Le voyage « pas si juif » d’une école hébraïque sous contrat en Israël
Bénéficiant de financements publics, l'Académie de langue hébraïque de Brooklyn va éviter les sujets typiquement juifs et se focaliser sur la culture israélienne

NEW YORK (JTA) — Pour son premier voyage en Israël, le mois prochain, Melodee Pouponneau, une élève de quatrième, est très excitée à l’idée de visiter Tel Aviv et de découvrir la nourriture israélienne. Elle est également impatiente de pratiquer l’hébreu, sa troisième langue.
Ce sera un changement édifiant par rapport à la vie qu’elle mène chez elle à Brooklyn, où elle parle le créole, la langue de ses parents originaires de Haïti, et mange les recettes issues de cette nation des Caraïbes.
Pouponneau, 12 ans, n’est pas juive mais elle a la certitude de pouvoir échanger avec les Israéliens lorsqu’elle visitera l’Etat juif. En tant qu’élève de l’Académie de langue hébraïque, une école sous contrat de Brooklyn, elle étudie la culture hébraïque et israélienne depuis le jardin d’enfants.
« Je suis excitée parce que je ne vais pas être mal à l’aise parce que je parle hébreu », a-t-elle dit. « Si j’allais en Israël et que je ne parlais pas hébreu du tout, ça serait bizarre ».
Pouponneau est l’une des 33 élèves de quatrième scolarisée dans deux écoles privées hébraïques qui se rendront en Israël dans le cadre d’un voyage scolaire. Ce voyage a pour objectif de donner aux élèves un aperçu de première main de la langue et de la culture qu’ils apprennent à l’école. Mais parce que ces établissements bénéficient d’un financement public, le programme doit respecter une limite : Pendant les 10 jours passés en Israël, l’objectif sera d’immerger les élèves dans la culture israélienne – mais sans engagement ouvertement juif et sans l’adoption d’un positionnement politique.
Contrairement aux externats juifs qui sont privés, les écoles sous contrat reçoivent l’argent du contribuable et sont gratuites et ouvertes à tous les élèves originaires de tous les milieux. Et à cause de cela, elles ne peuvent offrir un enseignement religieux aux enfants – même si ces derniers peuvent apprendre une langue, une culture ou une histoire particulières.
Les deux écoles qui participent au voyage – l’Académie hébraïque et l’Académie internationale de Hatikvah à East Brunswick, dans le New Jersey — font toutes les deux partie de l’organisation Hebrew Public, un réseau national de quatre écoles hébraïques sous contrat gérées directement par l’association qui compte également six établissements affiliés.
Durant la visite d’un journaliste à l’école de Brooklyn au début de la semaine, les élèves de CP étaient en train d’apprendre une danse israélienne tandis que les CE2 passaient un examen d’hébreu. Pour leur part, les élèves de quatrième – qui se préparaient pour le voyage – découvraient le sabich, un sandwich israélien à l’oeuf et à l’aubergine.
Mira Yusupov, professeur d’hébreu, a expliqué que le programme évitait les leçons traditionnelles de grammaire en faveur de l’apprentissage de la conversation au quotidien.
« Il n’y a pas d’Alef-Bet« , a-t-elle dit, se référant à l’apprentissage par coeur de l’alphabet hébreu. « S’ils vont dans un café, nous leur apprenons ce qui est nécessaire – comment passer une commande ».
Yusupov, qui accompagnera les élèves pendant le voyage, espère que l’expérience permettra aux enfants de faire entrer un peu plus la culture israélienne au sein de leurs existences. Le voyage de 10 jours suivra un itinéraire largement similaire à celui emprunté à Birthright, l’organisation en charge de voyages gratuits de dix jours en Israël qui sont offerts aux jeunes adultes juifs.
Le séjour, pour les élèves, commencera à Tel Aviv, avec les visites d’un pôle technologique et des marchés en plein air. Puis les élèves se promèneront à dos de chameau dans un village bédouin, flotteront dans la mer Morte, randonneront jusqu’à l’ancienne forteresse de Masada. Ils passeront également quelques jours à Jérusalem puis un peu de temps dans un kibboutz, au nord du pays.
Mais parce que le voyage n’est pas juif, les lieux visités seront toutefois différents de ceux proposés pendant les voyages de Birthright. Les élèves n’iront pas à Yad Vashem, le musée israélien de l’Holocauste –
ils ont visité son équivalent lors d’un déplacement à Washington. Ils se rendront néanmoins dans une mosquée, à l’église du Saint-Sépulcre, sur la Via Dolorosa et dans un village druze.
Ils s’arrêteront également dans une école arabo-juive de Jérusalem, « la main dans la main », et seront accueillis par le groupe Kids4Peace, une organisation qui rassemble des enfants israéliens et palestiniens. Ils visiteront le mur Occidental vendredi soir mais n’y prieront pas, et le dîner, cette soirée-là, ne comprendra ni prières communautaires, ni challah [pain de Shabbat].
« Nous n’allons pas couper tout ce qui est juif en tant que tel, mais je pense que le genre de réflexions, de conversations que nous aurons n’évolueront pas autour de l’identité juive », explique Jessica Lieberman, directrice des études israéliennes au sein de Hebrew Public. « Nous n’allons pas nous plonger dans des questions comme : ‘Que cela signifie-t-il d’être un Juif américain et de découvrir toutes ces choses ? »
L’Académie a été fondée en 2009 grâce à des fonds privés de Michael Steinhardt — qui finance également Birthright — et d’autres Juifs philanthropes qui ont aidé à soutenir le réseau à sa création. Elle fait partie d’une douzaine d’établissements sous contrat en langue hébraïque qui existent dans tous les Etats-Unis. Dorénavant, l’école fonctionne entièrement grâce à des fonds publics et choisit ses élèves grâce à un tirage au sort au sein du district. L’Académie estime qu’environ 50 % de ses élèves sont juifs, et accueille également de nombreux élèves dont les parents viennent des Caraïbes.
Et à cause de cela, elle doit relever le défi de ne « pas être trop juive » au quotidien. L’établissement évite d’enseigner le judaïsme en se concentrant exclusivement sur l’enseignement de la langue et l’éducation israélienne –
gastronomie, musique, géographie et histoire. Mais au premier regard, l’école pourrait être confondue avec un externat juif classique : Des phrases en hébreu sont accrochées aux murs et les classes portent le nom de villes israéliennes. L’école est décorée aux couleurs des drapeaux israélien et américain.
« Nous construisons une école bilingue en privilégiant la reconnaissance particulière de la langue hébraïque et d’Israël », explique Peter Katcher, le directeur de l’établissement. « La genèse de ce voyage en Israël représente l’apogée de ces nombreuses années d’étude. Le plus important dans tout cela, c’est d’avoir le respect et la compréhension de la culture ».
En tant que tel, et tout en évitant les questions spécifiquement religieuses pendant le voyage, les élèves vont être amenés à mettre le doigt sur le conflit israélo-arabe. Ils visiteront la ville de Sderot, frontalière avec Gaza, et la frontière libanaise, où les élèves écouteront une conférence donnée par un expert local de sécurité. Ils pourront également écouter une allocution d’un législateur du parti travailliste.
« Le conflit est manifestement une partie importante d’Israël et de l’apprentissage sur le pays », a commenté Lieberman. « Ce n’est pas le principal objectif du voyage. Je veux également voir ce que savent les élèves et quelles sont les questions qu’ils ont à poser parce que nous avons intégré dans ce séjour un grand nombre de rencontres avec énormément de gens différents ».
Et tandis que Katcher a précisé que le groupe se tiendrait à l’écart de la Cisjordanie, il a ajouté qu’il visitera Jérusalem-Est – qu’Israël considère comme appartenant à sa capitale unique mais que les Palestiniens revendiquent comme capitale d’un futur état. L’itinéraire comprend un arrêt dans la Cité de David, un parc archéologique juif ouvert aux touristes dans le quartier arabe de Silwan . Lieberlan a expliqué que sa visite se concentrera sur l’archéologie et que l’école n’a pas pris en compte l’endroit où se situait le parc au moment de la préparation du voyage.

Un voyage en Israël n’est pas politique ou religieux en soi – tout comme un voyage en France et à Notre Dame n’est pas catholique en lui-même, estime Shaul Kelner, professeur en études juives à l’université Vanderbilt, qui se concentre sur les voyages de la diaspora juive en Israël.
« La langue et la culture sont intimement connectés », dit-il. « L’instruction du langage global, ce n’est pas seulement apprendre à s’exprimer avec un code différent. C’est apprendre la culture connectée à ce code.
Justement, pour quelques-uns des enfants qui partent en voyage, la complexité de la politique et de la religion sont au mieux une pensée d’après-coup. Justin Matushansky, 14 ans, est allé l’année dernière en Israël pour fêter sa bar-mitzvah avec sa famille. Il est très excité à l’idée de retrouver la gastronomie israélienne lorsqu’il y retournera au mois de novembre.
« Ils ont vraiment de bons burgers », s’est-il exclamé. « Avec des dégustations gratuites de falafel. Je veux essayer la pita pour le falafel. »
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