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Le nouveau formulaire de recensement américain pose un dilemme aux Juifs

Une nouvelle question sur la race demande aux répondants blancs et afro-américains de préciser leur origine, et pour beaucoup, il s'agit d'une invitation surprise à l'autoréflexion

Le recensement de 2020 contient une question qui conduit les Juifs à se poser d'autres questions. (Illustration par Justin Sullivan/Getty Images via JTA)
Le recensement de 2020 contient une question qui conduit les Juifs à se poser d'autres questions. (Illustration par Justin Sullivan/Getty Images via JTA)

WASHINGTON (JTA) — C’est la neuvième question du formulaire de  recensement américain, et pour beaucoup de sondés juifs, il s’agit d’une invitation surprise – pas toujours bienvenue – à réfléchir sur ce qu’ils sont exactement.

Pour la première fois, cette question sur la race demande aux citoyens blancs et afro-américains de creuser un peu plus et de donner plus de détails sur leurs origines.

« Cochez une case ou plus et notez vos origines, demande le formulaire imprimé. Pour les blancs, il ajoute, « Écrivez, par exemple, allemand, irlandais, anglais, italien, libanais, égyptien etc. ».

Cette section sur les « origines » existe depuis des décennies pour les Américains natifs, les Hispaniques, les Asiatiques et les habitants des îles du Pacifique. Mais auparavant, on demandait aux blancs et aux noirs de ne cocher qu’une seule case.

La question a donné lieu à d’innombrables interrogations au sein de la communauté juive : « Qu’as-tu coché ? Que devrais-je cocher ? ».

Les réponses témoignent d’une communauté en difficulté pour savoir définir sa judéité au 21e siècle, et pour prendre en compte les nombreux chemins qui ont conduit les Juifs américains à l’époque présente.

« Je n’ai pas vu de case pour ‘peuple sans État maltraité et expulsé d’une région d’Europe de l’est à l’autre », donc cette question d’apparence simple s’est révélée beaucoup plus complexe », commente Jonathan Kopp, un expert en communication qui vit à Brooklyn.

Des immigrants juifs arrivant à un bureau d’immigration à Ellis Island à New York, 1910. (Photo par Apic/Getty Images via JTA)

L’homme de 53 ans a laissé de côté le formulaire pendant un certain temps avant d’y revenir en cochant blanc. Il a écrit « Juif ashkénaze d’Europe de l’est » dans la case « Origines ».

Jeff Weintraub, un universitaire de 72 ans qui vit dans la région de Philadelphie, a trouvé que les questions liées à la race, l’ethnicité et les origines nationales dans le recensement « étaient un peu bizarres ».

« J’ai coché ‘blanc’ et ensuite, pour préciser, j’ai écrit quelque chose dans les lignes suivantes : ‘Juif – grands-parents originaires de l’ancien empire russe et de l’ancien empire austro-hongrois », indique-t-il.

Et pour compliquer l’affaire, le recensement en ligne donne l’impression que la question « origines » n’est pas facultative – alors qu’elle l’est.

Laissez cet espace vide, cliquez sur continuer et la page ne changera pas. Le champ vide sera souligné, comme pour demander à l’utilisateur de le remplir. Mais si vous cliquez une deuxième fois, vous pouvez passer à la dixième question sans l’avoir remplie. Ce n’est pas expliqué dans le questionnaire.

Ce petit piège en a conduit certains à penser que la question nécessitait une réponse.

« Ashkénaze, juste parce que », rapporte Debra Rubin, une rédactrice en chef à Washington DC. Cela ne me laissait pas continuer, et je ne comprends pas pourquoi il y a cette question ici. Je pense que j’aurais pu écrire américaine ».

Qu’y a-t-il dans la question sur la race ?

La race est un élément du recensement américain depuis le tout premier réalisé en 1790, mais pendant les 150 premières années de l’existence de la nation, les réponses étaient utilisées comme un moyen de codifier plutôt que pour éradiquer les discriminations. Le premier présentait les catégories « hommes blancs libres, les femmes blanches libres », « toutes les autres personnes libres » et les « esclaves ».

Aujourd’hui, l’objectif est de corriger les pratiques discriminatoires.

« Ces données aident les agences fédérales à faire respecter les règles de lutte contre les discriminations, comme celles inscrites dans le Voting Rights Act et le Civil Rights Act », peut-on lire sur le site internet du recensement.

Pendant des années, la rubrique Race disposait de quatre grandes catégories : blanc, noir, américain natif et asiatique, avec « autres races » comme cinquième option. L’origine hispanique relevait d’une autre question.

L’élargissement de cette année résulte en partie d’une campagne de pression par des groupes d’origines du Moyen-Orient et d’Afrique du nord (MENA) qui ont déclaré qu’ils se sentaient mal à l’aise de cocher la case « blanc » et qui pensaient que l’option « autre race » était trop large. Pendant la période qui a conduit au recensement de 2020, les responsables du recensement ont envisagé de faire de « MENA » une catégorie à part entière.

Quoi Austro-Hongrois ?

Beaucoup de ceux qui ont répondu aux questions de la JTA ont commenté qu’ils ne savaient pas trop comment répondre parce que les pays d’origine de leurs ancêtres n’existent plus ou ont d’autres frontières, ou parce que ceux-ci ne venaient pas précisément d’un seul endroit – né dans un pays de parents d’un autre pays. Pour beaucoup, « ashkénaze » ou « séfarade » ont fait figure de solution par défaut, parce que cela exprimait une ethnicité de manière simple.

« La grande majorité de ma famille sont des Juifs russes et ukrainiens, mais mettre une de ces deux réponses ne semblait pas vraiment précis, estime Alex Dropkin, âgé de 29 ans, un brasseur dans la région de Chicago qui a répondu « ashkénaze ». « L’origine nationale pour les Juifs d’Europe de l’Est est un sujet compliqué et ne peut pas être traduite par un pays actuel ».

Des membres de vétérans de guerre juifs sur leur piquet de grêve au Carnegie Hall de New York le 24 janvier 1949 lisent une pancarte annonçant l’annulation d’un concert de Walter Gieseking, pianiste allemand. Ce dernier, qui avait joué devant Adolf Hitler, a été arrêté par des officiels de l’immigration avant que son concert ne commence. (AP Photo/Matty Zimmerman)

Se pencher sur son histoire est également difficile sur le plan émotionnel, confie Alex Dropkin.

« Les registres familiaux des Juifs russes existent rarement, et il est difficile d’en savoir beaucoup plus sur nos ancêtres à cause de tous les pogroms », a-t-il dit.

Felicia Grossman a coché « blanc » et a inscrit « américain » pour « origines » après en avoir discuté avec son mari.

Nous sommes tous arrivés assez tôt pour ne jamais être considérés comme des « citoyens » à part entière d’un autre pays, et la moitié des endroits n’existent plus tels quels (c’est-à-dire la Bavière, l’Autriche-Hongrie et l’Empire ottoman – sans parler des endroits qui n’existaient pas et qui existent maintenant, comme la Lituanie, la Biélorussie et l’Ukraine), donc on peut dire que c’est la réponse la plus exacte », estime Felicia Grossman, 37 ans, auteure de romans historiques qui vit dans la banlieue de Cleveland.

Lloyd Wolf, un photographe d’Arlington, en Virginie, a mis dans sa réponse tout ce qu’il savait.

J’ai mis quelque chose comme « Juif d’origine allemande, autrichienne et polonaise » parce que c’est ce que je suis, du moins depuis plusieurs générations », révèle-t-il sur Facebook.

Un même pays, des peuples différents

Morris Lewis, consultant en soins de santé à Caldwell, dans le New Jersey, a déclaré que ses voisins ayant grandi dans le Mississippi et en Géorgie étaient plus susceptibles d’identifier sa famille comme étant juive que les voisins non juifs dont les ancêtres étaient arrivés des mêmes pays.

« Nous avons peut-être partagé l’espace avec des Polonais, des Allemands, etc., mais nous avons une ethnicité et une culture complètement séparées », a déclaré Lewis, 59 ans, qui a inscrit « Juif ashkénaze ».

Trois des dix cavaliers de la liberté jugés à Tallahassee, en Floride, pour rassemblement illégal, s’entretiennent pendant une pause de l’audience le jeudi 22 juin 1961 à Tallahassee, en Floride. Ils ont été inculpés après avoir tenté d’entrer dans un restaurant de l’aéroport de la ville les 15 et 16 juin. De gauche à droite : le rabbin Israel Dresner, l’un des deux leaders juifs du groupe ; le révérend A.L. Hardge, l’un des trois Afro-Américains ; et le révérend Robert Storm de New York City, l’un des cinq prêtres protestants blancs. Trois sympathisants de l’intégration de Tallahassee sont également jugés. (Crédit : AP)

Susan Turnbull, qui vit dans le Maryland, la périphérie de Washington, et a occupé des postes de direction dans des organisations juives nationales et au sein du Parti démocrate, s’est inspirée des catégories rendues populaires par la récente prolifération des tests ADN.

« Juif ashkénaze – 100 % de ma description ADN », indique-t-elle.

Suellen Shapiro Kadis, une avocate qui vit dans la région de Cleveland et qui est membre du conseil d’administration de l’organisation mère de la JTA, 70 Faces Media, a déclaré qu’elle avait renseigné « russe », mais qu’elle n’en était pas satisfaite.

« Mon père est né en Angleterre sur la route. Ses papiers d’immigration portent la mention ‘hébreu’, ce que j’ai toujours pensé être un moyen de discrimination, mais c’est peut-être plus exact que ma réponse », commente-t-elle.

Rafaella Gunz, une écrivaine new-yorkaise de 26 ans, a coché « blanc » et a inscrit « juif ».

« J’ai fait cela pour montrer que, bien que je sois blanche dans certains contextes, en particulier aux États-Unis, je suis en fait ethniquement distincte et je viens d’un groupe de personnes ayant une histoire unique », justifie-t-elle.

Fierté (juive) et préjugés (anti-juifs)

Certains répondants se sont félicités de l’occasion de célébrer leurs origines.

« Je ne m’identifie tout simplement pas autrement que comme juif », fait savoir un sondé hassidique qui a demandé à ne pas être nommé.

Judith Marks se dit fière de répondre « Juif ashkénaze ».

« Être juive est une partie importante de mon identité, c’est ma principale identité », explique cette responsable de programme dans une association à but non lucratif de Boston.

La femme de 31 ans a déclaré qu’elle pensait que la question pourrait contribuer à briser le sentiment de privilège chez les autres Blancs.

« Il est important pour moi de m’identifier en tant que blanche parce que je bénéficie du privilège blanc et que je suis perçue comme blanche », indique-t-elle. « Lorsque vous êtes forcé de creuser plus profondément, d’aller au-delà du simple ‘je suis blanc’, on vous met dans le même bateau que les autres personnes ».

Des membres du Conseil National des Femmes Juives et d’autres organisations juives rassemblées pour la marche des femmes à Washington, le 21 janvier 2017 (Crédit : Ron Sachs via JTA)

D’autres se sont réjouis de la possibilité d’exprimer dans le recensement l’altérité qui, selon eux, les sépare du simple fait d’être blanc en Amérique.

Rebecca Einstein Schorr, rabbin à l’université Lafayette College d’Easton, en Pennsylvanie, a coché « autre race » et a inscrit « Ashkénaze (juif) ».

« Mon expérience de la vie en société est différente de celle des Blancs », estime-t-elle. « Le sentiment constant d’être un autre. Le sentiment d’antisémitisme. »

Certains répondants se méfient de la question.

« Je ne vois rien de bon pour lequel le bureau du recensement utiliserait les données sur l’origine ethnique », juge Frederick Winter, 72 ans, un employé fédéral retraité vivant à Arlington. « Je comprends qu’en vertu de la loi, les données du recensement ne sont pas partagées avec d’autres organismes, mais j’ai des doutes ».

Il a coché « blanc » et a entré « États-Unis » pour les origines.

Pour un couple, les sensibilités concernant le fait d’être juif dans une société non juive ont pris des directions opposées.

Gabriel Botnick, un rabbin de la région de Los Angeles, a coché la cinquième option, « autre race », et ajouté « juif » parce qu’il ne s’identifie pas comme « blanc » – « On m’a fait me sentir » non blanc dans le passé, indique-t-il. Sa femme, également rabbin et originaire de Grande-Bretagne, lui a demandé de cocher « blanc » et de ne pas indiquer ses origines.

« Elle dit que le climat actuel la met mal à l’aise à l’idée d’être répertoriée comme juive quelque part », explique M. Botnick.

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