L’économie au cœur du rétablissement des relations Israël/Turquie
Depuis Jérusalem, Lapid et Cavusoglu évoquent un accord sur l’aviation et la coopération économique. Le rétablissement de relations diplomatiques semble possible
Lazar Berman est le correspondant diplomatique du Times of Israël
S’exprimant aux côtés de son homologue turc, le ministre des Affaires étrangères Yair Lapid a annoncé mercredi deux nouvelles étapes dans le lent processus de réconciliation entre les deux puissances régionales.
« Nous avons convenu de relancer notre Commission économique mixte », a déclaré M. Lapid, « et de travailler à un nouvel accord en matière d’aviation civile entre nos deux pays. »
Lapid et le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlut Cavusoglu, ont fait des déclarations publiques en anglais au ministère des Affaires étrangères à l’issue de deux réunions, la première en tête à tête et la seconde, en présence des leurs équipes respectives.
Les compagnies aériennes israéliennes sont exclues du marché turc -particulièrement lucratif – depuis 2007, date à laquelle la Turquie a refusé de se plier aux exigences de sécurité spécifiques d’Israël. Entre-temps, Turkish Airlines a consolidé sa position de deuxième plus grande compagnie aérienne opérant à partir d’Israël, après El Al.
Un nouvel accord sur l’aviation devrait permettre aux transporteurs israéliens de desservir à nouveau la Turquie, destination touristique de premier plan pour les Israéliens.
Les deux ministres n’ont évoqué aucun calendrier pour un échange d’ambassadeurs, signe que cette étape tant attendue n’interviendra qu’à l’issue de nouveaux progrès dans les relations bilatérales.
Après des affrontements meurtriers avec Gaza en 2018, la Turquie avait renvoyé l’ambassadeur d’Israël, soumis à un contrôle de sécurité humiliant devant l’œil des caméras. Jérusalem avait agi de même.
Lapid a déclaré mercredi que Cavusoglu et lui s’attendaient à ce que les relations économiques accompagnent le développement de relations diplomatiques et sécuritaires plus étroites.
« L’objectif est d’établir et intensifier la coopération économique et civile entre nos deux pays », a déclaré M. Lapid, « de créer des liens interentreprises et interpersonnels, et de tirer parti des avantages comparatifs de nos deux pays aux niveaux régional et mondial. »
« Au-delà de la diplomatie, Monsieur le Ministre, les Israéliens aiment tout simplement la Turquie », a déclaré Lapid, évoquant les milliers d’Israéliens qui se rendent en Turquie chaque jour.
« Nous ne cacherons pas que notre relation a connu des hauts et des bas », a reconnu Lapid, « mais nous nous souvenons que la Turquie a été la première nation musulmane à reconnaître Israël, en 1949. Et nous avons toujours su revenir au dialogue et à la coopération. »
S’agissant des récents attentats terroristes qui ont coûté la vie à 19 Israéliens, Lapid a déclaré « s’attendre à ce que nos amis soient à nos côtés dans cette bataille ».
« Aujourd’hui, nous lançons un nouveau cadre pour améliorer nos relations dont non seulement nous, mais aussi nos enfants, bénéficierons à l’avenir », a ajouté Lapid.
Il a également remercié le président américain Joe Biden et le secrétaire d’État, Antony Blinken, d’avoir maintenu le Corps des Gardiens de la Révolution islamique, l’armée idéologique d’Iran, sur leur liste des organisations terroristes.
Autrefois solides alliés régionaux, Israël et la Turquie ont vu leurs liens se dégrader lors du mandat du président Recep Tayyip Erdogan, qui a ouvertement critiqué la politique d’Israël envers les Palestiniens.
Israël s’inquiète des relations chaleureuses qu’entretient Erdogan avec le Hamas, groupe terroriste qui contrôle la bande de Gaza. Au-delà de la référence indirecte de Lapid aux attentats terroristes contre Israël et de son espoir que les alliés coopèrent dans la lutte contre le terrorisme, aucune mention directe du Hamas n’a été faite dans l’une ou l’autre des déclarations des ministres.
Cavusoglu, qui a visité le Mémorial de la Shoah de Yad Vashem dans la journée, a remercié Lapid pour leurs réunions « franches ».
« Nous avons convenu que, malgré nos différences, la poursuite d’un dialogue durable était bénéfique », a-t-il déclaré, « sur la base du respect des sensibilités de chacun ».
Cavusoglu a noté que les deux hommes avaient échangé leurs points de vue sur des « questions régionales », allusion probable au programme nucléaire iranien et à l’implication de l’Iran en Syrie, où l’armée turque et ses alliés occupent plusieurs zones tampons, nécessaires selon Ankara pour repousser les combattants kurdes loin de ses frontières.
Cavusoglu a également annoncé que les deux ministères des Affaires étrangères reprendraient leurs réunions, sous la conduite du directeur général du ministère des Affaires étrangères, Alon Ushpiz, et du vice-ministre turc des Affaires étrangères, Sedat Onal.
Cavusoglu a, comme prévu, évoqué la situation des Palestiniens, soulignant le point de vue de la Turquie selon lequel la solution à deux États « suivant les recommandations de l’ONU » était la seule option durable pour sortir du conflit.
« J’ai, bien sûr, également rappelé notre sensibilité concernant Jérusalem et le caractère sacré de Haram al-Sharif », a-t-il déclaré, utilisant le terme musulman pour désigner le mont du Temple, à Jérusalem.
Cavusoglu se rendra à la mosquée Al Aqsa, sur le mont du Temple, plus tard dans la journée.
« Nous pensons que la normalisation de nos liens aura également un impact positif sur la résolution pacifique du conflit », a-t-il ajouté.
Les dirigeants turcs, dont Erdogan, justifient régulièrement leur désir d’améliorer la relation avec Israël comme profitable aux Palestiniens.
Immédiatement après son atterrissage mardi, Cavusoglu s’est rendu à Ramallah pour rencontrer le chef de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, et le ministre des Affaires étrangères Riad al-Maliki.
La visite de Cavusoglu en Israël constitue le premier voyage d’un ministre des Affaires étrangères turc depuis 15 ans. Elle se déroule dans un contexte de réchauffement des relations de la Turquie avec Israël, après une longue période d’hostilité.
L’attitude conciliante de la Turquie envers Israël fait partie d’un projet global d’amélioration de ses relations avec les puissances européennes et du Moyen-Orient, en particulier les partenaires d’Israël au sein du monde arabe. Nombre de ces pays, dont les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite, ont considéré la Turquie comme un adversaire géopolitique et idéologique de premier plan au cours des dix dernières années.
Jusqu’à cette semaine, la personnalité israélienne la plus visible de ce processus de réconciliation était le président Isaac Herzog, qui a rendu visite à Erdogan en mars. Les deux dirigeants se sont entretenus par téléphone à plusieurs reprises depuis.