Le ministre de la Justice d’Israël conduirait le système judiciaire vers une dictature
Un groupe d’experts, parmi lesquels une ex-présidente de la Cour suprême et deux anciens chefs d’état-major de Tsahal, répond aux affirmations de Yariv Levin
Un groupe d’experts a analysé les déclarations du ministre de la Justice Yariv Levin concernant la nomination du président de la Cour suprême et la composition de la Commission de sélection des juges.
Ce groupe réunit Yarom Ariav, Dorit Beinisch, le Prof. David Harel, Dan Halutz, Moshe Yaalon, le Prof. Hagai Levine, le Prof. Barak Medina, la Dr Miri Mizrahi-Reuveni et Eran Etzion.
Vérification des faits : Les déclarations de Levin face aux faits.
1.
Déclaration de Levin : « La majorité de la population soutient une modification de la composition de la commission de sélection des juges. Mais cette volonté n’est pas entendue. »
Les faits : Le Likud, le parti de Levin, n’a jamais évoqué de refonte du système judiciaire lors de sa campagne électorale de 2022. Au contraire, cette réforme a été délibérément cachée aux électeurs, qui ont voté sur des promesses concernant la sécurité et le coût de la vie (à tel point que lorsque Levin a présenté la refonte, il a même surpris une partie de la coalition).
Quant à l’affirmation selon laquelle « la majorité soutient la réforme », elle n’a jamais été vérifiée. Les sondages indiquent plutôt l’inverse : une majorité de la population israélienne semble s’y opposer.
Il convient de noter que la composition de la commission de sélection des juges est ancienne et a existé sous des gouvernements de gauche comme de droite en Israël. Elle est considérée comme une structure très équilibrée qu’il convient de préserver, « le chemin étant plus sage que celui qui le parcourt ».
2.
Déclaration de Levin : « Une minorité (les juges siégeant à la commission de sélection des juges) impose sa volonté à la majorité, empêchant l’expression démocratique. »
Les faits : En réalité, au sein de la commission de sélection des juges, une majorité souhaite et exige explicitement la nomination d’un président à la Cour suprême. Paradoxalement, c’est la minorité qui, par un blocage systématique, empêche le processus démocratique.
Le refus de nommer un président de la Cour suprême ou tout autre juge dans les cas où Levin est minoritaire (comme des juges supplémentaires à la Cour suprême, des juges pour le tribunal de district de Jérusalem ou un juge pour le tribunal national du travail) constitue un veto illégitime. Il fait obstacle à la volonté de la majorité telle qu’elle est prescrite par la loi, créant ainsi une dictature dirigée par le seul ministre de la Justice.
Le refus de nommer un président de la Cour suprême ou tout autre juge dans les cas où Levin est minoritaire équivaut à un veto illégitime. Cela revient à créer une dictature régie par le seul ministre de la Justice.
Israël n’a jamais confié un pouvoir aussi considérable à un seul responsable politique. Ce que fait Levin repose sur une interprétation arbitraire, interdite et anti-démocratique de la loi. En agissant ainsi, il bloque délibérément le processus démocratique au sein de la commission de sélection des juges.
3.
Déclaration de Levin : « Les juges de la Cour suprême qui ont émis l’ordonnance (demandant à Levin de convoquer la commission) m’empêchent de remplir mes fonctions de ministre de la Justice. »
Les faits : Les juges ont émis une ordonnance enjoignant Levin à remplir ses fonctions, après avoir attendu pendant une longue période qu’il agisse de sa propre initiative. Cette ordonnance stipule qu’il doit convoquer la commission de sélection des juges et soumettre au vote, conformément à la loi, les candidats pour pourvoir les postes vacants dans les différentes juridictions, y compris celui de président de la Cour suprême.
Tous les ministres de la Justice précédents – qu’ils soient de droite ou de gauche – ont respecté la composition actuelle de la commission. Ils ont tous convoqué la commission et soumis au vote des questions urgentes, notamment la nomination de juges et celle d’un président de la Cour suprême.
Il est important de noter qu’une partie du désaccord actuel concerne la nomination du président de la Cour suprême selon le principe d’ancienneté, qui stipule que le juge le plus ancien de la Cour accède à cette fonction. Les juges de la Cour suprême n’empêchent pas Levin d’exercer ses fonctions de ministre ; ils lui rappellent seulement qu’il doit convoquer la commission et soumettre les questions au vote.
Les juges de la Cour suprême n’empêchent pas Levin d’exercer ses fonctions de ministre ; ils lui rappellent seulement qu’il doit convoquer la commission et soumettre les questions au vote
4.
Déclaration de Levin : « L’ordonnance émise par la Haute Cour me démet de facto de mes fonctions de ministre de la Justice. »
Les faits : La Haute Cour n’a introduit aucune nouvelle décision et n’a en aucun cas démis Levin de ses fonctions. Bien au contraire, Levin n’a pas été renvoyé et n’a pas été privé de ses pouvoirs. (Il n’a même pas été reconnu coupable d’outrage à la cour, bien qu’il refuse de se conformer à ses ordonnances et s’y oppose ouvertement.)
En Israël, un ministre de la Justice n’a jamais nommé seul les juges. Les nominations relèvent d’une commission composée de représentants des différentes branches du pouvoir, conformément au principe de séparation des pouvoirs.
Si les juges étaient nommés directement par des hommes politiques, la séparation des pouvoirs serait abolie, et les juges ne pourraient plus exercer leurs fonctions de manière indépendante et impartiale, sans influence politique.
5.
Déclaration de Levin : « La nomination selon le principe d’ancienneté annule la volonté des dirigeants élus. »
Les faits : Le principe d’ancienneté a été instauré précisément pour éviter que les nominations de juges ne deviennent des actes politiques, où chaque juge serait contraint de faire campagne pour obtenir le poste, provoquant des rivalités internes et une « course » pour s’attirer les faveurs des politiciens.
Le principe d’ancienneté a été instauré précisément pour éviter que les nominations de juges ne deviennent des actes politiques, où chaque juge serait contraint de faire campagne pour obtenir le poste, provoquant des rivalités internes et une « course » pour s’attirer les faveurs des politiciens
Selon ce principe, après le juge Isaac Amit, c’est le juge Noam Sohlberg qui devrait accéder au poste de président de la Cour suprême. Cette certitude et cet ordre établi sont à la fois raisonnables et justifiés, préservant une tradition ancienne en Israël, qui est également reconnue et appliquée dans d’autres pays.
6.
Déclaration de Levin : « Les juges de la Cour suprême, dirigés par Isaac Amit, sont en conflit d’intérêts puisqu’ils participent à la sélection de leurs pairs. »
Les faits : Le véritable conflit d’intérêts concerne le Premier ministre Benjamin Netanyahu, qui utilise Yariv Levin comme instrument pour promouvoir des intérêts personnels au détriment d’Israël et de ses citoyens.
Netanyahu est actif en politique depuis les années 1990, mais il n’a jamais cherché à influencer la composition de la commission de sélection des juges jusqu’à ce qu’il devienne un accusé dans des affaires pénales. Ce n’est qu’à ce moment-là que la question est devenue prioritaire pour lui.
Le conflit d’intérêts réside dans le fait que Netanyahu a choisi comme ministre de la Justice la personne la plus identifiée à la campagne contre le pouvoir judiciaire, une personne qui attaque constamment le système et refuse de pourvoir les postes vacants nécessaires à son bon fonctionnement.
Les tentatives d’interférer dans la composition de la commission et de bloquer ses réunions – qui visent à nommer un président de la Cour suprême, des juges supplémentaires pour cette Cour, ainsi que des juges pour d’autres tribunaux – sont des démarches autoritaires et antidémocratiques, qui nuisent gravement au public israélien.
Depuis des mois, la Cour suprême fonctionne avec un effectif réduit. Actuellement, seuls 11 juges sur 15 siègent, ce qui ralentit considérablement son travail et réduit son efficacité. Cela affecte directement les citoyens israéliens qui dépendent des services de la justice.
Netanyahu enfreint de manière systématique et répétée l’accord de conflit d’intérêts qu’il a signé en 2020.
Il convient de rappeler que Netanyahu enfreint de manière systématique et répétée l’accord de conflit d’intérêts qu’il a signé en 2020 devant les 11 juges de la Cour suprême. Cet accord était une condition essentielle qui lui permettait de former un gouvernement malgré les poursuites pénales en cours, à la condition explicite qu’il n’interviendrait pas dans le système judiciaire ni dans les affaires liées à son procès.
Ceux qui ne respectent pas leur accord sur les conflits d’intérêts ne peuvent pas se plaindre de ceux qui protègent la loi dans le cadre de leurs fonctions. D’ailleurs, Netanyahu a lui-même un jour averti du danger à ce qu’un prévenu pénal exerce les fonctions de Premier ministre :
« Un Premier ministre empêtré jusqu’au cou dans des enquêtes n’a ni mandat public ni légitimité morale pour prendre des décisions cruciales. Il existe une crainte réelle, fondée, qu’il prenne des décisions en fonction de ses intérêts personnels de survie, et non dans l’intérêt national. »
Il est inacceptable de reprocher aux autres de protéger la loi tout en modifiant les règles à son avantage, et en cherchant à transformer le système de gouvernance pour des intérêts personnels.
En conclusion
Le ministre de la Justice, Yariv Levin, n’a ni l’autorité, ni le droit, ni la moindre raison légitime de bloquer la nomination d’un président de la Cour suprême ou d’autres juges dans les tribunaux où des postes sont vacants, sous prétexte qu’il craint de se retrouver en minorité.
En Israël, le ministre de la Justice n’est pas un dirigeant absolu, et jamais auparavant un ministre n’a empêché un processus démocratique de sélection des juges au sein de la commission par peur d’être en minorité. Les actions de Levin sont contraires à la loi et aux décisions de la Cour suprême.
Les membres de la commission sont tenus de se réunir immédiatement, de respecter l’ordonnance de la Haute Cour et de nommer un président de la Cour suprême comme l’exige la tradition et la nécessité.
Les membres de la commission sont tenus de se réunir immédiatement, de respecter l’ordonnance de la Haute Cour et de nommer un président de la Cour suprême comme l’exige la tradition et la nécessité/
Il est également temps de procéder à la nomination de juges supplémentaires : à la Cour suprême, au tribunal de district de Jérusalem, au tribunal national du travail, ainsi qu’à toutes les juridictions où les procédures sont paralysées en raison des considérations politiques injustifiées de Levin.
Toute nouvelle obstruction de la part de Levin doit être empêchée de manière proactive ou retirée de l’ordre du jour en cours de discussion. C’est là la volonté de la majorité, la pratique traditionnelle des gouvernements de droite comme de gauche, et l’intérêt national.
Auteurs de ce texte :
– Yarom Ariav, ancien directeur général du ministère des Finances
– Dorit Beinisch, ancienne présidente de la Cour suprême
– David Harel, président de l’Académie israélienne des sciences et des lettres
– Dan Halutz, (Rés.), ancien chef d’état-major de Tsahal
– Moshe Yaalon, (Rés.), ancien ministre de la Défense et chef d’état-major de Tsahal
– Hagai Levine, président de l’Association israélienne des médecins de santé publique
– Barak Medina, ancien recteur et doyen de la faculté de droit de l’Université hébraïque
– Miri Mizrahi-Reuveni, directrice de l’école de médecine Dina Recanati et ancienne directrice générale adjointe des services de soin de santé Maccabi
– Eran Etzion, ancien chef adjoint du Conseil national de sécurité.
Traduit de l’original sur le site en hébreu du Times of Israel, Zman Yisrael.
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