Le magnat des télécoms Patrick Drahi, va devoir défendre un empire qui vacille
Son bras droit Armando Pereira, soupçonné de s'être enrichi aux dépens de l'entreprise Altice, a été arrêté mi-juillet au Portugal
Le milliardaire franco-israélien risque-tout Patrick Drahi doit monter au créneau lundi et mardi pour défendre son empire des télécoms qu’il a bâti à un rythme accéléré des deux côtés de l’Atlantique. Mais la machine risque de s’enrayer depuis la révélation d’un scandale de corruption au coeur de son groupe.
Il interviendra lors de conférences en marge de la publication des résultats d’Altice International et d’Altice France, pour rassurer les créanciers, après l’arrestation mi-juillet au Portugal de son bras droit Armando Pereira, soupçonné de s’être enrichi aux dépens de l’entreprise.
« C’est important pour lui de prendre la parole. Jusqu’à preuve du contraire, Altice est victime de tout ça », a défendu mercredi l’un de ses fidèles, Arthur Dreyfuss, PDG d’Altice France, devant les syndicats.
Si l’entrepreneur franco-israélien est admiré pour son ascension fulgurante et son sens avisé du risque, ses montages financiers effraient l’establishment français, tandis que ses méthodes de gestion sont dénoncées par les syndicats et certains actionnaires.
Fils de deux professeurs de mathématiques, né à Casablanca (Maroc) le 20 août 1963 et arrivé en France à l’âge de 15 ans, Patrick Drahi est passé par les plus grandes écoles de la République, enchaînant Maths sup, Maths spé et Polytechnique.
Après son diplôme, il commence sa carrière au sein de Philips, puis est embauché par UPC, filiale européenne de Liberty Global, le groupe de John Malone, le roi du câble américain qu’il prend pour modèle.
Mettant à profit ses talents d’ingénieur et de financier, il se met à son compte en rachetant un à un de petits câblo-opérateurs régionaux en mauvaise posture.
En France, il bâtit discrètement Noos, qui deviendra Numericable. Mais c’est l’acquisition de SFR, une cible huit fois plus grosse (13,4 milliards d’euros), qui le propulse sur le devant de la scène en mars 2014, après une bagarre homérique contre Bouygues.
Après avoir acheté Portugal Telecom (7,4 milliards d’euros), il continue son expansion l’année suivante aux États-Unis en s’offrant Suddenlink, le septième câblo-opérateur américain (9 milliards de dollars) puis Cablevision (17,7 milliards de dollars).
En France, il a étoffé son portefeuille audiovisuel en reprenant notamment RMC et BFMTV, ce qui lui a permis de renforcer son poids dans le paysage médiatique.
Discret, Patrick Drahi a su profiter de la confiance des marchés, qui lui prêtent de l’argent à tour de bras et à des taux d’intérêt historiquement bas.
En 2016, il déclare crânement devant une commission sénatoriale : « Je dors beaucoup plus facilement avec 50 milliards (d’euros) de dette qu’avec les premiers 50 000 francs que j’ai contractés quand j’ai créé mon entreprise. »
50 milliards de dette
L’un de ses derniers paris, à plus de trois milliards d’euros, annoncé en septembre 2020, consistait à retirer son groupe Altice Europe de la Bourse d’Amsterdam, où il était sous-évalué à ses yeux, pour se libérer de la contrainte des marchés.
Mais la remontée des taux pose désormais problème à Altice, dont la dette est classée par les agences de notation dans la catégorie « hautement spéculative ».
A rebours de sa stratégie de croissance, le groupe s’est lancé dans un vaste programme de ventes d’actifs, cédant par exemple partiellement les pylônes de ses réseaux de téléphonie mobile en France et au Portugal.
Parallèlement, son dirigeant s’est invité à titre personnel au capital de BT, l’opérateur britannique historique, et s’est même offert, à la surprise générale, la prestigieuse maison de vente aux enchères Sotheby’s en juin 2019 pour 3,7 milliards d’euros.
Sur le plan managérial, sa gestion à coup de suppressions d’emplois et de coupes drastiques dans les budgets lui a valu de farouches adversaires parmi les syndicats.
Son statut de résident fiscal en Suisse, où il habite avec sa famille depuis ses 35 ans, est aussi pointé du doigt par ses détracteurs, même si ses actifs français sont toujours enregistrés en France.
Treizième fortune française selon le classement 2023 du magazine Challenges, deux places derrière son concurrent Xavier Niel, ses actifs sont valorisés à 10,7 milliards d’euros.