Les accusations du procureur de la CPI à l’encontre de Netanyahu : un séisme pénal ?
L'approbation de mandats d'arrêt à la Cour pénale internationale pourrait prendre des semaines, voire des mois. Les crimes contre l'Humanité les plus graves sont liés à la crise humanitaire à Gaza, avec une pratique présumée consistant à affamer délibérément les civils comme méthode de guerre
L’annonce qui a été faite lundi par le procureur de la Cour pénale internationale, Karim Khan, lorsqu’il a fait savoir qu’il avait déposé des requêtes en vue de la délivrance de mandats d’arrêt à l’encontre du Premier ministre Benjamin Netanyahu et du ministre de la Défense Yoav Gallant pour crimes contre l’Humanité dans le contexte de la guerre contre le Hamas à Gaza, est peut-être le coup de théâtre pénal le plus terrible de toute l’histoire d’Israël.
En plus des leaders israéliens, Khan a aussi indiqué qu’il allait réclamer l’émission de mandats d’arrestation à l’encontre de trois chefs du Hamas — Yahya Sinwar, Mohammed Deif et Ismail Haniyeh.
Si les mandats d’arrêt devaient être approuvés par les juges, Netanyahu rejoindrait le club peu enviable des dirigeants qui ont été officiellement poursuivis en justice par le tribunal – avec parmi eux le dictateur russe Vladimir Poutine, l’ancien despote soudanais Omar al-Bashir et feu le tyran libyen Mouammar Kadhafi.
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Mais Netanyahu deviendrait également le tout premier leader d’un pays tourné vers l’Occident à être placé sur le banc des accusés par la Cour pénale internationale.
« C’est un moment charnière dans l’Histoire de la justice internationale », commente auprès de Reuters Reed Brody, procureur vétéran et spécialiste des crimes de guerre. « En plus de 21 ans d’existence, la Cour pénale internationale n’avait jamais inculpé un responsable occidental. En fait, aucun tribunal international ne l’avait fait depuis Nuremberg [contre les représentants de l’Allemagne nazie]. »
La conséquence de tels mandats d’arrêt serait que Netanyahu et Gallant deviendraient des hommes recherchés dans 124 pays du monde entier, et notamment dans presque toutes les nations européennes majeures – à l’exception notable des États-Unis.
Si le Premier ministre ou le ministre de la Défense devaient s’aventurer dans l’un des États parties au statut de Rome – c’est le texte qui avait fondé la Cour pénale internationale – cet État serait dans l’obligation de les arrêter et de les envoyer à La Haye pour qu’ils soient jugés. Un procès qui pourrait également avoir lieu dans tout autre endroit choisi par le tribunal.
Israël a rappelé avec véhémence que la Cour pénale internationale n’a pas de compétence face à ses dirigeants pour plusieurs raisons – mais avant tout parce que le tribunal, conformément à ce qui est écrit dans sa charte, ne peut pas juger des ressortissants de pays dotés d’un système judiciaire indépendant et qui ont la volonté la capacité de mener véritablement à bien l’enquête ou les poursuites que nécessiteront les crimes présumés qui ont suscité l’inquiétude de la CPI.
Mais au-delà des répercussions purement pénales pour Netanyahu et pour Gallant, les implications diplomatiques des mandats d’arrêt contre les deux hommes et l’impact qu’ils auraient sur le statut d’Israël dans le monde seraient catastrophiques.
Les mandats d’arrêt
Une chambre préliminaire, formée de trois ou quatre magistrats, va dorénavant examiner la requête soumise par Khan concernant les poursuites qui pourraient être intentées contre Netanyahu et Gallant, en travaillant sur la base du dossier et des informations recueillies par Khan et par son équipe.
Dans les dossiers qui sont actuellement devant la Cour, la chambre préliminaire n’a pas confirmé les charges – ce qui signifie qu’aucun mandat d’arrêt n’a été émis – à seulement deux occasions sur 31.
Ceci dit, il y a eu des cas où le procureur a finalement abandonné les charges retenues contre les individus mis en cause en raison de problèmes qui se posaient au niveau des preuves, et parce qu’il était difficile de garantir qu’une condamnation serait bien prononcée dans le dossier présenté.
C’est ce qui était arrivé pour le président du Kenya, Uhuru Kenyatta, qui avait été accusé de crimes contre l’Humanité en 2011, avant qu’il ne devienne président. Le dossier avait été abandonné en 2014, après qu’il a pris la fonction suprême.
La chambre préliminaire devra aussi déterminer si la Cour est effectivement compétente dans le dossier avant d’émettre les mandats d’arrêt. Ce qui l’amènera à devoir répondre à différentes questions : Dans quelle mesure « la Palestine » peut-elle être considérée comme un État ? Qu’en est-il du principe de « complémentarité », ce principe présent dans le Statut de Rome qui interdit à la CPI de poursuivre un individu ressortissant d’un État qui a la capacité et la volonté de mener véritablement à bien une enquête ou des poursuites dans des dossiers relatifs à des crimes inscrits dans la charte fondatrice de la Cour ?
Combien de temps prendra la prise de décision de la chambre préliminaire ?
La durée nécessaire pour l’approbation de mandats d’arrestation est variable et elle peut aller de quelques semaines à quelques mois.
Khan avait demandé un mandat d’arrêt à l’encontre de Poutine pour crimes de guerre en Ukraine le 22 février 2023. La chambre préliminaire avait émis le mandat environ quatre semaines plus tard, le 17 mars.
Dans le cas de Bashir, au Soudan, recherché pour génocide et pour crimes contre l’Humanité au Darfour, il avait fallu huit mois entre la demande de mandat d’arrêt et l’approbation de cette requête – huit mois pendant lesquels la chambre avait réclamé au procureur plus d’informations, qui avaient elles-mêmes mis plusieurs mois à être rassemblées et fournies.
De quoi le procureur accuse-t-il Netanyahu et Gallant ?
Khan cherche à accuser le Premier ministre et le ministre de la Défense de crimes contre l’Humanité – une charge extrêmement grave – et de crimes de guerre.
En termes de gravité, seule l’accusation de génocide devance l’accusation de crime contre l’Humanité au sein de la CPI.
En comparaison, Poutine n’a été accusé que de crimes de guerre – c’est-à-dire de « graves violations » faites au droit humanitaire et aux Conventions de Genève.
Netanyahu et Gallant, a indiqué Khan, seraient inculpés pour « avoir affamé délibérément des civils comme méthode de guerre en tant que crime de guerre » et pour « extermination et/ou le meurtre… y compris en lien avec le fait d’affamer des civils ayant entraîné la mort, en tant que crime contre l’Humanité ».
Ils seraient aussi mis en examen pour « persécution » et « autres actes inhumains » en tant que crimes contre l’Humanité ; pour « homicide intentionnel » et pour avoir « dirigé intentionnellement des attaques contre la population civile » en tant que crime de guerres.
Les charges potentielles semblent se focaliser en particulier sur la question de l’approvisionnement en aides humanitaires à destination des civils gazaouis. Khan a d’ailleurs mentionné, dans son annonce, qu’il soulignait spécifiquement l’obligation qui est celle d’Israël au regard du droit international « de permettre l’accès immédiat de l’assistance humanitaire à grande échelle » et il a rappelé qu’affamer les populations et refuser l’entrée des aides étaient considérés comme des crimes dans le Statut de Rome.
« Je ne pourrais pas être plus clair », a ajouté Khan dans sa déclaration, lundi.
Israël a été aussi mis en garde de manière répétée par la Cour internationale de Justice – qui, contrairement à la Cour pénale internationale, poursuit les nations plutôt que les individus – sur l’importance de fournir les quantités nécessaires d’assistance à la population gazaouie. Au mois de janvier et au mois de mars, la CIJ avait émis des ordonnances sommant l’État juif d’approvisionner de manière adéquate les civils en aides humanitaires au sein de l’enclave côtière, et elle devrait encore émettre le même ordre après une audience qui a eu lieu la semaine dernière.
La procédure pénale de la CPI à l’encontre de Netanyahu et de Gallant a-t-elle été exceptionnellement rapide ?
Dans de nombreux dossiers qui sont actuellement entre les mains du procureur, il a fallu parfois que des années s’écoulent entre le lancement des investigations et les requêtes finales de mandat d’arrêt.
Sans mentionner le temps nécessaire qui a parfois été requis entre le signalement des crimes présumés et l’ouverture officielle d’une enquête.
Dans le cas du génocide qui avait été perpétré par les dirigeants soudanais au Darfour, le conflit avait commencé, dans la région, en 2003 – les États-Unis reconnaissant que la situation s’apparentait à un génocide au mois de septembre 2004. Le procureur de la CPI, à l’époque, n’avait ouvert une enquête qu’au mois de mars 2005 et il avait fallu trois ans pour qu’il réclame l’approbation d’un mandat d’arrestation à l’encontre de Bashir.
Dans le cas de Poutine, les investigations avaient commencé au mois de mars 2022 – peu de temps après l’invasion de l’Ukraine qui avait eu lieu au mois de février de la même année – mais le procureur avait mis un an pour demander l’émission d’un mandat d’arrêt.
Deux ans avaient été nécessaires pour réclamer la délivrance d’un tel mandat à l’encontre du chef de guerre ougandais Joseph Kony. Et six ans s’étaient écoulés entre l’annonce, par la Cour pénale internationale, de l’ouverture d’une enquête sur le ministre de la Défense soudanais, Abdel Raheem Muhammad Hussein, soupçonné de crimes contre l’Humanité, au mois de juin 2005 et la demande portant sur le délivrance d’un mandat d’arrestation à son nom, au mois de décembre 2011.
La Cour pénale internationale est-elle compétente dans ce dossier ?
Israël n’est pas partie au Statut de Rome et ne se considère donc pas comme relevant de la compétence de la CPI. Mais l’Autorité palestinienne avait soumis une demande à la Cour pénale internationale en vue de son intégration au sein du tribunal et elle y avait été admise en tant qu’État de Palestine en 2015.
Puis, en 2021, une chambre préliminaire de la CPI avait déterminé que la Palestine était un État depuis que l’Assemblée générale des Nations unies lui avait octroyé le statut d’observateur, en 2012.
Ce qui signifie que le tribunal est compétent, en théorie, en ce qui concerne les citoyens palestiniens et les crimes qui sont commis sur le territoire de l’État de Palestine présumé, notamment à Gaza.
Toutefois, certains experts et universitaires issus du monde juridique affirment avec force que dans la mesure où la Palestine n’est pas un État souverain, son statut au sein de la Cour pénale internationale est illégitime et qu’en conséquence, les juges n’ont pas de compétence et ne sont pas habilités à se prononcer sur le conflit armé entre Israël et les organisations et autres milices terroristes palestiniennes.
Le Principe de Complémentarité
Une composante déterminante du Statut de Rome, connue sous le nom de principe de complémentarité, est que la CPI ne lancera pas d’investigations et ne mettra pas en examen les ressortissants d’un pays si ce dernier est doté d’un système judiciaire indépendant et qu’il est capable – et qu’il a la volonté – d’enquêter et de poursuivre ses citoyens s’ils sont soupçonnés d’avoir commis les crimes inscrits dans le Statut de Rome.
Israël va affirmer avec force que son système judiciaire est pleinement indépendant et que le pays est tout à fait capable d’enquêter sur ses propres politiciens et généraux pour toute violation présumée ou signalée du droit international en lien avec le Statut de Rome.
Et en effet, les représentants d’Israël, à la Cour Internationale de Justice, ont fait valoir, vendredi dernier, que des dizaines d’enquêtes ouvertes par les procureurs militaires examinaient actuellement des manquements présumés, des fautes susceptibles de justifier des poursuites criminelles, et que le Bureau de la procureure-générale se penchait sur des propos tenus qui pouvaient s’apparenter à des incitations au génocide – ouvrant la porte à des poursuites judiciaires.
Khan lui-même avait déclaré publiquement, au mois de décembre, qu’Israël « a formé des avocats qui conseillent les commandants et le pays dispose d’un système robuste qui vise à garantir le respect du droit humanitaire international », même si ces paroles semblent davantage se référer à la responsabilité pénale des militaires qu’à celle des politiciens – des civils – qui sont en charge de la poursuite de la guerre, comme c’est le cas de Netanyahu et de Gallant.
Ceci étant dit, l’Article 17 du Statut de Rome dit clairement que la CPI peut déterminer qu’un dossier est inadmissible quand « l’affaire fait l’objet d’une enquête ou de poursuites de la part d’un État ayant compétence en l’espèce, à moins que cet État n’ait pas la volonté ou soit dans l’incapacité de mener véritablement à bien l’enquête ou les poursuites ».
Le Bureau de la procureure-générale n’a jamais publiquement fait part d’une enquête ouverte sur de hauts-responsables tels que le Premier ministre ou le ministre de la Défense.
Selon le professeur Robbie Sabel, expert en droit international à la faculté de droit de l’Université Hébraïque, il est hautement improbable que la procureure-générale Gali Baharav-Miara lancera de telles investigations « parce qu’il n’existe aucune preuve, à première vue, que nous ayons commis ce genre de crime ».
Mais si le procureur de la Cour pénale internationale devait avoir une opinion différente, le principe de complémentarité pourrait alors ne pas entrer en jeu.
Khan a évoqué directement ce problème dans ses propos, lundi, établissant que « le soin de l’enquête peut seulement être déféré aux autorités nationales lorsque celles-ci entament des procédures judiciaires indépendantes et impartiales qui n’ont pas pour but de soustraire les suspects présumés à leurs responsabilités pénales et qui ne soient pas des simulacres de procédures judiciaires. Cela exige de contrôler toutes les instances prenant part à l’examen des politiques et des actes visés dans les requêtes ».
Faute de preuve de telles enquêtes, il est probable que Khan fera avancer le dossier et il est possible que les juges de la chambre préliminaire soient d’accord avec lui.
Anne Herzberg, experte en droit international et conseillère juridique de l’organisation NGO Monitor, estime que Khan « s’en tient à une définition très étroite de la complémentarité pour s’en prendre aux Israéliens ». Elle déclare que le simple fait qu’il n’y ait pas encore de mises en examen prononcées en Israël ne signifie pas pour autant que la Cour Pénale internationale est en droit de procéder à ses propres inculpations, et elle met en doute le fait que Khan se soit penché en profondeur sur les examens et enquêtes préliminaires qui sont actuellement en cours au sein de l’État juif – ou s’il a seulement été en mesure d’obtenir de manière indépendante ces informations.
Il est possible que le Bureau de la Procureure-générale cherche un arrangement en annonçant l’ouverture d’une enquête sur les dirigeants israéliens, des investigations qui concerneraient les crimes actuellement examinés par la Cour pénale internationale, pour éviter la catastrophe que pourrait être l’émission officielle de mandats d’arrêt.
Il reste difficile de dire dans quelle mesure ce scénario est probable.
L’ancien ministre canadien de la Justice Irwin Cotler fait remarquer au Times of Israel que Khan a récemment trouvé un arrangement avec le Venezuela, dirigé par le régime dictatorial de Nicolas Maduro, ouvrant la porte à une coopération établie entre Caracas et la CPI, une initiative qui a déjoué la possibilité que des mandats d’arrêt soient délivrés contre des personnalités de premier plan du gouvernement qui devaient être poursuivies pour crimes contre l’Humanité suite à des plaintes liées aux conditions de détention qui prévalent dans le pays depuis 2017.
Cotler indique que toute charge retenue contre des officiels israéliens contreviendrait au Statut de Rome dans la mesure où Israël est en capacité d’enquêter sur ses propres manquements, soulignant la présentation devant la Haute-Cour, par plusieurs groupes de défense des droits de l’Homme, d’une requête réclamant aux juges d’ordonner l’augmentation des aides humanitaires acheminées vers Gaza.
« Ce genre d’initiative sape la CPI. Elle contreviendrait aux principes fondateurs de la Cour, elle violerait la recevabilité dans l’Article 27 et pour la première fois, des responsables d’un pays démocratique seraient traduits en justice devant la Cour », explique Cotler, interrogé peu après l’annonce qui a été faite par Khan, lundi.
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