Shoah : Le procès Gröning, « message » tardif après un « désastre » judiciaire
Environ 6 500 SS d'Auschwitz ont survécu à la guerre. 43 ont été traduits devant un tribunal et parmi eux, 9 ont été condamnés à perpétuité, 25 à des peines de prison et le reste a été acquitté
Le procès de l’ex-comptable d’Auschwitz, qui s’ouvre mardi à Lunebourg (nord de l’Allemagne), est un « message » adressé au monde et une occasion d’atténuer « le désastre » de la justice allemande d’après-guerre, estime l’écrivain allemand Christoph Heubner, président du Comité International Auschwitz.
Vous assistez la cinquantaine de survivants d’Auschwitz, venus du monde entier, qui se sont constitués parties civiles. Qu’attendez-vous de ce procès ?
Une mesure de justice, un intérêt du public, et un message adressé à l’Allemagne et au monde.
Le traitement judiciaire de ces crimes a été un désastre absolu, une tache sur la carte de visite de notre pays.
70 ans après la libération des camps, il faut encore tenir des procès parce que la justice allemande a lamentablement échoué sur cette question.
De nombreux criminels sont morts sans avoir jamais vu une salle d’audience de l’intérieur.
Aujourd’hui, certains survivants sont aussi convoqués comme témoins. C’est extrêmement important pour eux. Ils savent que de nombreux survivants ont parlé aux partis politiques allemands et se sont exprimés dans les écoles. Mais le terrain judiciaire est le plus important : c’est là qu’on dit le droit et qu’on défend les droits de l’homme, et c’est là qu’on accorde à leurs témoignages une valeur judiciaire.
Par ailleurs, ce procès envoie un signal aux génocidaires d’aujourd’hui : le temps n’efface pas les fautes. Cela peut prendre très longtemps, mais le jour du jugement finit par venir.
Oskar Gröning s’est spontanément exprimé sur son passé, bien avant d’être mis en cause par la justice. Que pensez-vous de son attitude ?
Il a avancé de quelques pas. Son cas est bien particulier. Il a largement attesté de ce qu’il a vu à Auschwitz et de ce qui s’y est passé. Mais il n’ose pas – ou il s’est toujours refusé à franchir cette étape – avouer sa propre contribution à cette usine de mort : « J’y ai assisté, mais je n’ai commis aucune faute ».
Or, le plus petit rouage d’une machine à tuer est impliqué dans les meurtres, et il va être confronté à cette faute devant le tribunal.
Pour moi, il est secondaire qu’il aille ou non en prison et que son état de santé lui permette une détention. Le principal est que le procès ait lieu.
Ce procès pourrait être le dernier d’un ancien nazi en Allemagne. Quel bilan faites-vous du traitement par la justice allemande des crimes du IIIe Reich ?
C’est un scandale dans l’histoire allemande d’après-guerre. Environ 6 500 SS d’Auschwitz ont survécu à la guerre.
En Allemagne, 43 ont été traduits devant un tribunal et parmi eux, 9 ont été condamnés à perpétuité, 25 à des peines de prison et le reste a été acquitté. C’est un pourcentage infime.
Après guerre, les criminels ont repris la place qu’ils occupaient dans la société. Ils se sont fondus dans le paysage et pendant longtemps, personne ne s’est intéressé à eux et à leurs actes.
Pour les survivants, qu’il y ait eu si peu d’efforts pour les confronter à leurs responsabilités reste un chapitre très douloureux.