L’économie redémarre, mais la crainte d’une reprise molle de l’emploi subsiste
Des subventions pour encourager les licenciés à reprendre le travail ; pour l'ex-directrice de la Banque d'Israël, Karnit Flug, lutter contre le chômage est la clé de la reprise
Pour de nombreux clients du restaurant de grillades Marinado, dans le nord d’Israël, la semaine dernière, ils sortaient manger dehors pour la première fois depuis un an. Les gens prenaient des selfies en attendant les planches de viandes grillées. De larges espaces ont été laissés entre les tables, conformément au règlement, ce qui signifie que l’établissement familial ne pouvait accueillir que la moitié de sa capacité normale.
Huit serveurs environ vont et viennent, prennent des commandes et apporttent de la nourriture et des boissons pour la première fois depuis de nombreux mois, période que beaucoup d’entre eux ont passé en congé sans solde. Quatre autres serveurs ne sont pas revenus. Deux d’entre eux ont été licenciés et deux autres ont estimé que les avantages accordés par le gouvernement aux personnes au chômage ne les incitaient pas à reprendre le travail.
Quelques kilomètres plus loin, à l’hôtel Setai, sur les rives de la mer de Galilée, une poignée de clients étaient assis sur des chaises longues autour d’une piscine à débordement, profitant du soleil, de la brise et du fait qu’ils étaient autorisés à entrer et à profiter des installations de l’hôtel, grâce à leur vaccination. Le maître-nageur, Tamir, 29 ans, affirme être heureux de reprendre le travail. À l’exception de deux semaines durant l’été où la piscine avait brièvement rouvert, il a passé presque toute l’année dernière en congé.
Alors qu’Israël célèbre la réouverture de son économie, stimulée par la rapidité sans précédent de sa campagne de vaccination, les réservations dans les restaurants sont en plein essor, les bars et les cafés grouillent de monde et les hôtels affichent complet pour les prochaines fêtes de Pessah.
Mais même dans cette « exubérance post-COVID », comme l’ont dit les économistes de la banque Hapoalim dans un rapport cette semaine, il est craint que la crise du chômage créée par la pandémie ne perdure pendant des années, alors que le secteur des services à forte intensité de main-d’œuvre s’efforce de retrouver son niveau d’activité d’avant la COVID et que les personnes licenciées pendant de longs mois sont confrontées aux défis de la réintégration dans le marché du travail.
Pour aider à accélérer le retour d’une partie de la main-d’œuvre, le ministère a lancé un programme de retour à l’emploi, qui offre des subventions aux employés licenciés qui reprennent le travail dès qu’ils le peuvent, dans le but de compenser le fait que certains choisissaient de rester au chômage tant qu’ils restaient admissibles aux indemnités de licenciement financées par l’État – jusqu’en juin, pour beaucoup.

« Le chômage est le point faible et le défi pour les décideurs politiques », a déclaré l’ancienne gouverneure de la Banque d’Israël, Karnit Flug, qui est maintenant vice-présidente de la recherche et chargée de mission auprès de William Davidson pour la politique économique à l’Institut israélien de la démocratie. « Si pendant la pandémie de l’année dernière, Israël s’en est relativement bien sorti en termes de perte de production, avec une baisse relativement faible du PIB, l’effet sur le marché du travail n’a pas été moins grave que dans d’autres pays. »
L’année dernière, Israël a imposé trois confinements pour endiguer le virus, ce qui a eu des répercussions sur l’économie et a fait grimper le nombre de chômeurs à un niveau record de plus d’un million de personnes en avril dernier, soit un taux de chômage global de quelque 36,1 % selon les données du ministère des Finances, qui tiennent compte des chômeurs, des travailleurs licenciés et des nouveaux chômeurs qui ne cherchent pas de travail.
L’économie israélienne a toutefois fait preuve d’une étonnante résilience face à la pandémie. Son produit intérieur brut s’est contracté de 2,4 % en 2020, ce qui constitue la première contraction depuis 2002 et la pire récession jamais connue par la nation, mais reste loin des prévisions catastrophistes d’une contraction de 6 %, voire de 7 %, annoncées par les économistes au moment où le coronavirus a frappé l’année dernière. Le recul économique a été bien meilleur que la baisse moyenne de 5,5 % du PIB dans les pays de l’OCDE en 2020.

Cela est dû, en partie du moins, au secteur de la haute technologie du pays, qui a poursuivi son essor pendant la pandémie.
Toutefois, la technologie ne représente qu’un très faible pourcentage de la main-d’œuvre, employant moins de 10 % de la population.
Le secteur technologique n’est « pas une industrie à forte intensité de main-d’œuvre », a déclaré Mme Flug. « Les industries qui ont subi le choc, comme partout ailleurs dans le monde, sont celles qui sont plus gourmandes en main-d’œuvre, comme les secteurs du tourisme et de l’hôtellerie, les restaurants et les services de base comme les coiffeurs. »
Selon les données compilées par l’Agence des services de l’emploi, en janvier, date à laquelle le troisième confinement a été imposé, on comptait 856 924 demandeurs d’emploi inscrits, dont la moitié était au chômage depuis plus de six mois sans interruption.
L’Agence des services de l’emploi a déclaré que ce nombre était tombé à 560 628 au jeudi 18 mars, dont 55,3 % sont des travailleurs qui ont précédemment été mis au chômage technique. Sur les 201 314 personnes qui ont repris le travail depuis la sortie du troisième confinement, 48,6 % ont moins de 34 ans, car elles constituent la majorité des personnes employées dans les établissements qui sont en train de rouvrir, comme les restaurants, les bars, les cafés et les hôtels. Quelque 66 % des personnes qui ont repris le travail sont des femmes, selon les données, car ce sont elles, ainsi que les populations plus jeunes et moins riches, qui ont été les plus touchées par la pandémie. L’agence a déclaré qu’elle s’attendait à ce qu’un nombre encore plus important de personnes reprennent le travail après les prochaines fêtes de Pessah.

Les experts craignent que plus les gens restent longtemps sans emploi, plus il leur sera difficile de reprendre le travail, car ils perdent leurs compétences et sont de plus en plus déconnectés du marché du travail. Le chômage, qui était à un niveau record de 3,8 % avant la pandémie, pourrait devenir chronique et faire partie intégrante de la scène économique post-COVID.
« La persistance du chômage entrave considérablement les chances de retrouver un emploi », explique Rami Garor, le chef du Bureau des services de l’emploi d’Israël, dans un communiqué du 11 mars.
Selon le Bureau central des statistiques, au cours de la première moitié de février 2021, le taux de chômage était d’environ 18,2 %, et il y avait un nombre stupéfiant de 12,4 demandeurs d’emploi pour chaque ouverture de poste, en baisse par rapport aux 15 au plus fort de la pandémie, mais toujours à des années-lumière de la moyenne de 1,6 demandeur d’emploi par ouverture en 2019. Les données de mars, premier mois au cours duquel les restrictions auront été largement levées, seront déterminantes pour les décideurs politiques, qui verront si les emplois – et le nombre de travailleurs – rebondissent effectivement.

Régler le problème des licenciements
Une partie au moins du problème sur le marché du travail peut être attribuée au programme israélien de licenciement du tout ou rien, qui a apparemment fait de l’assistanat une option attrayante.
Au début de la pandémie, afin d’alléger la situation des travailleurs et des employeurs, le ministère israélien des Finances a institué un système de congés conçu à la hâte, déchargeant les employeurs de la responsabilité des salaires des travailleurs et facilitant leurs problèmes de trésorerie lorsque les revenus diminuaient ou disparaissaient.
Le programme a été initialement instauré pour une durée de deux mois, mais a ensuite été prolongé jusqu’en juin 2021 lorsque le gouvernement a réalisé que la pandémie ne disparaîtrait pas de sitôt et que de nombreux secteurs, notamment ceux du voyage, de la restauration et du divertissement, seraient en difficulté pendant une période prolongée.
Le message aux employeurs était de ne pas s’inquiéter des salaires ; le gouvernement prendrait soin des travailleurs. Entre-temps, les allocations de chômage, même si elles ne représentaient qu’un pourcentage de leurs anciens salaires, permettaient à ces employés de maintenir un niveau de vie de base et leur procuraient un certain soulagement. Ils pouvaient continuer à dépenser et ainsi, au moins une partie de l’économie continuait à fonctionner. C’est ce que l’on pensait.
Le programme offrait deux choix aux employeurs : chaque travailleur pouvait être soit gardé, soit mis au chômage technique à 100 %, mais ne pouvait pas être rétrogradé à temps partiel. Il s’agissait d’une situation de type « tout ou rien », aucune aide gouvernementale n’étant prévue pour une personne qui continuait à travailler, mais avec moins d’heures.
Les pays européens, en revanche, ont mis en place un plan d’arrêt de travail flexible, permettant aux employés de réduire leurs heures de travail tout en étant payés comme s’ils étaient à temps plein.
Pour les travailleurs à faible revenu, en particulier ceux qui ne faisaient peut-être pas autant d’heures de travail qu’avant le début de la pandémie, le système israélien incitait à être payé pour rester à la maison plutôt que de retourner travailler pour à peu près le même salaire lorsque l’économie rouvrirait. Ce système a créé un « risque moral », selon ses détracteurs, surtout lorsqu’il a été prolongé jusqu’en juin.

Les données publiées par le ministère des Finances en janvier ont montré que le modèle de congé adopté en Israël avait entraîné la perte d’un plus grand nombre d’heures de travail en 2020 que dans d’autres pays européens, qui ont institué des programmes de travail à court terme plus souples.
Israël a connu une baisse de 16,9 % des heures de travail au deuxième trimestre de 2020 – dernières données disponibles – par rapport au même trimestre de 2019. Dans l’ensemble de l’UE, la baisse a été de 14,4 %.
« Je ne conclurais pas qu’Israël s’en est moins bien sorti sur la base de ces chiffres », a déclaré Mme Flug. « Les principales faiblesses de chaque modèle et qui s’en est mieux sorti est une question à laquelle on ne pourra répondre qu’une fois la pandémie terminée et les restrictions levées. »

Néanmoins, le ministère des Finances change de cap et met en œuvre un modèle flexible appelé « Retour au travail », qui distribue jusqu’à quatre subventions mensuelles aux personnes qui reprennent le travail après avoir été congédiées pendant au moins trois mois, si l’emploi est moins bien rémunéré qu’auparavant. Les personnes qui ont été licenciées pendant cinq mois ou plus recevront une prime supplémentaire.
Les subventions sont destinées à combler la différence entre le salaire d’avant et celui d’aujourd’hui, voire à améliorer leur ancien salaire, ce qui permet aux travailleurs de gagner au moins autant qu’avant dans un emploi moins bien rémunéré en raison de la réduction des heures de travail ou pour d’autres raisons.
Les subventions ne seront accordées qu’aux personnes qui ont été licenciées avant janvier et qui reprennent le travail avant avril, afin d’encourager les travailleurs à revenir tôt.
Le ministère a qualifié cette mesure de « gagnant-gagnant » pour les employeurs et les employés.

Outre la mise en œuvre d’un modèle de congé plus souple, le prochain gouvernement devra s’assurer que des emplois sont créés grâce à des investissements à grande échelle dans des projets d’infrastructure et en incitant le secteur privé à investir, a déclaré Mme Flug.
En outre, des programmes doivent être mis en œuvre pour assurer « une formation et un reclassement à grande échelle des personnes qui ne seront probablement pas en mesure de retrouver leur ancien emploi », ce que le gouvernement actuel n’a pas réussi à faire.
« Nous avons perdu beaucoup de temps et d’argent en ne proposant pas réellement de reconversion aux personnes sans emploi qui ne sont pas susceptibles de retrouver un emploi, soit parce que les secteurs dans lesquels elles travaillaient ne connaîtront pas une reprise aussi rapide de la demande, soit parce que les entreprises ont appris à se contenter de moins de salariés. »
La formation devrait inclure des sujets tels que l’alphabétisation numérique, l’anglais de base, l’hébreu pour la population arabe et d’autres compétences fondamentales, a-t-elle déclaré, qui permettraient de mieux préparer les populations non qualifiées et mal payées au marché du travail de l’avenir. D’autres programmes de formation devraient être mis en place en collaboration avec les associations d’employeurs afin de déterminer quels types de travailleurs sont les plus nécessaires, « pour que les gens puissent trouver un emploi ».
L’économie d’Israël « se remettra de la pandémie », a déclaré Mme Flug. « Mais je crains que trop de gens restent à la traîne, et les personnes qui resteront à la traîne sont celles qui étaient faibles au départ. Ceux qui ont moins de compétences, des salaires inférieurs, des réserves et des économies plus faibles. »
Au cours des 15 dernières années, Israël s’est engagé sur une « voie très positive » en faisant passer les gens « de l’aide sociale au travail », a déclaré Mme Flug. Le « danger » post-pandémie, « c’est que l’on repasse du travail à l’aide sociale en très peu de temps ».
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