Les archives Centropa collectent les récits de vie des survivants de la Shoah – pas seulement sur les années nazies
Le musée américain de la Shoah a acquis une collection d'entretiens avec des Juifs qui sont restés toute leur vie en Europe centrale et en Europe de l'Est, espérant réunir une histoire perdue du 20e siècle racontée par ceux qui l'ont eux-mêmes vécue

Entre 1984 et 1999, Edward Serotta a collecté des informations sur la vie juive en Europe centrale et en Europe de l’Est.
« Je voulais que les Juifs les plus âgés qui étaient encore en vie dans ces pays puissent partager leurs récits sur le 20e siècle tout entier, en les racontant tels qu’ils les ont vécus », explique Serotta.
Et contrairement aux entretiens qui sont traditionnellement accordés par les survivants du génocide juif, Serotta ne s’est pas concentré sur les années nazies. Il a consacré ses efforts à déterminer quelle avait été la vie de ses témoins tout au cours du 20e siècle.
« A mon avis, l’idée des entretiens filmés avec des survivants de la Shoah qui ne parlent que de la Shoah, c’est quelque chose qui passe aussi, d’une certaine manière, à côté de l’essentiel », déclare-t-il au Times of Israel.
« Je voulais mettre en place des équipes qui s’installeraient autour de la table, dans la salle à manger des survivants, qui regarderaient les photos présentées dans les albums de famille et qui leur demanderaient de nous raconter des histoires », ajoute-t-il.
En l’an 2000, Serotta — photographe et éducateur reconnu – avait fondé les archives Centropa à Budapest et à Vienne. Les archives ont été acquises, au début de l’année, par le Musée de commémoration de la Shoah (USHMM), aux États-Unis.
« En tant que foyer permanent, le musée avait toujours été mon premier choix », indique Serotta. « Nous avons environ 250 000 visiteurs sur internet chaque année, je pense qu’il en a plus de 20 millions. La collection Centropa appartient dorénavant au musée et nous avons dorénavant un accord qui nous permet d’utiliser nos archives dans tous nos programmes d’enseignement et dans tous nos programmes culturels », se réjouit-il.

Ces dernières années, les archives Centropa – qui consistent en 1 230 témoignages qui ont été recueillis dans quinze pays – ont été utilisées par les historiens et les chercheurs dans le cadre de l’écriture de nombreux livres, note Serotta.
« Oui, je connais des archives bien plus importantes qui affirment que leurs témoignages portent sur la vie avant et après la Shoah. Mais j’ai envie de dire que ces efforts sont restés relativement modestes. Pour ma part, je voulais véritablement que nos histoires couvrent le siècle tout entier », précise-t-il.
C’est l’Ukraine qui a porté le plus grand intérêt au travail réalisé par Centropa, dit Serotta qui a passé dix-huit semaines dans le pays depuis l’invasion russe. Il a organisé des séminaires et il a visité des écoles à Kiev, à Lviv, Irpin, Rivne, Chernivtsi, Zaporizhzhia et à Odessa, raconte-t-il.
« Grâce à des fondations de familles américaines, nous avons pu envoyer des transferts de liquidités aux enseignants ukrainiens, tous les mois », déclare-t-il. « Nous avons trouvé le moyen de transférer de l’argent aux professeurs dans les zones occupées par la Russie ».
« Une énorme différence »
Centropa est bien davantage qu’une riche collection de témoignages. Plus de 22 000 photographies familiales des témoins ont été numérisées par Centropa et 40 000 pages de texte ont été retranscrites.
« Il fallait que quelqu’un demande aux Juifs les plus âgés d’Europe de l’Est et d’Europe centrale de nous raconter leur vie, et c’est ce que nous avons fait. Et personne n’a jamais fait quelque chose d’un tant soit peu similaire », explique Serotta.

Dans un communiqué consacré à l’acquisition de Centropa, l’USHMM a indiqué que « les 276 interviews de Juifs ukrainiens qui se trouvent dans les archives sont particulièrement importantes dans la mesure où elles offrent des récits d’enfance de la vie dans les shtetls, dans les années 1920, de la survie à la famine forcée de Staline, dans les années 1930, de la fuite de l’Allemagne nazie en 1941 ou des combats menés aux côtés de l’Armée rouge, parfois jusqu’à Berlin ».
Recueillis au crépuscule de l’existence de ces survivants de la Shoah, les témoignages offrent un aperçu différent des histoires racontées par les survivants qui se sont finalement installés en Amérique ou en Israël.
« Il y a une énorme différence entre la manière dont un Juif octogénaire de Budapest, de Prague ou de Varsovie peut regarder le 20e siècle si on compare ses souvenirs à ceux des Juifs qui avaient émigré en Amérique ou en Israël », déclare Serotta.
« Dans nos entretiens, on parle aussi du soulèvement de Budapest en 1956, du printemps de Prague en 1968, des manifestations de Solidarnosc en Pologne, dans les années 1980 », ajoute Serotta.

La dernière interview a eu lieu en 2009. Aujourd’hui, rares sont les survivants qui sont encore en capacité de partager leur histoire, note-t-il.
Depuis qu’il n’y a plus d’entretiens, Centropa a consacré ses activités à la nécessité de construire le lien entre survivants et éducateurs, tentant également de présenter les archives au public par le biais de moyens variés.
En créant des sites internet thématiques, des films multimédias et en présentant des expositions itinérantes, le personnel de Centropa œuvre à garantir que les archives seront utilisées. De nombreux programmes d’éducation et des livres d’illustration se sont basés sur les archives, en plus de films documentaires et d’applications de visites touristiques.
« Amener l’éducation dans les secteurs défavorisés »
Centropa est probablement le seul projet d’histoire orale qui se targue d’avoir un club social pour ses témoins, explique Serotta. Ainsi, chaque mois, les survivants et le personnel de Centropa se rencontrent à Vienne et à Budapest.
« Ces clubs sont dorénavant de taille beaucoup moins importante et nous avons environ une vingtaine de personnes âgées de plus de 95 ans, ainsi que trois centenaires et plus. Rares sont ceux qui sont encore capables de nous raconter leur vie. Ce serait simplement trop pour eux », ajoute Serotta.
Lorsqu’il a fondé Centropa, il était « presque certain » qu’il ne travaillerait jamais avec les écoles. Toutefois, l’intérêt porté au projet par des éducateurs du monde entier l’a pris par surprise. Après avoir lancé un site internet, en 2003, ce sont des centaines de professeurs de lycée qui sont entrés en contact avec lui, à la recherche de ressources pédagogiques.

Ces dernières années, Centropa a fait venir plus de mille enseignants, en provenance de 15 pays, qui ont été formés à la Shoah sur les terres où le génocide avait eu lieu. L’accent est mis sur la nécessité d’amener cette éducation dans les zones défavorisées, ajoute Serotta, qui a déployé des équipes d’enseignement à Vienne, à Budapest et à Washington, DC.
« Ces programmes vont bien au-delà de la Shoah et nous rencontrons des historiens, des conservateurs de musée, des journalistes et des politiciens. C’est la raison pour laquelle les enseignants en sciences sociales nous aiment », explique-t-il.
Les efforts livrés par Centropa pour faire entrer dans l’espace public tous les témoignages ont aussi débouché sur un podcast, une entreprise qui a été couronnée de succès. Les épisodes se fondent sur les interviews des témoins qui ont rencontré l’organisation. Les voix off, entre autres, ont été celles d’une actrice shakespearienne célèbre, Dame Janet Suzman, ou de Jason Isaacs (qui tient le rôle de Lucius Malfoy dans « Harry Potter »). La saison actuelle s’intitule « Un siècle juif ukrainien ».
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