Le système du médiateur des juges est en danger, selon un député de l’opposition
Un projet de loi de la coalition menace de prendre le contrôle total du système, dit-il ; la procureure-général adjointe critique ce changement envisagé dans le processus de nomination à ce poste
Jeremy Sharon est le correspondant du Times of Israel chargé des affaires juridiques et des implantations.

Les députés de l’opposition ont dénoncé une législation proposée par la coalition qui viendrait modifier le mode de nomination au poste de médiateur des juges, accusant le gouvernement de politiser le processus et le mécanisme permettant de porter plainte et de contrôler les juges lui-même.
Gilad Kariv, qui est député du parti des Démocrates, a indiqué mardi que le projet de loi était « une prise de contrôle complète par le gouvernement et la coalition » du rôle du médiateur – susceptible de transformer ce système de médiation en arme. De son côté, la procureure-générale adjointe a laissé entendre que la coalition faisait avancer la législation pour répondre à ses propres intérêts politiques.
Par ailleurs, les députés de l’opposition ont déposé plainte auprès du conseiller juridique de la Knesset, Sagit Afik, mardi soir, lui demandant d’intervenir dans ce qu’ils considèrent comme de graves violations des procédures législatives de la part du président de la commission de la Constitution, du droit et de la justice de la Knesset, Simcha Rothman, qui fait avancer le projet de loi.
Rothman a procédé à des modifications à la législation dans l’après-midi de lundi et une audience de sa commission n’a duré que 45 minutes mardi, alors même qu’il a l’intention de soumettre le texte au vote des membres de cette dernière la semaine prochaine – un texte qui, selon les députés de l’opposition, entre dans l’agenda du plan de refonte radicale du système judiciaire prôné par le gouvernement depuis son arrivée au pouvoir.
Les députés Karine Elhrarrar, Gilad Kariv et Yoav Segalovich, qui sont tous membres de l’opposition au sein de la commission de la Constitution, accusent Rothman d’avoir violé de nombreuses procédures législatives, et ils demandent à Afik d’intervenir et de veiller à ce que les règles soient dûment respectées.
Le pouvoir de nommer le médiateur des juges a relevé, jusqu’à présent, de la commission de sélection des juges. Si le projet de loi est adopté, il serait dorénavant désigné par une nouvelle commission de sept membres spécifiquement et uniquement chargée de cette nomination.
Mais la composition même de cette commission accorderait probablement à la coalition actuelle une majorité en son sein – ce qui a suscité des accusations de politisation du système.

Selon le nouveau projet de loi, la commission qui aura pour mission de nommer le médiateur sera composée de sept membres – dont le ministre de la Justice qui la présidera ; le ministre du Travail ; un député choisi par la Knesset, un juge à la retraite choisi par la Cour suprême, un juge à la retraite choisi par les présidents des tribunaux de district d’Israël, un juge des tribunaux rabbiniques à la retraite choisi par les grands rabbins, et le médiateur.
En supposant que les grands rabbins, qui sont actuellement politiquement alignés sur les partis politiques ultra-orthodoxes, membres de la coalition, nomment un juge rabbinique enclin à voter avec la coalition, cette dernière serait susceptible de disposer d’une majorité au sein du panel.
Ce poste de médiateur est vacant depuis le mois de mai 2024, après le départ à la retraite du dernier titulaire, Uri Shoham. Le ministre de la Justice, Yariv Levin, et le président en exercice de la Cour suprême, Uri Vogelman, ne sont pas parvenus à se mettre d’accord sur le nom de son remplaçant. De surcroît, Levin boycotte Amit depuis qu’il a succédé à Vogelman au mois d’octobre dernier – ce qui a entraîné une impasse dans cette désignation.
Rothman a rejeté les accusations formulées à son encontre lors de l’audience de mardi, affirmant avec conviction que la nouvelle loi réduira, en définitive, le contrôle exercé par le gouvernement sur le processus, dans la mesure où le ministre de la Justice n’aura plus de droit de veto sur la nomination du médiateur.
Il a également déclaré que le nouveau projet de loi était un compromis par rapport à une version précédente de la législation qu’il avait initialement présentée – une version qui proposait l’élection du médiateur en séance plénière de la Knesset, processus qui aurait accordé à la coalition un contrôle total sur cette désignation.
Rothman a également insisté sur le fait que le système actuel était imparfait puisqu’il permettait au président de la Cour suprême de bloquer une nomination – ce qui, selon Rothman, donne à la Cour le pouvoir de s’assurer que le médiateur ne sera pas trop critique à l’égard du pouvoir judiciaire lui-même ou de son indépendance.
Le vote sur le projet de loi au sein de la commission pourrait commencer dès la semaine prochaine et, s’il est approuvé, il passerait ensuite en lecture finale en plénière de la Knesset avant d’être définitivement adopté.

Dans leur lettre écrite à Afik, les trois députés de l’opposition ont déploré le fait que Rothman souhaitait que la nouvelle législation entre en vigueur immédiatement, notant que la commission n’avait pas reçu un avis juridique réactualisé au sujet de la législation suite aux derniers changements apportés par Rothman et que la proposition manquait de détails pourtant déterminants. « Nous vous demandons d’intervenir de manière à ce que le processus législatif se poursuive de manière appropriée avant qu’un projet final ne soit soumis au vote », ont-ils demandé au conseiller juridique de la Knesset.
Au cours d’une audience qui était organisée lundi, la vice-procureure générale Avital Sompolinsky a suggéré d’amender la législation afin d’accorder « une plus grande expression » aux professionnels de la justice qui siègent au sein de la commission, au détriment des politiques.
Elle a également vivement critiqué les changements survenus dans la manière dont la coalition a été amenée à légiférer sur un projet de loi relatif à la désignation d’un médiateur alors que le poste est actuellement vacant. Elle a estimé que cette initiative équivalait à « changer les règles du jeu pendant le jeu ».
Des propos qui ont été rejetés par Rothman qui a laissé entendre qu’ils étaient idéologiques et qui a insisté sur la nécessité de réformer le système actuel.
Kariv, de son côté, a catégoriquement condamné la législation, déclarant lors de l’audience de mardi qu’elle permettrait à Levin et Rothman de prendre le contrôle du bureau du médiateur et qu’il s’agissait d’une « loi totale de l’enveloppe de refonte judiciaire ».
« C’est une prise de contrôle complète par le gouvernement et par la coalition du rôle déterminant que tient le médiateur à l’égard des juges », a dit Kariv. Le député a ajouté que la loi poursuivrait une tendance existante, par laquelle les magistrats sont « marqués » avant d’être attaqués « en raison de leurs positionnements judiciaires, avec une utilisation manipulatrice de l’institution en charge des plaintes déposées contre les juges – cela dans le but de répandre la peur, d’intervenir dans un débat équilibré et de faire taire les différents positionnements ».
Lors de l’audience de lundi, Sompolinsky s’est concentrée sur ses inquiétudes procédurales concernant les changements susceptibles d’intervenir dans la loi à un moment où le poste est vacant.
Elle a notamment souligné la manière dont la loi exclut totalement le président de la Cour suprême, alors que dans le système actuel, le ministre de la Justice et le président de la Cour suprême doivent se mettre d’accord sur un candidat avant de soumettre son nom au vote de la commission de Sélection des juges.

« Changer la position des joueurs sur le plateau de jeu alors que nous sommes en pleine partie soulève des difficultés de fond que la Cour suprême a rejetées, et le [nouvel] arrangement devra ainsi prendre effet de manière prospective », a-t-elle affirmé – c’est-à-dire après que le prochain médiateur aura été choisi.
« Le président de la Cour suprême disparaît du tableau et le ministre de la Justice doit trouver des accords avec les autres parties qui entrent dans le jeu », a-t-elle noté.
« C’est la définition même d’un changement des règles du jeu en cours de partie », a-t-elle poursuivi, ajoutant, face à l’hostilité manifeste des députés de la coalition à l’égard de ses propos, que « c’est un phénomène qui prend de l’ampleur dans cette Knesset ».
Rothman, pour sa part, a martelé que Sompolinsky et la procureure-générale avaient fait preuve d’une politique de deux poids, deux mesures concernant d’autres lois qui seront immédiatement applicables lorsque les représentants juridiques disposeront d’une majorité.
Il a également affirmé que son projet de loi, au contraire, réduira le contrôle exercé par le gouvernement sur le processus.
« Dans la situation actuelle, le ministre de la Justice a un droit de veto total sur la question de cette désignation, un droit de veto à 100 % pour la coalition », a déclaré Rothman.
« L’un des principaux problèmes que le projet de loi vise à résoudre, c’est que ça ne fonctionne pas lorsque vous nommez une personne qui est la chair et le sang du système, et le problème, c’est quand une personne qui fait l’objet d’une plainte est amenée à enquêter sur des plaintes qui la concernent directement », a ajouté Rothman en évoquant les procédures actuelles en matière de nomination d’un médiateur.
« C’est une véritable honte qu’une personne puisse opposer son veto à la nomination d’un individu qui enquêtera sur des plaintes le concernant quelques instants seulement après avoir été nommé à son poste », a-t-il continué, faisant référence aux accusations de mauvaise conduite lancées à l’encontre d’Amit quelques jours avant qu’il ne soit désigné à la présidence de la Cour suprême.