui impliquera l’échange de terres sur la base des ethnies des habitants locaux, même si les nationalistes des deux côtés s’opposent à cette idée.
Selon Demiri, une résolution de cette longue querelle avec la Serbie pourrait ouvrir le Kosovo au tourisme et aux investissements juifs – et raviver l’intérêt porté au passé juif du pays.
« Le Kosovo comme Israël sont de jeunes nations et les deux sont entourés par un environnement hostile. Mais les deux sont parvenus à surmonter ces défis, grâce à des amis forts comme le sont les Etats-Unis », a-t-il dit. « Et je vous le dis : notre reconnaissance par Israël n’est qu’une question de temps ».
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