« Le même antisémitisme » 80 ans après la libération d’Auschwitz, disent les survivants
Alors que le nombre de survivants, en Israël, a chuté à 123 715 l'année dernière, la présence croissante de monuments de commémoration de la Shoah dans le monde musulman apporte "une petite lumière"

OSWIECIM, Pologne – Quatre-vingt ans après la libération d’Auschwitz, « nous assistons précisément au même antisémitisme qui a mené à la Shoah », met en garde Marian Turski, un survivant d’Auschwitz, lors d’une cérémonie de commémoration organisée lundi dans l’ancien camp de la mort.
Turski, aux côtés d’autres survivants, est monté à la tribune de cet événement annuel, évoquant l’essor de la rhétorique et des violences antijuives à travers le monde.
« Il y a toujours eu des conflits entre voisins » note-t-il, mais quand les discours de haine deviennent hors de contrôle, « ça se termine toujours par un bain de sang ».
Ce sont environ 3 000 personnes – dont des dirigeants et des dignitaires du monde entier – qui assistent à cet événement organisé à l’occasion de la Journée internationale de commémoration de la Shoah. Un événement qui marque aussi la libération du camp de la mort d’Auschwitz-Birkenau par l’Armée rouge russe, le 27 janvier 1945 – il y a très exactement 80 ans.
Plus d’un million de Juifs de toute l’Europe y avaient été mis à mort pendant la Shoah, ainsi que 100 000 autres victimes.
Les intervenants qui se succèdent à la tribune soulignent l’importance d’éduquer les générations futures à la Shoah, en particulier à un moment où le nombre de survivants susceptibles de témoigner des atrocités diminue. Ils ne sont que 50 survivants à être présents dans la salle, contre 300 il y a dix ans. Et il est probable que très peu d’entre eux – voire aucun – seront encore en vie pour le 90e anniversaire de la libération d’Auschwitz, dans une décennie.
« Aujourd’hui, nous avons tous l’obligation non seulement de nous souvenir, mais aussi d’enseigner que la haine ne fait que donner naissance à plus de haine, à plus de tueries », dit Tova Friedman, une autre survivante, s’adressant à l’assistance.
Friedman, qui n’avait que six ans quand elle avait été libérée d’Auschwitz, se souvient parfaitement qu’elle se demandait si elle était dorénavant la seule petite enfant juive au monde alors qu’elle entendait les cris des parents qui pleuraient la mort de leurs proches.

« Je pensais que c’était normal ; je pensais que si vous étiez un enfant juif, vous deviez mourir », indique-t-elle.
S’entretenant avec le Times of Israel lors d’une réception qui était organisée la veille de l’événement, Friedman avait expliqué craindre que la mémoire de la Shoah ne sombre graduellement dans l’oubli lorsqu’il n’y aura plus de survivants pour témoigner.
« Je crains qu’une fois que nous ne serons plus là, les Polonais ne ferment Auschwitz ou qu’ils n’en fassent quelque chose de très commercial », avait confié Friedman, qui donne fréquemment des conférences sur ce qu’elle a vécu devant des publics du monde entier, et qui raconte son histoire sur une chaîne TikTok qui a été créée par son petit-fils.
Friedman nous avait aussi raconté qu’elle avait récemment repris contact avec un autre enfant survivant, Michael Bornstein, après avoir vu sa photo sur un livre de mémoires qu’il avait publié en 2017.
Dans l’ouvrage écrit par Bornstein, « The Survivors Club », se trouvait une photographie où l’auteur apparaissait enfant, à Auschwitz, entouré d’autres petits de son âge. Friedman, qui vit dans le même quartier de New York que Bornstein, l’avait contacté et tous les deux ont désormais uni leurs efforts, s’exprimant lors de conférences.

Bornstein, pour sa part, dit au Times of Israel qu’après la mort de son père, sa mère l’avait fait entrer dans les baraquements des femmes, où il se cachait sous un tas de paille pendant que les femmes partaient travailler, jour après jour.
« Je me souviens que ma mère me manquait, je me souviens que j’avais tellement faim que je volais des peaux de pommes de terre pour survivre », ajoute-t-il.
De son côté, Sylvia Smoller explique au Times of Israel que sa famille avait pu s’échapper de Varsovie en direction de Vilnius grâce à une série de hasards heureux, en 1939. « Le problème était qu’il n’y avait aucun moyen de sortir de Vilnius parce que les Russes avançaient depuis l’Est et que les Allemands arrivaient depuis l’Ouest », raconte-t-elle.
Heureusement, le père de Smoller avait entendu parler d’un diplomate japonais, Chiune Sugihara, qui accordait des visas aux Juifs de Lituanie. Sa famille avait reçu l’un des 2 000 visas qu’il avait rédigés en l’espace de deux semaines, sans permission préalable de son gouvernement.
« C’est un diplomate qui a agi en son âme et conscience et qui savait pertinemment que c’était le seul moyen pour les Juifs de sortir », précise-t-elle. « C’est grâce à lui que je suis ici aujourd’hui ».

Les tendances changeantes
Un certain nombre d’organisations ont diffusé des rapports, cette semaine, à l’occasion de la Journée internationale de commémoration de la Shoah.
Environ 123 715 survivants de la Shoah vivent en Israël – ils étaient 136 989 à la fin de l’année 2023, selon des données du gouvernement qui ont été publiées cette semaine.
Il y a, en Israël, 56 organisations différentes qui luttent pour les droits des survivants, note Colette Avital, ancienne membre de la Knesset, qui est actuellement présidente du Centre d’organisation des survivants de la Shoah au sein de l’État juif, un centre qui est chargé de superviser les activités de ces organisations. Les efforts livrés par ces groupes ont permis d’obtenir une aide financière pour les survivants de la part de nombreux pays – même si les survivants vivent, pour beaucoup, dans la pauvreté, confie l’ancienne députée au Times of Israel.

« Nous avons récemment mené des négociations avec le gouvernement polonais et avec le gouvernement roumain et nous sommes actuellement en train d’obtenir des pensions supplémentaires pour tous les survivants issus de ces pays », explique-t-elle. « Un grand nombre d’entre eux sont arrivés en Israël sans rien, et certains vivent encore dans le dénuement ».
Un rapport de l’université de Tel Aviv fait par ailleurs état de musées de la Shoah qui commencent à se disséminer dans le monde musulman, avec notamment des sites importants en Indonésie et aux Émirats arabes unis. « Ces musées ne représentent qu’un petit rayon de lumière, mais ce rayon, aussi modeste soit-il, est d’une grande importance », commente Uriya Shavit, directeur du Centre d’étude du judaïsme européen contemporain au sein de l’université.
L’organisation du Musée et du mémorial d’Auschwitz – qui gère le site du camp – a annoncé que plus de 1,8 million de personnes l’avaient visité en 2024, soit 10 % de plus qu’en 2023. Le chiffre reste toutefois en-deçà des chiffres antérieurs à la pandémie. Les contenus publiés sur les réseaux sociaux du musée ont été vus plus de 750 millions de fois au cours des douze derniers mois, a indiqué l’organisation dans un rapport publié au début du mois.