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Le Printemps arabe, la première révolution smartphone

Hyper-connectées et majoritairement sans chef de file, ces mobilisations ont fusé tous azimuts, tels des flashmobs difficiles à juguler pour les autorités

(Crédit : Pexels)
(Crédit : Pexels)

Jamais révolution n’avait autant rayonné. Grâce aux réseaux sociaux et aux smartphones, l’esprit du Printemps arabe a déferlé au Moyen-Orient et contribué à renverser des dictatures vieillissantes. Depuis, la contre-offensive numérique des Etats autoritaires a fait taire nombre de militants.

À l’époque, faute de maîtriser ces outils, les régimes d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient ont été pris de court par la vitesse de propagation de la ferveur de ces soulèvements populaires sur Internet.

Hyper-connectées et majoritairement sans chef de file, ces mobilisations qui ont fait le Printemps arabe ont fusé tous azimuts, tels des flashmobs difficiles pour les autorités à juguler, avec des doléances issues de conciliabules publics sur Internet sans comités directeurs à huis clos.

« Les blogs et les réseaux sociaux n’ont pas été un déclencheur mais ils ont accompagné les mouvements », estime l’ancien militant tunisien Sami Ben Gharbia, auteur d’un blog en exil et rentré dans son pays lors du soulèvement en 2011. « Ils ont été une arme de communication redoutable. »

Depuis, les Etats autoritaires ont comblé leurs lacunes, se dotant d’un arsenal de cybersurveillance et de censure sur la Toile, ainsi que d’armées de « trolls ».

L’espoir né du Printemps arabe, lui, s’est rapidement éteint sous les assauts de nouveaux régimes encore plus répressifs ou de guerres dévastatrices en Syrie, en Libye, au Yémen.

Pour autant, les militants pro-démocratie de la première heure considèrent ces révoltes comme un tournant digital majeur, qui par la suite sera suivi dans le monde de « manifestations par hashtag », comme Occupy Wall Street et Black Lives Matter aux Etats-Unis ou le Mouvement des parapluies à Hong Kong.

Cette photo du 22 mars 2018 montre les logos des applications Facebook, Instagram, Whatsapp et autres réseaux sociaux sur un smartphone. (Arun Sankar/AFP)

Aujourd’hui, disent les cybermilitants arabes, les Etats ne contrôlent plus autant ce que les citoyens peuvent voir, savoir et dire, comme le montrent les vagues de mécontentement de 2019 et 2020 en Algérie, au Soudan, en Irak et au Liban.

Malgré la censure renforcée dans de nombreux pays, le souffle de liberté a permis d’améliorer le quotidien. En particulier dans le pays où tout a commencé, la Tunisie.

L’étincelle tunisienne

Le 17 décembre 2010, le vendeur ambulant Mohamed Bouazizi, excédé par la misère et les humiliations policières, s’immole par le feu à Sidi Bouzid, dans le centre du pays. Il a 26 ans.

Son acte désespéré illustre les souffrances de millions de personnes dans le monde réel mais c’est grâce au monde virtuel que son calvaire déclenche un mouvement de protestation qui s’étend comme une trainée de poudre.

Les smartphones, en permettant de prendre photos et vidéos, sont devenus des armes citoyennes d’information permettant à tout un chacun de témoigner et de mobiliser. Une tendance baptisée en anglais « mass mobile-isation » (« mobile » signifie « téléphone portable »).

Des « stories » (« histoires ») sont publiées sur Facebook, hors de portée des autorités répressives ayant depuis des décennies cadenassé les médias traditionnels.

« Le rôle de Facebook a été déterminant », se souvient Hamadi Kaloutcha, rentré en Tunisie après des études en Belgique et qui a lancé en 2008 le forum « I have a dream : une Tunisie démocratique ».

« On pouvait publier les informations à la barbe du régime », raconte-t-il. « La censure était bloquée, soit ils censuraient tout ce qui circulait, soit ils ne censuraient rien. »

Jusqu’alors, la contestation n’était que chuchotements. Craintes et apathie s’envolent chez des internautes qui voient leurs proches s’exprimer librement sur la Toile.

Les plateformes sur Internet servent de passerelles aux médias traditionnels, attisant davantage la révolte.

« Les médias internationaux comme Al-Jazeera ont couvert le soulèvement directement à partir de Facebook », relève M. Kaloutcha. « Nous n’avions pas d’autre plateforme de diffusion de vidéos. »

Sur cette photo d’archives prise le 20 mars 2006, l’ancien président tunisien Zine El Abidine Ben Ali salue la foule à son arrivée au stade de Radès, où il prononce son discours à l’occasion du cinquantième anniversaire de l’indépendance de la Tunisie par la France. (Crédit : Handout / AFP)

Le régime policier de Zine El Abidine Ben Ali est terrassé à une vitesse fulgurante. En moins d’un mois, le président tunisien quitte le pouvoir après 23 ans à la tête du pays.

Le graffiti « Merci Facebook » fleurit sur les murs du pays. On est alors des années avant que le géant des réseaux sociaux ne soit mis en cause pour son rôle dans la diffusion d’infox.

« La caméra est une arme »

Cette secousse en Tunisie entraîne rapidement un séisme politique dans le plus peuplé des pays de la région, l’Egypte.

La campagne sur Facebook « Nous sommes tous Khaled Saïd » ou « WAAKS » (acronyme anglais) sert de catalyseur. Ce blogueur de 28 ans a été torturé à mort par des policiers en 2010.

Des photos de son visage tuméfié et déformé deviennent virales – tandis que les autorités affirment, sans convaincre, qu’il a suffoqué après l’ingestion d’un sachet de drogue lors de son arrestation.

Alertées par les réseaux, des centaines de personnes assistent à ses funérailles puis à des manifestations silencieuses. Début 2011, le mouvement s’emballe et se transforme en mouvement de protestation contre le gouvernement.

La page Facebook WAAKS, qui dénonce la brutalité policière et la corruption généralisée, encourage au journalisme-citoyen, avec notamment une vidéo tutorielle « La caméra est mon arme ».

Au fil de la révolte égyptienne, les images mémorables se multiplient, comme celle d’un homme faisant face au canon à eau d’un véhicule blindé, en écho au manifestant chinois défiant une colonne de chars sur la place Tiananmen à Pékin en 1989.

Le groupe de pirates informatiques Anonymous prodigue des conseils pour percer les pare-feux et créer des sites miroir pour leurrer la censure.

Des bénévoles traduisent pour les médias étrangers les tweets en arabe, tandis que les médias étatiques accusent les « criminels » et les « ennemis étrangers » d’initier les manifestations.

En amont d’un « Vendredi de la colère », le 28 janvier 2011, le gouvernement finit par ordonner le blocage d’Internet et des réseaux de téléphonie mobile. Trop tard : la foule est immense, les jeunes ont lâché leurs écrans et rejoint la rue.

Le jeune blogueur Khaled Saïd est devenu une icône de la révolte et Hosni Moubarak est contraint à la démission en février 2011 après presque trois décennies au pouvoir.

Contre-offensive numérique 

Si l’expression « Printemps arabe » rappelle les espoirs de liberté du Printemps de Prague en 1968, il s’est terminé presque aussi irrémédiablement que la brève mobilisation écrasée par les chars soviétiques.

Les Etats de la région se sont empressés de renforcer et d’affiner leur cyber-attirail, menant une contre-offensive sans merci contre les militants s’exprimant sur Internet.

« Les autorités ont rapidement réagi pour contrôler cet espace stratégique », se souvient l’ancien militant marocain Nizar Bennamate, un des meneurs du « Mouvement du 20-Février », déclinaison marocaine du Printemps arabe.

Selon lui, des manifestants ont été « victimes de diffamation et de menaces sur les réseaux sociaux et certains médias sur Internet ».

Ce n’est semble-t-il pas terminé : Amnesty International affirmait en juin que les autorités marocaines espionnaient depuis janvier 2019 le journaliste militant Omar Radi via un logiciel de piratage sophistiqué implanté dans son téléphone portable.

Les icônes des applications pour smartphone TikTok et WeChat sur l’écran d’un smartphone. (Crédit : AP Photo / Mark Schiefelbein)

En Egypte, le pouvoir du maréchal Abdel Fattah al-Sissi a bâillonné quasiment toute contestation, bloqué des centaines de sites et emprisonné des internautes, y compris en juillet de jeunes influenceuses du réseau social Tiktok.

La mainmise de proches du régime sur des publications et des chaînes de télévision a « causé la mort du pluralisme dans le paysage médiatique » égyptien, déplore Sabrina Bennoui de Reporters sans Frontières (RSF). « Nous avons appelé cette évolution la ‘sissification’ des médias. »

Selon Amnesty, plusieurs pays du Golfe prennent eux « le prétexte (de l’épidémie de Covid-19) pour poursuivre leur dessein de suppression du droit à la liberté d’expression ».

Bataille des bots

Les conflits entre Etats sont également de plus en plus menés dans le cyber-espace.

Ainsi le contentieux diplomatique entre plusieurs pays du Golfe emmenés par l’Arabie saoudite et le Qatar depuis 2014 a généré de multiples attaques croisées d’armées de bots (programmes informatiques automatisés).

En Libye, les médiateurs onusiens ont récemment exhorté les parties en conflit à abandonner leurs armes dans le monde réel mais aussi leurs « incitations à la violence » dans le virtuel.

« Les outils qui ont catalysé le Printemps arabe (…) sont aussi bons ou aussi malveillants que leurs utilisateurs », a relevé le magazine spécialisé Wired. « Et il s’avère que les gens mauvais sont aussi très doués sur les réseaux sociaux. »

Le groupe jihadiste Etat islamique (EI), notamment, a beaucoup utilisé ces plateformes comme espace de propagande et de recrutement.

Aujourd’hui, alors que la plupart des pays arabes croupissent au fond du Classement mondial de la liberté de la presse de RSF, un timide espoir émane une nouvelle fois de la petite Tunisie.

Nawaat, autrefois l’un des plus importants blogs contestataires soumis à la censure étatique, est désormais un média à part entière, non partisan, sur Internet et avec un magazine imprimé.

Sami Ben Gharbia, qui tenait ce blog depuis les Pays-Bas où il avait fui le régime Ben Ali, est fier d’être un acteur reconnu dans le paysage médiatique de son pays. Il a notamment décroché un entretien avec un Premier ministre en exercice.

« Un gros débat a suivi la chute de Ben Ali », souligne-t-il. « Nous avions atteint notre objectif : fallait-il continuer et sous quelle forme ? »

« Après une transition, en 2013, nous avons décidé de professionnaliser la rédaction, pour faire de l’information indépendante de qualité, ce qui manque aujourd’hui » encore, dit-il.

« Avoir des bureaux et une équipe de journalistes travaillant librement (…) était un rêve il y a dix ans », confie-t-il. « Ce rêve s’est réalisé. »

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