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L’école russe tente de remettre les jeunes opposants vers le droit chemin… de Poutine

Lycéens et étudiants, souvent nés au début du siècle quand le président russe arrivait au pouvoir, cherchent plus que jamais à être citoyens

Manifestation de l'opposition dans le centre de Moscou, le 26 mars 2017. (Crédit : Alexander Utkin/AFP)
Manifestation de l'opposition dans le centre de Moscou, le 26 mars 2017. (Crédit : Alexander Utkin/AFP)

Lorsqu’il est arrivé en classe, Sergueï Tchaïkovski s’attendait à suivre son cours d’histoire habituel. Mais son professeur avait décidé à la place de faire un cours « contre l’extrémisme » pour dénoncer les opinions du jeune opposant.

« Fasciste », « laquais des Anglo-saxons », « traître » : le professeur n’a pas mâché ses mots contre le lycéen de 18 ans quand il a appris qu’il avait participé à une manifestation anticorruption le 26 mars à Tomsk, en Sibérie, organisée par les partisans de l’opposant numéro un au Kremlin, Alexeï Navalny.

« Devant toute la classe, il a dit qu’il était de sa responsabilité que mes camarades ne deviennent pas comme moi », raconte à l’AFP Sergueï, qui a filmé en cachette la diatribe du professeur et a posté la vidéo sur les réseaux sociaux. « Ce n’était pas éthique : il voulait m’humilier ou m’intimider », résume-t-il.

Le lycéen a porté l’affaire auprès de la directrice de l’établissement. Interrogée par une chaîne de télévision locale, la directrice a estimé qu’il s’agissait « simplement de l’hystérie d’un professeur ».

Pourtant, le cas est loin d’être isolé : de nombreux lycées et universités ont organisé des réunions obligatoires pour les élèves après les manifestations du 26 mars, qui ont réuni des dizaines de milliers de Russes à travers le pays et donné lieu à un millier d’arrestations, principalement à Moscou.

Arrestation lors d'une manifestation de l'opposition dans le centre de Moscou, le 26 mars 2017. (Crédit : Alexander Utkin/AFP)
Arrestation lors d’une manifestation de l’opposition dans le centre de Moscou, le 26 mars 2017. (Crédit : Alexander Utkin/AFP)

D’une rare ampleur, ces manifestations ont été marquées par le fait que des lycéens et étudiants, souvent nés au début du siècle quand Vladimir Poutine arrivait au pouvoir, sont descendus dans la rue.

« Je suis vraiment heureux de la naissance dans ce pays d’une génération qui veut être citoyenne, qui n’a pas peur », avait commenté au lendemain des manifestations M. Navalny, un avocat et blogueur anticorruption âgé de 40 ans qui entend défier Vladimir Poutine à la présidentielle de 2018.

Le danger de la révolution

Dans la ville de Samara (sud-ouest de la Russie), plus de 3 000 étudiants ont été forcés à participer à une longue conférence contre l’extrémisme, où il leur a été expliqué que les manifestations du 26 mars pouvaient se transformer en « mouvements armés », explique à l’AFP un étudiant présent sur place.

« Pour lutter contre l’extrémisme, il faut soutenir [Nikolaï] Merkouchkine », le gouverneur de la région, accusé de corruption par Alexeï Navalny, a lancé l’un des intervenants, selon cet étudiant qui a souhaité garder l’anonymat.

Mikhail Khorkovsky après sa libération de prison, le 22 décembre 2013. (Crédit : Mitya Aleshkovsky/CC BY-SA 3.0/WikiCommons)
Mikhail Khorkovsky après sa libération de prison, le 22 décembre 2013. (Crédit : Mitya Aleshkovsky/CC BY-SA 3.0/WikiCommons)

Dans une autre réunion à Samara, quatre prêtres orthodoxes ont sermonné des étudiants convoqués pour l’occasion sur les dangers des « mouvements révolutionnaires », rappelant « l’effondrement du pays » causé par la révolution de 1917, a raconté une étudiante citée par l’organisation Open Russia financée par l’opposant en exil Mikhaïl Khodorkovski.

A Saint-Pétersbourg, les étudiants de l’Université polytechnique ont dû, eux, participer à un cours d’éducation politique puis remplir un questionnaire sur l’extrémisme.

« Êtes-vous disposés à aider les forces de l’ordre ? Quelle est votre attitude face aux extrémistes ? Pensez-vous que les médias alimentent l’extrémisme ? », pouvait-on lire dans ce questionnaire dont l’AFP s’est procuré une copie.

Des jeunes plus politisés

Des étudiants de Vladimir, à trois heures de route de Moscou, ont pour leur part été convoqués pour regarder un film faisant un parallèle entre Alexeï Navalny et Hitler. « En ce moment, une guerre de l’information a lieu contre la Russie […] et elle mise tout sur les jeunes », a expliqué une des intervenantes, d’après une vidéo publiée sur YouTube.

Andreï Roudoï, professeur d’histoire à Dzerjinsk, 400 km à l’est de Moscou, explique constater « depuis un an » dans ses cours que ses élèves « débattent davantage » qu’auparavant, qu’ils « sont de plus en plus nombreux à parler politique », « ils participent à des réunions, à des groupes politiques ». « Et cela fait peur au pouvoir », juge-t-il.

« Que ce soit au niveau national ou régional, une directive a dû être donnée pour calmer les lycéens et étudiants », estime ce jeune professeur, en observant la multiplication des conférences et réunions organisées « contre l’extrémisme » depuis les manifestations du 26 mars.

L’extrémisme, un délit à la définition floue et passible de 8 ans de détention depuis une loi votée en 2007, est souvent invoqué par les autorités pour fermer des expositions, bloquer des sites internet, arrêter des sympathisants de l’organisation jihadiste terroriste Etat islamique ou tout simplement interpeller des opposants.

Cours de morale

Dans le cadre de la lutte contre « l’extrémisme », des établissements ont chargé les professeurs de convaincre leurs élèves et étudiants de ne pas aller manifester contre la corruption à l’appel d’Alexeï Navalny.

Alexei Navalny, leader de l'opposition russe, pendant une manifestation à Moscou, le 14 mai 2017. (Crédit : Ivan Vodopyanov/AFP)
Alexei Navalny, leader de l’opposition russe, pendant une manifestation à Moscou, le 14 mai 2017. (Crédit : Ivan Vodopyanov/AFP)

Cela a été le cas dans le lycée où étudie Nikolaï, 13 ans, à Voljski, une ville de 300 000 habitants du sud de la Russie.

Au lieu du cours de technologie attendu, sa professeure a annoncé qu’ils allaient discuter de la stabilité du système politique russe.

« J’ai alors parlé de Navalny et ma professeure a commencé à être très nerveuse », raconte-t-il à l’AFP. « Pendant une heure, elle nous a fait la morale, on s’est beaucoup ennuyé ».

« Ils n’ont pas le droit de nous ‘rééduquer’, s’insurge-t-il. Je pense qu’ils le font parce qu’ils ont peur. Ils savent qu’un jour nous irons voter. »

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