Israël en guerre - Jour 538

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Interview

Les assassinats ciblés pour tenter « d’arrêter l’Histoire »

Ronen Bergman, auteur de l'ouvrage 'Rise and Kill First' riche en révélations, dissèque ses découvertes et évoque leurs implications éthiques souvent gênantes

David est le fondateur et le rédacteur en chef du Times of Israel. Il était auparavant rédacteur en chef du Jerusalem Post et du Jerusalem Report. Il est l’auteur de « Un peu trop près de Dieu : les frissons et la panique d’une vie en Israël » (2000) et « Nature morte avec les poseurs de bombes : Israël à l’ère du terrorisme » (2004).

Une fresque représentant Arafat à Arafat in Gaza (Crédit : Wissam Nassar/Flash90)
Une fresque représentant Arafat à Arafat in Gaza (Crédit : Wissam Nassar/Flash90)

Le livre de Ronen Bergman Rise and Kill First: The Secret History of Israel’s Targeted Assassinations est une chronique, écrit son auteur, portant sur « une longue série de réussites tactiques impressionnantes mais également d’échecs stratégiques désastreux ».

Le minuscule pays d’Israël, assailli par les tentatives arabes de destruction et par la « menace perpétuelle » du terrorisme, a développé un système militaire hautement efficace, des agences de renseignement qui sont probablement les meilleures du monde et, en retour, « la machine à assassinats la plus robuste et la plus rationalisée de l’histoire ».

A de nombreuses occasions, cette machine s’est incarnée à travers les assassinats ciblés de puissants ennemis d’Israël, des meurtres « qui ont sauvé l’Etat juif de crises très graves ». La communauté des renseignements israéliens et ses maîtres politiques se sont, en effet, appuyés sur ces attaques et sur l’effet de dissuasion plus large qu’elles génèrent pour éviter des guerres et des conflits majeurs ou, tout du moins, éloigner de telles possibilités d’hostilités.

Mais en même temps, a dit Bergman dans un entretien coïncidant avec la sortie du livre, la force et la réussite de ces opérations d’assassinat qui, selon les chiffres, s’élèveraient à plus de 2 700 au cours des 70 années qui ont formé l’histoire contemporaine d’Israël ont parfois mené certains politiciens à passer outre un véritable travail de leadership et les canaux diplomatiques traditionnels.

Les politiciens ont pu avoir le sentiment qu’ils avaient là, à portée de main, dit-il, « cet outil » grâce auquel ils pouvaient « arrêter l’histoire… Ils pouvaient s’assurer qu’ils parviendraient à atteindre leurs objectifs grâce aux renseignements et aux opérations spéciales et non en se tournant vers des qualités qui appartiennent à ce qui constitue les qualités de l’homme d’État ou vers des discours politiques ».

Le Times of Israel s’est entretenu pendant plus de deux heures avec Bergman pour discuter des révélations et des implications de ses recherches – huit années de travail, 1 000 entretiens, des caisses entières de documents qui n’avaient jamais été publiés… Et beaucoup d’autres matériaux qui, de manière inacceptable du point de vue de l’auteur, n’avaient jamais été rendus publics, – le résultat d’une intense censure militaire.

Ronen Bergman (Crédit : Dana Kopel)

Ancien militaire et correspondant du Yedioth Ahronoth sur les questions liées aux renseignements, Bergman, auteur de plusieurs best-sellers, est à l’évidence un chercheur inépuisable et un journaliste doté d’une capacité remarquable à persuader des personnalités hautement secrètes à partager des pépites d’information jamais divulguées jusqu’alors – et parfois même des épisodes entiers.

Comme son livre — dont le titre est inspiré par le conseil du Talmud : « Si quelqu’un veut vous tuer, levez-vous et tuez-le en premier »- et la conversation ici vous le confirmeront, Bergman est déchiré par les faits qu’il présente.

Il a la certitude que la politique d’assassinats ciblés, adoptée de manière centrale par Israël, a été cruciale dans la défense du pays mais il reste très conscient des dilemmes moraux qu’elle pose.

En théorie, cette interview avait pour objectif de se concentrer sur Bergman en mettant en exergue les parties de son livre et de ses recherches qu’il fait découvrir au grand public pour la toute première fois.

En pratique, elle a également dévié sur les forces et les faiblesses d’un grand nombre des protagonistes présentés, sur les équilibres fragiles entre les échelons politiques et sécuritaires israéliens, et elle a amené à réfléchir – beaucoup – aux voies alternatives que l’histoire d’Israël aurait pu emprunter ainsi qu’aux dilemmes troubles qui persistent devant nous.

L’interview a été réalisée en partie en hébreu, en partie en anglais. Le texte a été révisé et modifié pour plus de clarté.

Rise and Kill First, par Ronen Bergman

Times of Israel: Dites-moi, dans ce livre si fouillé, quel est l’élément le plus important qui est rendu public pour la toute première
fois ? Un grand nombre de dossiers nous sont familiers mais il y a des différences et des récits qui sont complètement nouveaux.

Ronen Bergman : La structure globale d’un grand nombre des opérations décrites dans le livre a déjà été publiée dans le passé.

Prenez l’opération Mitzva Aviv Neurim en 1973 (où des forces spéciales de l’armée israélienne sous couverture avaient attaqué des cibles de l’OLP au Liban), par exemple. C’est l’histoire la plus épluchée de toute l’histoire des commandos. Ehud Barak s’était habillé en femme brune, et Aviram Levine en femme blonde. Nous savons tous cela.

J’ai eu trois options sur ma manière de procéder concernant ce type d’opérations. J’aurais pu ne pas m’intéresser à celles qui étaient déjà connues mais je savais que pour certains lecteurs, ils les liraient pour la première fois.

J’aurais pu recycler tout ce qui avait déjà été publié, mais je me suis dit qu’il y avait eu beaucoup d’erreurs et de fake news et que je ne me ferais pas l’écho que de ce recyclage. Alors je me suis décidé pour la troisième option, qui était de tout reprendre à zéro. C’est pour cela qu’il m’a fallu huit ans pour terminer et réaliser 1 000 interviews.

Certaines des histoires – dans les récits qui avaient été publiés auparavant – n’avaient aucun sens, comme ce que nous sommes supposés croire qu’il est arrivé après (le massacre des athlètes israéliens lors des Jeux olympiques de) Munich. Vous savez, le film de Spielberg, Munich ?

Comme si Golda Meir avait appelé quelqu’un du Mossad et dit qu’il fallait tous les tuer et établir un tribunal secret où il y aurait un juge, comme si on allait respecter les procédures normales. Maintenant, rien de cela n’est arrivé. C’était 100 % un fake.

Même pour l’opération Mitzva Aviv Neurim – là encore, des milliards et des milliards de mots écrits à ce sujet – j’ai découvert beaucoup de nouveaux éléments. D’abord, j’ai trouvé ce récit embarrassant qu’on a tenté de cacher depuis 40 ans – que l’un des combattants du Mossad avait été atteint de psychose traumatique et qu’il avait fui. Ce type avait fui. Je pense que de nos jours, il serait très difficile d’enterrer une information comme celle-là. Mais à cette époque, c’était possible.

On peut passer d’une histoire à l’autre. Il y a eu beaucoup d’informations nouvelles.

Sur les scientifiques allemands (qui développaient des roquettes pour que l’Egypte puisse attaquer Israël, et ciblés par le Mossad au début des années 1960), ce récit global n’avait pas de sens pour moi. Je voulais obtenir les documents. Et maintenant, j’ai les documents du Mossad sur l’affaire qui montrent l’ampleur de l’hystérie – et le mot hystérie est utilisé dans le rapport (du Mossad). Un gros rapport interne du Mossad avait été rédigé sur les scientifiques allemands en 1981, quand tout le monde était encore en vie. Pourquoi l’hystérie ? Parce que le Mossad a été pris à défaut, sans aucune information préalable lui permettant de savoir ce qui allait arriver. Le président égyptien Nasser avait montré les missiles lors d’une parade organisée au Caire, et s’était vanté de ce qu’ils pouvaient toucher n’importe quelle cible au sud de Beyrouth. La station de radio ‘La voix du Tonnerre’ au Caire avait été plus brusque, disant qu’il s’agissait de missiles qui allaient être utilisés ‘pour détruire l’entité sioniste’. Ils n’avaient pas parlé d’Israël. Ils avaient parlé de l’entité sioniste. Et le Mossad ne savait rien de tout cela. Les agents se préoccupaient d'(Adolf) Eichmann et de Yossele Schumacher.

Isser Harel (Crédit : Wikipedia)

De manière paradoxale, Isser Harel (directeur du Mossad de 1952 à 1963) s’affairait à chasser les nazis parce qu’il pensait qu’ils tentaient de reconstruire le Troisième reich – ce qui, bien sûr, était insensé. Mais les seules personnes qui avaient oeuvré en faveur de la Wehrmacht et de la Gestapo, et qui posaient une menace réelle pour Israël, il ne les voyait pas.

Le réponse israélienne à cette révélation a été sévère : Tuer les scientifiques. Et il y avait un mystère (concernant le sort de l’un des scientifiques), Hans Krug, un type qui avait disparu de son domicile. Il travaillait à Peenemünde, l’usine de fabrication de missiles, où les nazis avaient développé le V1 et V2.

Lui, à l’époque, il était le chef de la logistique de l’opération des scientifiques allemands qui travaillaient pour l’Egypte. Mais lorsque tous les scientifiques sont partis en Egypte, il est resté à Munich. Et il a disparu. Il avait eu une visite d’un agent des renseignements égyptien, qui lui avait dit que le général chargé du projet voulait le rencontrer dans un hôtel de Munich. C’est la dernière fois qu’il a été vu. Et personne n’a su ce qui lui était arrivé. Le livre résout le mystère de ce dossier. Pour la première fois, il raconte l’histoire de ce qui est arrivé à Hans Krug.

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Je veux dire que, depuis le tout début de l’État, les leaders israéliens ont pensé que les opérations secrètes et les assassinats bien au-delà des lignes ennemies étaient un outil utile pour changer l’histoire ou pour modifier la réalité sans devoir recourir à la guerre totale. Et ils ont eu cette perception bien avant que les services de renseignements israéliens soient en capacité d’effectuer de telles opérations.

L’opération Lavon (une opération sous couverture qui avait échoué en Egypte en 1954) était une tentative d’amateurs de changer l’histoire par le biais d’opérations spéciales, de sabotage et de terrorisme. Le pays n’avait pas encore la capacité de mener à bien une telle opération mais l’état d’esprit était déjà bien présent.

Cet état d’esprit a accompagné les décisionnaires israéliens depuis lors à penser : Que nous devons avoir une communauté de renseignement très forte, de manière à ne pas avoir besoin du déploiement de l’armée entière – et des réservistes – le long des frontières en permanence et aussi pour donner une pré-alerte à la guerre.

David Ben Gurion a établi la communauté israélienne des renseignements au mois de juin 1948, trois semaines seulement après l’établissement d’Israël et au beau milieu de la guerre. Il était confiant dans le fait que les Juifs allaient l’emporter quand tout le monde, notamment la CIA, estimait que c’était impossible, que les Arabes allaient nous massacrer.

Mais il savait, et il l’a compris après la guerre, qu’il aurait besoin de la plus forte communauté de renseignements possible pour permettre au pays de continuer à fonctionner, pour permettre aux réservistes de rentrer chez eux et pour reconstruire le système militaire en préparation pour le prochain conflit.

David Ben Gurion avec Eleanor Roosevelt à Jérusalem. (Crédit : David Rubinger/collection de la Knesset)

Au fait, Ben Gurion avait changé de point de vue sur les assassinats et les meurtres ciblés après la Shoah. Les preuves montrent que jusqu’à ce que la réalité de la Shoah apparaisse aux yeux de tous, il était opposé à cette arme de l’assassinat, qui était utilisée par les groupes paramilitaires pré-état de l’Irgoun dans une certaine mesure et par Lehi de manière plus importante. Il pensait que ce n’était pas une arme efficace.

Mais cela a changé après la Seconde Guerre mondiale. Il y a eu l’assassinat des Templiers, mais il y a eu aussi un plan plus global qui a déterminé qu’une fois les émeutes lancées, une fois la guerre civile commencée, quand Israël serait établi, la Hagana irait assassiner et tuer les leaders arabes. Cela faisait partie de la stratégie.

Je considère que les assassinats ciblés font partie d’une politique globale israélienne d’opérations secrètes pour tenter d’élargir le laps de temps entre deux guerres : Partir en guerre, si je cite Meir Dagan (le chef du Mossad de 2002 à 2011), ‘mais uniquement lorsque l’épée se trouve sur notre nuque’. Et la capacité à viser des cibles identifiées, qu’il s’agisse d’une structure ou d’un individu, est également considérée comme faisant partie intégrante de la stratégie de confrontation des menaces sécuritaires nationales, ou même de changement de l’histoire.

Pour vous, c’est véritablement la révélation essentielle du livre, la centralité de cette politique ?

Oui, c’est l’une des révélations clés. L’autre concerne la création de deux séries de systèmes juridiques. Tuer une personne est interdit, selon la loi israélienne. Et jusqu’en 2006, lorsque la Cour suprême a statué qu’il était autorisé de procéder à des meurtres ciblés, il n’y avait personne (au sein des autorités judiciaires) qui l’aurait permis.

C’est ainsi que l’establishment a créé deux systèmes de lois : Un pour les citoyens ordinaires, chacun d’entre nous, pour lesquels le meurtre est le crime le plus grave possible. Et l’autre, habituellement non-écrit mais très efficace, à destination de la communauté des renseignements et des forces sécuritaires, qui permet l’usage de mesures agressives afin de protéger le pays. La torture, la violation de la vie privée sous leurs aspects les plus sombres, les assassinats ciblés. Et ceci, dans la plupart des cas et en toute connaissance de cause à l’échelon politique, a permis à la communauté des renseignements de faire beaucoup de choses et, dans de nombreux cas, avec l’autorisation exclusive d’une seule personne : Le Premier ministre.

Revenons aux révélations. L’affaire des scientifiques allemands est intéressante, pas seulement en raison de l’opération, pas seulement parce qu’elle résout des dossiers concernant des personnes portées disparues depuis des décennies pour la police de Munich, mais également parce qu’elle replace les choses dans leur contexte : Elle sert à comprendre que le Mossad ne travaille pas dans un monde séparé. Le Mossad fait partie de la nation.

Les scientifiques allemands avaient vendu à Nasser un bluff… Tout le monde a sur-réagi

Et donc, lorsque l’hystérie s’est abattue sur le pays et qu’Israël a vu que les scientifiques allemands qui travaillaient dans le passé pour Hitler travaillaient dorénavant pour un nouvel Hitler, Nasser en Egypte, ils ont été forcés de réagir. Et ils ont réagi de manière très agressive, sans véritable préparation appropriée, et cela n’a pas arrêté le projet. Une tentative d’assassinat des scientifiques à l’aide de lettres piégées a échoué.

L’affaire souligne également un contexte politique : Golda Meir et Menachem Begin et Isser Harel ont utilisé le fait que les scientifiques allemands travaillaient en Egypte pour prouver leur point de vue, celui qu’une nouvelle Allemagne n’existait pas, que le passé avait laissé une empreinte qu’il n’était pas possible d’effacer. Cela a également fait partie de leur lutte contre la nouvelle génération incarnée par Shimon Peres et Moshe Dayan. Ils avaient peur que Ben Gurion ne les écarte et qu’il n’accorde le trône à ces jeunes.

Et c’est ainsi que ce qui était un problème de renseignements limité est devenu un désastre politique pour le pays. La menace, comme le dit le rapport du Mossad paru en 1981, était exagérée. Les scientifiques allemands avaient vendu à Nasser un bluff. Leur missile n’avait que peu de chance de décoller et de toucher Israël.

Mais (Israël était) sous l’influence de la Shoah et souvenez-vous du fait qu’Israël, en 1962, était plein de survivants de la Shoah : Ils avaient vu que ces gens qui travaillaient pour Hitler travaillaient dorénavant pour Nasser. C’était avant la guerre des Six jours et cet élan de confiance qu’elle devait faire naître. Avant qu’Israël ne dispose prétendument de l’arme nucléaire. Cela a entraîné la chute de Harel, puis de Ben Gurion lui-même.

L’assassinat de Ben Barka

Puis il y a eu l’affaire Ben Barka, l’implication israélienne dans le meurtre (au mois d’octobre 1965 d’un dissident politique marocain en France). A mon grand chagrin, j’ai appris que quelqu’un que j’appréciais beaucoup et avec lequel j’avais passé des heures et des heures, Meir Amit (chef du Mossad de 1963 à 1968), ne m’avait pas entièrement dit la vérité. Maintenant que j’ai les documents — (Bergman explique le processus extraordinaire qui lui a permis d’accéder à des milliers de documents sur cette affaire et me montre les copies de certains) – on constate bien que Meir Amit n’a pas pleinement rapporté au Premier ministre Levi Eshkol ce qui était arrivé. Il avait étranglé le Mossad dans un assassinat politique. Ce n’est pas le Mossad qui l’a commis mais il a aidé les autorités marocaines.

Mehdi Ben Barka (Crédit : Archives nationales néerlandaises)

Pourquoi avaient-ils voulu venir en aide aux Marocains ? Parce que ce mois de septembre-là, à Casablanca, il y avait un sommet de la Ligue arabe.

Les Marocains nous avaient laissé installer des dispositifs de mise sur écoute et entendre tout ce qu’ils se disaient les uns les autres. Et ces enregistrements ont été à la base de la confiance d’Israël, de cette certitude que l’Etat juif remporterait la guerre des Six jours, parce qu’on pouvait les entendre se quereller. Amit est allé voir Eshkol et a dit : « Vous voyez, on peut entendre Nasser et Hussein se disputer ».

Seulement un mois plus tard, les Marocains sont venus voir les Israéliens et ils ont dit : « Il est temps maintenant de payer pour ce que vous avez eu, alors… ? »

Ce qui est vraiment arrivé après Munich

Puis il y a tout ce qui est arrivé après Munich. On croit tout savoir à ce sujet. L’attentat survenu pendant les Jeux olympiques de Munich a changé beaucoup de choses, mais pas ce que nous pouvons penser. Ce n’est pas tant le fait de découvrir que Golda Meir a donné les ordres, mais de voir qui sont tous ces gens qui ont mené cette attaque de Munich (un attentat terroriste au cours duquel 11 athlètes israéliens ont été tués).

Les gens qui ont été tués n’avaient rien à voir avec Munich, quoi qu’il en soit. Il y a ces propos dans le livre tenus par quelqu’un qui dit que le seul lien que l’un d’entre eux entretenait avec Munich, c’est que les terroristes étaient passés au-dessus de lui alors qu’ils se dirigeaient vers Munich. Ce qui a changé avec Golda, c’est que jusqu’à Munich, elle ne laissait pas le Mossad commettre des assassinats en Europe. Après Munich, elle a commencé à laisser faire. Le changement est là.

Alors l’idée qu’Israël aurait traqué tous les gens responsables de l’attaque de Munich est un mythe ?

C’est uniquement un mythe. Et c’est le même mythe qu’Israël pourchassant les criminels de guerre nazis. C’est également un mythe.

Revenons là-dessus dans une seconde. Alors, en ce qui concerne les responsables de l’attentat de Munich, un grand nombre d’entre eux sont morts d’une mort heureuse et directe ?

Oui, la majorité d’entre eux sont décédés de manière simple : Amin al-Hindi, Mohammed Oudeh, Adnan Al-Gashey et de nombreux autres.

The 11 Israeli Munich victims.
Les onze victimes israéliennes du massacre de Munich, pendant les Jeux olympiques d’été 1972

Et le second « mythe » que vous venez tout juste d’évoquer ? Cette notion qu’Israël, que le Mossad ont recherché des criminels de guerre nazis, c’est faux ?

Oui. C’est un élément, je dois le dire, que j’ai été surpris de découvrir qu’il figurait sous forme écrite. Le 23 juillet 1962, Rafi Eitan et Zvi Aharoni avaient observé (le médecin d’Auschwitz Josef) Mengele quittant sa ferme (au Brésil) en compagnie de gardes du corps. Et ils avaient pensé : « OK, ça va être encore une fois l’opération Eichmann ».

Ils avaient pensé qu’ils le kidnapperaient – bien sûr, ils devaient préparer cela, ils ne pouvaient pas le faire sur place – ou qu’ils le tueraient. Mais ce même jour, Nasser avait fait ses essais de missiles et ils ont été rappelés au Moyen-Orient, et tout a été arrêté au nom de la gestion du problème posé par les scientifiques allemands.

Le docteur nazi Josef Mengele (Crédit : Wikimedia Commons)

Et après cela, Harel est parti et Meir Amit a pris un positionnement très différent. Et il a conservé ce positionnement en 1963, lorsqu’il a pris la tête du Mossad, et jusqu’en 1977: Tous les chefs du Mossad et tous les Premiers ministre israéliens ont fait des criminels de guerre nazis la dernière de leur priorité.

Il y a eu une exception – Herberts Cukurs — un criminel de guerre letton qui a été tué au Paraguay mais ça a été une exception faite pour des raisons personnelles. Il avait tué des membres de la famille d’Aharon Yariv (chef des renseignements militaires de l’armée israélienne) et Meir Amit était un ami proche de Yariv. Ils étaient assis dans une pièce et quelqu’un lisait le nom des criminels de guerre nazis recherchés et le nom de Cukurs a été prononcé, et il y a eu un bruit : Yariv s’était évanoui et il était tombé en arrière en entendant ce nom. Cukurs avait fait brûler une grande partie de sa famille et c’était donc, vous voyez, un service rendu à un ami.

Mais au-delà de ça, la chasse aux criminels de guerre nazis était devenue la dernière priorité possible et cela a été écrit dans de nombreuses, très nombreuses ordonnances du Mossad. De ne pas s’occuper d’eux.

Herberts Cukurs (Crédit : Wikipedia / WP:NFCC#4))

Et en fait, ils ont rappelé quelqu’un qui était encore une fois sur la trace de Mengele en 1968, parce qu’ils craignaient qu’il ne commette une opération en solitaire. Ils savaient que cette personne connaissait des jumeaux de Mengele et qu’elle entretenait un lien personnel avec ça.

Les choses ont seulement changé en 1977, quand Menachem Begin est devenu Premier ministre et qu’il a vu que le Mossad était très réticent à l’idée de s’occuper d’eux.

Il a édicté une décision secrète pour le Cabinet de sécurité stipulant que le Mossad devait au moins prendre en charge Martin Bormann (qui était mort depuis 1945) et Mengele – mais c’était déjà trop tard. Au moment où ils se sont regroupés et qu’ils ont commencé à s’intéresser à ça, Mengele était déjà mort. Ils ont pourchassé son fantôme pendant encore dix ans.

Mais dans les années 1960, vous dites qu’il aurait été très simple pour Israël de répéter l’opération menée contre Eichmann avec Mengele ?

Oui, ils étaient très proches de lui. Ils ont été en mesure de l’attraper à deux occasions et ils ont fait le choix de le laisser.

« Ils ont fait le choix de le laisser ». OK, c’est vraiment stupéfiant.

Et pas seulement parce qu’ils ne voulaient pas agir. Ils l’ont fait et Meir Amit me l’a dit très ouvertement : « Je préfère gérer les menaces du présent que les fantômes du passé ». Et il était très clair que les nazis ne représentaient aucune menace.

Néanmoins, Mike Harari, chef du Mossad pendant longtemps, m’a dit : « Ecoute, rétrospectivement, je pense que j’ai été idiot. J’aurais pu en attraper davantage. La sécurité en Amérique du sud était si mince »… Il parlait en particulier de Klaus Barbie; il avait abandonné une opération visant l’assassinat de Barbie parce qu’il n’était pas satisfait du plan de fuite. De manière générale, les services de renseignement israéliens n’ont pas pourchassé les criminels de guerre nazis.

Parlons maintenant du massacre de la route côtière (un attentat terroriste du Fatah au cours duquel 38 Israéliens ont été tués à proximité de Tel Aviv en 1978). De la profondeur et des détails des renseignements qu’Israël détenait sur ces terroristes : les Israéliens savaient qu’ils préparaient un attentat. Ils ont envoyé le Shayetet 13 (une unité des forces spéciales navales) pour les tuer, mais ils ne les ont pas tous assassinés. On voulait les renvoyer encore mais (le ministre de la Défense Ezer) Weizman se trouvait en déplacement aux Etats-Unis et on n’a pas voulu faire rater cette visite. Et puis l’attentat est arrivé – un événement horrible.

Une fois toutes ces choses dites, le résultat des assassinats après Munich a été que (le chef de l’OLP Yasser) Arafat et d’autres djihadistes ont décidé de quitter l’Europe à ce moment-là et de reconstruire leurs forces au Moyen-Orient.

Je décris l’affaire de Lillehammer (au cours de laquelle les agents du Mossad ont tué un serveur marocain innocent en Norvège qu’ils ont confondu avec Ali Hassan Salameh, le chef des opérations de Septembre noir) avec une multitude de détails.

Maintenant, je comprends ce qu’il s’est passé là-bas et je pense que l’un des aspects les plus bizarres a été que le Mossad savait que quelqu’un avait noté la plaque d’immatriculation de la voiture qui était utilisée par les assassins. Et Harari a donc dit à l’un des opérateurs : « Prenez la voiture, mettez-là ailleurs et jetez les clés. Puis vous et cette femme, l’autre opératrice, vous prendrez un train pour revenir à Oslo ». Mais cet opérateur avait acheté des robinets pour sa nouvelle maison en Israël et ne voulait pas les emmener dans le train. Oui, tout repose sur ce genre de détails. Il a donc décidé : « Je prendrai la voiture jusqu’à Oslo, je la rendrai à l’entreprise de location et j’embarquerai dans l’avion. Quelle différence cela fait-il ? »

Cela a fait toute la différence parce que la police attendait à l’agence de location. Il a été arrêté. Il était claustrophobe, il a parlé durant l’enquête, il a révélé le réseau entier. Alors il y a eu deux ratés embarrassants : Tout d’abord, la mauvaise personne a été tuée – ce qui est également une histoire problématique – et ensuite, la fuite ratée.

Le monde réel des opérations de renseignements n’est ni plus ni moins intéressant qu’un film de James Bond : Il est simplement complètement différent

Et cela m’amène à quelque chose que je dois dire au sujet de Mike Harari. Mike avait reconstitué le Caesarea (la division des opérations du Mossad) après une série de catastrophes — (dont) Ben Barka, (et les expositions d’) Eli Cohen (En Syrie) et de Wolfgang Lotz (en Egypte). La manière dont il l’a reconstitué, les choses qu’il a mises en avant, soulignent que le monde réel des opérations menées par les services de renseignement n’est ni plus ni moins intéressant qu’un film de James Bond : Il est simplement complètement différent.

Grimper sur un toit et tirer, ce n’est pas important : Ce qui est le plus important, c’est l’histoire sous couverture. On a construit un monde de paille, il y a les infrastructures sous couverture qui ont été mises en place par Harari dans les années 1960 et qui servent encore le Mossad aujourd’hui. Mike a dit : « Il faut zéro erreur ». Parce que chaque erreur, comme celle d’Eli Cohen, c’est une catastrophe pour le pays entier.

Meir Dagan me l’a dit différemment. Il m’a dit : « Vous voyez, si un soldat est tué à Jénine, c’est une catastrophe horrible pour sa famille, c’est la fin de leur vie, mais ce n’est pas vraiment un désastre pour l’Etat d’Israël ». Si un opérateur du Mossad se fait prendre dans un territoire ennemi, c’est un désastre énorme et cela retombe directement sur le Premier ministre.

Il y a une histoire – je ne peux pas vous dire quand ou où; il y a des récits que je ne peux pas partager – il y avait un agent du Mossad, dans un pays réellement hostile, qui a eu un accident de voiture, complètement par erreur, qui a renversé quelqu’un et l’a tué. Cela arrive – cela n’a rien d’un complot. La police locale a fait une enquête et l’homme a été arrêté. Vous ne pouvez pas imaginer le stress qu’il y a eu en Israël – le Premier ministre s’entretenait plusieurs fois par jour avec le directeur du Mossad pour déterminer ce qui était arrivé, jusqu’à ce que ça prenne fin.

C’est pour ça que Dubaï – l’assassinat en 2010 de l’acheteur d’armes pour le Hamas, Mahmoud al-Mabhouh – aurait pu se terminer d’une manière bien pire. Imaginez ce qui serait arrivé si la police de Dubaï avait analysé les images (des préparations de la frappe et de la frappe elle-même) en temps réel. Toute l’enquête s’est faite rétrospectivement, longtemps après que les agents du Mossad soient partis. Mais imaginez que quelqu’un les ait vus assis, avec leurs raquettes de tennis, dans le hall de l’hôtel pendant quatre heures, ne faisant rien, et s’était demandé : « Que se passe-t-il ? Mais que font donc ces gens ? »

Pictures released by Dubai in 2010 of alleged Mossad suspects in the killing of Mahmoud al-Mabhouh (photo credit: Youtube screenshot)
Les photos diffusées par Dubai en 2010 des suspects du Mossad présumés dans le meurtre de Mahmoud al-Mabhouh (Crédit : Capture d’écran Youtube )

Quelqu’un aurait vu un individu se rendre aux toilettes, chauve, et l’aurait vu ressortir avec une perruque (à cause de la désinvolture des agents), et on aurait fait fermer l’hôtel et on aurait arrêté tout le monde. S’ils avaient été arrêtés et qu’on leur avait ôté les ongles, Israël aurait été obligé de faire fermer Caesarea et le Mossad entier pendant 10 ans.

La frappe contre (le chef du FPLP et cerveau du détournement d’Entebbe) Wadie Haddad (décédé en Allemagne de l’est en 1978) : du dentifrice. Ici aussi, je ne peux raconter qu’une partie de l’histoire : Le Mossad était parvenu à s’approcher très, très près de Haddad, et à empoisonner son dentifrice et on n’a pas fait beaucoup de choses pour nier que le Mossad était derrière cette opération pour créer un phénomène d’intimidation. Les récits de ses cris à l’hôpital de Berlin qui était contrôlé par la Stasi se sont largement répandus.

Wadie Haddad

La Stasi a envoyé des rapports aux services irakiens des renseignements, leur disant qu’ils devaient s’intéresser à leurs scientifiques, à leurs dentifrices, parce qu’ils soupçonnaient que les dentifrices avaient été empoisonnés.

Et à partir de là, les services de renseignements irakiens ont donné l’ordre aux scientifiques qui travaillaient sur les bombes de prendre avec eux dans un sac leur dentifrice et leur brosse à dents à chaque fois qu’ils quittaient l’Irak. Ils transportaient leur dentifrice partout, et pourtant deux d’entre eux ont été empoisonnés.

Un coup dans l’oeil

Passons à l’affrontement avec Abu Hassan Salameh, tué dans une explosion à Beyrouth en 1979. Cette opération du Mossad était un acte de vengeance, mené pour trois raisons. La première, parce qu’on pensait véritablement qu’il avait un lien avec Munich. Je ne pense vraiment pas que cela ait été le cas. Abu Daoud (le commandant de Septembre noir, Mohammed Oudeh) avait dit que (Salameh) n’avait rien à voir avec ça. C’est Abu Daoud qui l’a fait. Abu Daoud lui-même a reconnu qu’il l’avait fait. La seconde raison est qu’ils n’étaient pas parvenus à l’attraper à Lillehammer, ce qui était gênant. Et la troisième raison, selon moi la plus importante, était qu’il était le principal canal de retour entre Yasser Arafat et la CIA.

C’était comme si (les Américains) nous avaient donné un coup dans l’oeil. Imaginez une situation où nous, Israël, après le 11 septembre, nous avions établi un contact avec Oussama Ben Laden et que nous l’avions invité à venir en Israël. Il n’est pas notre source, notre agent, simplement un atout, une connexion. (C’est ce qui était arrivé avec Salameh). Ils l’avaient invité à Langley. Ils l’avaient mené, en compagnie de (sa femme libanaise) Georgina Rizk, une ancienne miss Univers, en voyage à Disneyland. Quelle trahison. Ils (le Mossad) l’ont tué.

Les heures les plus obscures

Puis on en vient à l’implication israélienne au Liban. La période qui s’étend à partir de 1977 constitue la plus grande éclipse morale de toute l’histoire d’Israël – mais en particulier à l’époque où Raful (Eitan) était chef d’Etat-major en 1978, et jusqu’au début du travail de la commission Kahan sur Sabra et Chatila (à la fin de l’année 1982).

Israël a perdu sa moralité ?

Certains d’entre nous ont perdu leur moralité. Cela a été également une période où des officiers héroïques ont mené des actes de bravoure suprême – pas sur le champ de bataille, mais en se dressant pour qui nous sommes et pour ce que nous sommes, en tant que Juifs et Israéliens, pour la pureté des armes. Parce que l’obsession d’Ariel Sharon et de Raful de s’en prendre à l’OLP et de tuer Arafat était telle qu’Israël s’est trouvé dans des situations très problématiques.

C’est quelque chose que moi, en tant que journaliste, j’ai été très content d’avoir découvert et qui m’a très attristé en tant qu’être humain. Il y a eu des occasions où j’écrivais ces chapitres et où, en fait, j’avais les larmes aux yeux parce que c’était tout simplement terrible. Les actions sauvages qui avaient été menées au Liban avant la guerre.

Yehoshua Sagi, chef des renseignements militaires, est allé voir Mordechai Zipori, vice-ministre de la Défense et il a dit que cela ne pouvait pas continuer – de tuer tant d’innocents innombrables. Je ne sais pas combien de jeunes pourront comprendre ça mais Ariel Sharon, à l’époque, était la personnalité la plus puissante d’Israël. Plus Menachem Begin sombrait dans sa dépression, plus Sharon commettait des crimes que je qualifierais de révolte contre l’Etat d’Israël. Et il s’est en effet emparé du contrôle sur l’exécutif.

Ariel Sharon, à gauche, avec Shimon Peres à la Knesset en 2005. (Crédit : Sharon Perry / Flash90)

Il y a une autre chose étonnante que j’ai découverte. La situation (de dépression) de Begin était connue de quelques personnes qui ont fait tout ce qui était en leur pouvoir pour la dissimuler. Azriel Nevo, son secrétaire militaire, m’a dit que Begin ne voyait personne. Il était enfermé chez lui et Nevo m’a dit : « Il fallait que je couvre cette information. Il fallait que je la couvre, d’une manière ou d’une autre ». Les secrétaires continuaient à préparer son emploi du temps quotidien et il était vide. « (Nevo a dit) « J’ai l’ordre de faire en sorte que dorénavant, l’emploi du temps du Premier ministre devienne top secret. Personne ne le verrait… La page était vide ».

Nahum Admoni, qui était alors le chef du Mossad, m’a dit qu’il était allé voir Begin pour obtenir son approbation et que Begin s’était endormi. Il prenait des médicaments ou autre.

De quand à quand ?

Begin a compris que Sharon lui avait menti (sur les objectifs et la portée de la guerre du Liban) approximativement en août 1982. Nahum Admoni m’a dit qu’ils étaient là, en réunion du cabinet, et que Begin ne disait rien et que la réunion se terminait. Après, Sharon appelait Raful et Admoni et disait : « D’accord, c’est ce qui a été dit. Maintenant je vais vous dire ce qu’il faut faire ». Et c’était impossible de le contredire.

Zipori, qui était un héros, a été le seul au gouvernement à s’opposer à Sharon. Il disait : Vous mentez !

Yanush Ben-Gal, qui était chef du commandement du nord, m’a dit que des actions hautement interdites avaient été menées au Liban, des actions que le gouvernement n’avait pas autorisées, que l’armée n’avait pas autorisées, que Begin n’avait pas autorisées. Il m’a dit : « Raful et moi organisions les accords, nous planifions les actions seulement tous les deux et il me disait : Tant qu’il n’y a pas de trace écrite »…

Vous vous demandez comment les choses ont pu se passer comme ça ? Vous avez des gens courageux mais actifs comme Yanush et Raful. Et vous obtenez un résultat comme celui-là.

Et cela a continué pendant la guerre.

Oded Shamir, le secrétaire militaire secret de Sharon, m’a dit qu’il y avait eu deux objectifs à atteindre dans cette guerre : Détruire les bases de l’OLP. Et tuer Arafat.

Ce n’est pas dans le livre mais Ehud Barak m’a dit que quand Sharon a été nommé ministre de la Défense en septembre 1981, il avait rassemblé l’Etat-major général et dit à Raful : « Dites-moi, comment ça se fait qu’Arafat soit encore vivant ? »

Et Raful avait répondu qu’il n’y avait pas eu d’ordre donné au niveau politique.

Et Sharon, avec son langage cynique, drôle mais cruel, avait dit : « Vous savez, Raful, lorsque j’étais votre commandant, vous vous souvenez, chez les parachutistes, nous n’attendions pas que les politiques nous disent ce que nous devions faire. Nous présentions des plans de ce que nous pensions être nécessaire pour défendre l’Etat d’Israël et nous menions ces plans à terme ».

Le chef de l’OLP Yasser Arafat, en keffieh, photographié par un sniper israélien, quitte Beyrouth en 1982 (Crédit : Oded Shamir)

Et puis Ehud Barak, qui à l’époque était à la tête de la division de planification de l’armée israélienne, était intervenu et il avait dit : « Ministre (Sharon), j’ai présenté il y a dix ans déjà un plan pour déterminer comment assassiner Arafat. Et il n’avait pas été approuvé. On m’avait dit qu’il était déjà une personnalité politique et qu’on ne pouvait rien faire ».

Sharon avait répondu : « Eh bien, à partir de maintenant, je change l’ordre et je remets Arafat en tête de la liste des personnalités à assassiner ».

Ils avaient établi une force appelée ‘Dag Maluah’, avec à sa tête Rafi Eitan et Meir Dagan, qui a tenté de le tuer au siège de Beyrouth. Ils n’ont pas eu les moyens d’entrer à Beyrouth parce qu’il était gardé. L’idée était d’identifier des cibles pour les forces aériennes.

Uzi Dayan, un autre officier héroïque, commandant sortant de (l’unité des forces spéciales) Sayeret Matkal et tacticien en chef de Dag Maluah, m’a dit : « J’ai compris soudainement que nous pouvions mettre en péril la vie de nombreux citoyens avec nos plans. J’ai dit à Raful : Nous ne pouvons pas bombarder l’immeuble ».

Raful a répondu : « Ecoutez, vous ne pouvez pas décider pour moi, c’est moi qui décide, cela relève de ma responsabilité ». Et ils ont commencé à se disputer. Raful a dit : « Vous ne m’apprendrez pas ce qu’est l’éthique militaire ».

Dayan m’a dit : « Je ne savais pas quoi faire alors je me suis simplement dit : OK, que dois-je décider en tant que commandant de la force ? C’est à moi de déterminer si nous avons suffisamment d’indications et de renseignements, de la part des chrétiens, etc… (pour être en mesure de frapper). Du point de vue des renseignements, on savait que Rosh Hadag (Arafat) se trouvait à un certain endroit. A chaque fois que nous voyions des civils, nous déclarions que la cible n’était pas viable d’une perspective de renseignements » (renversant donc le bombardement planifié).

Le chef de l’OLP, Yasser Arafat, à Keffiyah, photographié par un tireur d’élite israélien, quittant Beyrouth en 1982 (Crédit : Autorisation d’Oded Shamir)

Plus tard, lors d’une étape ultérieure, quand Arafat a été évacué de Beyrouth, il y a eu un moment très spectaculaire. Il y a deux photos qui n’ont jamais été publiées. L’une d’elle montre Arafat embarquer à bord d’un navire et c’est un tireur d’élite israélien qui le photographie. Et ces clichés sont remis à (l’envoyé américain) Philip Habib pour montrer que Begin a tenu sa promesse de ne pas tuer Arafat. Mais il n’a pas promis qu’il ne le ferait pas plus tard.

Puis arrive l’histoire : Ils décident – ou c’est plutôt Arik Sharon qui en donne l’ordre – d’abattre un avion. Il [Arafat] prenait parfois des vols privés, parfois des vols commerciaux. C’est dingue. Ils ont même ourdi le plan de l’exécuter au-dessus de la mer Méditerranée de manière à ce qu’il soit impossible de sauver l’épave, de trouver la boîte noire, l’eau serait trop profonde.

J’étais assis dans un café, pas très loin d’ici, quand quelqu’un m’a raconté cette histoire. Il m’a dit : « Tu peux me citer et écrire ce que je t’ai dit ».

Bien sûr, j’ai été très surpris de l’entendre et bien sûr, j’ai vraiment voulu le publier.

Mais, a-t-il ajouté, seulement si tu vas voir une seconde personne et qu’elle accepte également de te le dire officiellement.

Je me suis dit – concernant cette autre personne – qu’il n’y avait absolument aucun moyen de pouvoir faire en sorte qu’il m’en parle. Aucun. Je me suis arrangé pour le rencontrer et tout d’abord, j’ai tourné autour du pot. Quand je suis arrivé au sujet qui m’intéressait, il a tout à coup changé et il m’a dit : « Vous savez, cela fait trente ans que j’attends que quelqu’un vienne m’interroger là-dessus ».

Il s’est levé, il est allé de l’autre côté de la pièce, il a ouvert son coffre-fort et il a sorti le dossier. Avec les chiffres, les documents pertinents.

Les vols qui avaient été pris pour cible ?

L’un des vols qui avait été pris pour cible.

Alors il voulait que vous le racontiez. Il avait transporté ça avec lui. Mais ce n’est pas arrivé.

Non, ce n’est pas arrivé. En fin de compte, ce n’est pas arrivé encore une fois parce qu’il y a eu un groupe d’officier héroïques qui ont dit : « Nous ne laisserons pas faire cela ». David Ivri, Aviem Sella, Amos Gilboa, qui ont dit : « Nous ne laisserons pas faire », et qui ont perturbé le système de manière à ce que cela n’arrive pas.

Je connais le pilote (qui aurait perpétré l’attaque). Il n’a pas voulu que je le nomme. Ce pilote est une très, très, très importante personnalité aujourd’hui. A l’époque, il était considéré comme un pilote exceptionnel au sein de l’armée israélienne.

Dont la mission aurait été d’abattre un avion de ligne.

Après, lors des cours de formation au pilotage qu’il donnait, il disait qu’il enseignerait ce cas de figure et qu’il dirait à ses élèves, aux pilotes cadets, qu’il espérait bien que cela ne leur arriverait jamais, et qu’il espérait pouvoir dire à son propre sujet qu’il n’aurait jamais obéi à ces ordres.

Alors, en définitive, à plusieurs occasions – vous dites cinq fois – Sharon aurait pu faire abattre des vols civils aériens lorsqu’il pensait qu’Arafat était à bord ?

Je dirais qu’ils se sont intéressés aux vols civils et privés et que Sharon, du point de vue de Sharon – à partir de ce qui nous a été dit, et il y a également une exception – se préoccupait peu du fait qu’il s’agisse d’un avion privé ou civil. Il faut dire qu’Oded Shamir, le secrétaire militaire de Sharon, avait insisté sur le fait que tous les avions (qui avaient été potentiellement ciblés) étaient privés.

Nous avons trois autre personnes qui disent que (la planification) ne comprenait pas des vols civils. Une fois encore, même si c’est un avion privé, cela n’aurait pas signifié tuer seulement Arafat mais également de nombreuses autres personnes embarquées. Mais, de toute façon, ce n’est pas arrivé parce qu’il y a eu des héros (qui l’ont empêché).

Le chantage du Shin Bet

Avançons encore : l’Affaire du Bus 300 (de 1984 au cours de laquelle des membres du Shin Bet ont tué deux Palestiniens qui avaient détourné un bus après en avoir pris le contrôle). Beaucoup de choses ont été écrites sur cette histoire, mais, à mon avis, le plus important n’a jamais été écrit : Pourquoi les Premiers ministres Shamir, Peres et Rabin font-ils un effort aussi important que d’aller voir le président Herzog pour le convaincre d’accorder sa grâce (aux chefs du Shin Bet qui avaient tenté de couvrir ce qui était arrivé) ? Il était manifeste que cela causerait un scandale public, alors pourquoi l’ont-ils fait ? Je n’avais jamais pu le comprendre, mais je sais maintenant pourquoi.

Les agents du Shin Bet ont réalisé qu’il n’y avait rien qui jouait en leur faveur. Ils ont tenté de blâmer Yitzhak Shamir, Moshe Arens, Itzik Mordechai, mais ça n’a pas fonctionné. Le procureur général a ordonné une enquête policière à leur encontre. Alors qu’ont-ils fait ?

Le Shin Bet a déclaré une révolte

Ils se sont rassemblés à l’hôtel Grand Beach. Ils se sont assis et ils ont rédigé le « dossier du crâne » – détaillant toutes les actions « noires » menées par le Shin Bet depuis les années 1970, dont certaines avaient été approuvées par les Premiers ministres. Puis ils l’ont remis et ils ont dit : « Hé, si vous nous traduisez en justice, on n’aura pas le choix »…

L’un des ministres les plus importants de cette période m’a dit qu’ils avaient indiqué qu’ils amèneraient ce dossier lors de leur procès et qu’il avait compris : Ils faisaient du chantage, ils tentaient de les extorquer.

Ce qu’a fait le Shin Bet dans l’affaire du Bus 300 n’est rien de moins qu’une déclaration de révolte. Ils ont eu recours à des méthodes de manipulation, de menaces, de chantage, etc… et au lieu de les utiliser contre des ennemis, ils ont utilisé ces tactiques contre leur propre camp.

L’un de ceux qui avait enquêté sur l’affaire et témoigné devant la commission d’enquête m’a précisé que tous craignaient d’être assassinés pour avoir apporté leur témoignage.

Maintenant, je ne pense pas qu’ils auraient assassiné cet enquêteur, mais lui pensait qu’ils pourraient le faire, que cette organisation était capable de telles choses.

En comparaison, aujourd’hui, le Shin Bet a téléchargé les photographies prises par Alex Levac, qui avaient fait exploser cette affaire, sur son site internet. Dorénavant, le Shin Bet considère cette affaire comme quelque chose qui aura vraiment nettoyé ce qu’il y avait de pourri.

Arrêter Saddam

Nous devons maintenant parler de toutes les activités menées contre le projet du nucléaire irakien.

Il y a eu toutes ces opérations secrètes (tenter d’arrêter la course de Saddam à la bombe à la fin des années 1970), avec notamment les sabotages, les assassinats des scientifiques, dont un très brutal.

Saddam Hussein en 1982 (Crédit : Wikimedia Commons/Informationsministerium der Republik Irak, Dar al-Ma’mun)

Plus Saddam était attaqué, plus il était déterminé. J’ai eu le témoignage d’un scientifique spécialisé dans le nucléaire né en Irak qui a dit que Saddam avait indiqué qu’il multiplierait par dix le budget à chaque fois qu’il arriverait quelque chose. Si un scientifique était tué, tous les autres obtenaient une voiture privée en cadeau, et Saddam faisait en sorte qu’ils sachent qu’il s’occuperait des familles des scientifiques durant toutes leurs vies.

Yitzhak Hofi, le chef du Mossad à ce moment-là, est venu voir Begin – Je vous dis cela sur la base du témoignage de Hofi – et il a dit au Premier ministre : « Je suis désolé de vous le dire, nous avons fait tout ce que nous pouvons mais nous ne pouvons plus stopper (le programme nucléaire). Maintenant c’est à vous de décider – si vous voulez vous embarquer dans une opération militaire ou le laisser tranquille – mais Saddam a l’intention d’obtenir l’arme nucléaire ».

Le réacteur Osiraq avant le bombardement israélien de 1981 (Crédit: Wikipedia)

Un seul journal majeur américain a soutenu Israël (lors du bombardement du réacteur Osiraq de Saddam qui a suivi) : le Wall Street Journal. Ils avaient eu raison. Begin avait eu raison dans la mesure où il fallait faire quelque chose parce que Saddam était vraiment dingue et qu’il aurait potentiellement pu utiliser les armes nucléaires.

Ce qui est arrivé après n’est pas moins intéressant. Après qu’Israël a détruit Osiraq, le pays a pensé que le problème avait été résolu et il a placé l’Irak au bas de la liste de ses priorités. Il n’a pas évalué correctement la détermination de Saddam.

Mais de 1981 à 1990, Saddam a construit (un programme d’arme) nucléaire et s’il n’avait pas fait l’erreur, pour sa part, d’envahir le Koweït, alors les preuves montrent qu’au milieu des années 1990, on aurait découvert que l’Irak s’était doté d’armes nucléaires, biologiques et chimiques et de la capacité d’envoyer ses propres missiles vers Israël et l’Arabie saoudite. Cela a été un échec terrible des renseignements, dont la gravité a mené Ehud Barak à recommander une opération visant à tuer Saddam Hussein.

Ils n’ont pas assassiné Saddam parce qu’il y a eu un accident sur la base d’entraînement de Tzeelim. Le livre présente certains documents à ce sujet pour la première fois.

Abbas Musawi (Crédit : Wikipedia)

Ce qui soulève la question de savoir s’il est juste de tuer des leaders. Cela change l’histoire, mais pas toujours dans la direction anticipée. Nous avons tué (le chef du Hezbollah Abbas) Musawi, nous avons eu (Hassan) Nasrallah — et un changement complet dans les priorités du Hezbollah dans la focalisation sur Israël. Nous avons tué (le chef spirituel du Hamas Sheikh Ahmed) Yassin (et le Hamas s’est alors lié avec l’Iran). Revenons à cela.

Mais revenons à cela d’abord par ordre chronologique. Parlons du milieu des années 1990 – la période la plus difficile pour Israël. (La communauté israélienne de la sécurité et des renseignements) n’était pas prête pour le « front radical » – comme on l’appelait dans le jargon des renseignements militaires – la Syrie, l’Iran, le Hamas, le Hezbollah, le Jihad islamique palestinien – ni pour les attentats suicides.

Avi Dichter, le chef du Shin Bet (de l’an 2000 à 2005), reconnaît qu’ils n’ont pas été en mesure d’offrir à la population israélienne la protection qu’elle méritait. Il dit cela à son propre sujet, les Israéliens ne s’expriment guère comme cela, habituellement, à leur propre sujet.

Ami Ayalon, ancien commandant de la Marine israélienne et chef du Shin Bet, en 2008 (Crédit : Olivier Fitoussi/Flash90)

Le mérite du changement, je l’attribuerais à Ami Ayalon. De 1996 à l’an 2000 (alors qu’il dirigeait le Shin Bet), il a remanié l’organisation, changé ses méthodes de travail, introduit une approche technologique. L’une des raisons majeures pour lesquelles nous connaissons maintenant un calme relatif est ce qu’a fait Ami Ayalon à cette période.

Il a préparé le Shin Bet pour son défi le plus difficile.

La Seconde intifada

Autant je suis très critique à l’égard d’Ariel Sharon lors de la première guerre du Liban, autant j’estime qu’il a été la bonne personne au bon moment et au bon endroit en tant que Premier ministre. Il a pris une série de décisions très significatives dont aucune n’était populaire ou semblait justifiée à ce moment-là.

L’une d’entre elles a été d’ordonner à la communauté des renseignements israéliens de se concentrer sur une question – la gestion des attentats suicides.

On l’appelle l’intifada d’al-Aqsa, mais ce qui a causé le plus de dégâts, cela a été les kamikazes.

Je me souviens avoir été au (magasin et restaurant bondé) de la rue Shenkin (à Tel Aviv) au cours de cet affreux mois de mars 2002 – alors que les meurtres étaient à leur apogée, notamment avec (l’attentat-suicide à la bombe survenu à la veille de Pessah) au Park Hotel (de Netanya). J’étais avec un général israélien. Il n’y avait personne dans les rues. Tel Aviv était une ville fantôme. Je lui ai dit : « Vous devez faire quelque chose ». Ce n’était pas seulement une question de victimes, de mort, de souffrance, de sang. Le pays était complètement paralysé. L’Etat était au bord de la faillite. Et ce qui a sauvé Israël, ça a été les décisions d’Ariel Sharon et la politique mise en place par la communauté des renseignements israéliens qui était en premier lieu basée sur les assassinats ciblés.

Le Park Hotel, dans la nuit du 27 mars 2002, après qu’un attentat suicide a tué 30 personnes en Israël (Crédit : flash 90)

Qui tuer ? Pas les kamikazes. Le Hamas se vantait de ce qu’il avait plus de volontaires que de ceintures explosives. (La politique était de) tuer les gens au-dessus des kamikazes (dans la hiérarchie des groupes terroristes). Et il est apparu que dans toutes les organisations combinées – Hamas, Fatah, Tanzim et ainsi de suite – il y avait un total d’environ 700 personnes. C’est un chiffre important, mais pas si élevé. Et on est arrivé à la conclusion qu’il n’était pas nécessaire de tuer tout le monde à ce niveau-là et qu’il était suffisant d’assassiner ou de nuire à 25 % de tous ces gens pour entraîner une paralysie de l’organisation.

Isaac Ben Israel, (le général qui était à la tête du développement des armes de l’armée israélienne à ce moment-là), me l’a expliqué très bien : « Imaginez qu’il y ait une voiture et qu’elle avance vers vous, que vous voulez l’arrêter et que vous avez un fusil. Si vous touchez le conducteur, vous avez mené à bien ce que vous vouliez faire. Si vous touchez une roue, il sera contraint de s’arrêter et de la changer. Si vous touchez une deuxième roue, il n’en aura pas en remplacement. Ce que je veux dire : Ce n’est pas la peine de faire exploser la voiture en entier ».

Sharon a accepté la recommandation du Shin Bet de lancer les meurtres. Souvenez-vous bien des circonstances : C’était avant que l’administration américaine ne commence à utiliser les meurtres ciblés après le 11 septembre. C’était considéré comme un crime de guerre. Il y avait autour toute cette signification morale, judiciaire, internationale.

Avi Dichter, député du Likud et président de la commission des Affaires étrangères et de la Défense de la Knesset, le 11 juillet 2017. (Crédit : Yonatan Sindel/Flash90)

Avi Dichter raconte que Sharon l’a envoyé à Washington (pour expliquer cette politique) parce que les Américains étaient très en colère.

Un grand changement pour Sharon, de l’époque où il était ministre de la Défense jusqu’au moment où il est devenu Premier ministre, a été son attitude envers les Américains. Il m’a dit une fois que le meilleur conseil que ses enfants lui avaient donné était : « Ne te dispute jamais, jamais avec les Américains ».

Dichter m’a dit que Sharon lui avait demandé d’aller aux Etats-Unis pour expliquer aux chefs des renseignements américains pourquoi nous menions ces assassinats ciblés – un terme inventé par Dichter.

Dichter m’a donc déclaré : « Je parle un arabe excellent, mon hébreu est bon, mon anglais un peu moins. Et j’ai dû faire une conférence devant tous ces dirigeants des renseignements américains. J’ai pris le PDF que j’avais préparé pour le cabinet israélien avec la liste de tous ceux qui avaient été assassinés, et j’ai demandé au bureau du Shin Bet de le traduire et d’ajouter des titres en anglais ».

Le directeur de la CIA de l’époque George Tenet regarde, depuis le centre des opérations d’urgence de la Maison Blanche, le président George Bush s’adresser à la nation le 11 septembre 2001 (Crédit : Archives nationales américaines)

Comment ont-ils traduit sikul memukad (assassinats ciblés) avec leur excellent anglais ? Sous le terme de « prévention focalisée », ce qui semble plutôt faire référence à un préservatif.

« Je suis allé à la conférence et j’ai dit : C’est de la prévention focalisée #1, de la prévention focalisée #2 » et ainsi de suite, et je voyais bien qu’ils n’avaient aucune idée de ce dont j’étais en train de parler. George Tenet (chef de la CIA) m’a dit : « Ah, je crois que vous ai compris, Dichter. Vous voulez parler d’assassinats ciblés ».

(Sharon et le président George W.Bush) sont parvenus à passer un accord secret, sous les termes duquel Israël aurait l’autorisation de continuer à mener sa politique hyper-agressive contre le terrorisme tant que Sharon honorerait sa promesse de geler les implantations. C’est ce qui est arrivé.

Toutes sortes de mesures ont aidé à étouffer la Seconde intifada, notamment (le déploiement de troupes) dans les zones urbaines de la Cisjordanie lors de l’opération Bouclier défensif.

Mais le principal facteur a été les assassinats ciblés, qui ont vaincu un élément qui, selon tous, paraissait invincible : Comment empêcher une personne qui veut mourir de passer une ceinture explosive et d’aller se faire exploser dans un centre commercial ou dans un jardin d’enfants ?

On ne le peut pas. (Mais les assassinats ciblés) ont stoppé les attentats suicides. A leur apogée, on a tué Sheikh Yassin (au mois de mars 2004) puis, trois semaines après, (son successeur Abdel Aziz) Rantisi. Le Hamas en est arrivé à la conclusion qu’il était dans l’incapacité de continuer et les Egyptiens ont demandé un cessez-le-feu.

Le Hamas est encore là, il est encore un problème. Mais ce qui est arrivé prouve que même une organisation terroriste djihadiste qui n’a apparemment aucune limite peut tomber à genoux lorsqu’on place un prix à payer significatif à ses commandants.

Et s’il y a eu une victoire, c’est celle-là. Et cela a également été une victoire pour Sharon.

Il y a trois choses que je veux ajouter.

Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah, pendant un entretien accordé à la télévision publique iranienne, le 20 février 2017. (Crédit : capture d’écran Twitter)

La première, qui concerne Sheikh Yassin (patriarche spirituel des attentats suicide à la bombe du Hamas). : Comme je l’ai dit auparavant, quand vous tuez un leader, vous ne savez pas où ça va mener. Sa mort a terriblement nui au Hamas.

La majorité des gens qui travaillaient dans les renseignements israéliens ne pensaient pas que cela amorcerait une guerre dite sainte contre Israël. Et le fait qu’on ait tué un vieil homme handicapé, qui était considéré comme un leader religieux, n’a en effet entraîné presque aucune réaction. Le Hamas a été furieux. Cela a été un résultat à court-terme très significatif pour Israël.

Mais d’un autre côté, en le sortant du jeu, on a supprimé la dernière barrière entre le Hamas et l’influence iranienne directe. Yassin ne voulait pas (de connexion avec) les Iraniens. Ce à quoi nous avons assisté après, ça a été l’entrée iranienne à Gaza – les missiles, la prise encouragée par l’Iran de Gaza par le Hamas (en 2007) – à la fin de laquelle le Hamas a finalement posé un plus grand défi que ce n’était le cas sous Yassin. Nous avons dorénavant quelque chose de pire.

Arafat, encore

En second lieu, Sharon n’a jamais vraiment changé d’opinion sur Arafat. Sharon avait dit à ses aides qu’il voulait diffuser une vidéo qui, avait-il dit, était en possession d’Israël et qui avait été filmée par les services roumains de renseignements – dans laquelle on voit Arafat faire l’amour à ses gardes du corps sur internet, afin de l’embarrasser.

Il a finalement abandonné cette idée moins que merveilleuse parce qu’Arafat s’était lui-même mis en difficulté en mentant au président Bush dans l’affaire (de la cargaison d’armes) Karine A. Israël a prouvé à Bush qu’Arafat était un menteur et Bush n’allait plus jamais le croire. Bush avait alors déclaré que les Palestiniens devaient se choisir un nouveau chef.

Mais Sharon n’en avait pas terminé avec Arafat. C’était très important pour lui que le monde sache qui était véritablement Arafat. En 2002, durant l’opération Bouclier défensif, nos forces étaient entrées au siège de la Muquata (d’Arafat) et avaient saisi tous les documents.

Peu de temps après, durant l’opération Bouclier défensif, j’avais demandé à Tawfik Tirawi, qui était à la tête des renseignements de l’AP en Cisjordanie, pourquoi ils n’avaient pas mis le feu à ce matériel. Ils savaient que les Israéliens arrivaient et ils avaient eu le temps de le faire. Tirawi a répondu que « l’officier idiot » dont la mission était de mettre le feu à tous les documents s’était enfui.

Yasser Arafat is cheered on by supporters as he visits the West Bank city of Hebron, January 19, 1997 (photo credit: Nati Shohat/Flash90)
Yasser Arafat accueilli par ses partisans alors qu’il visite la ville de Hébron, en Cisjordanie, le 19 janvier 1997 (Crédit : Nati Shohat/Flash90)

Les Israéliens s’étaient alors emparé d’un grand nombre de documents qui prouvaient combien Arafat était profondément impliqué dans le financement du terrorisme. C’est précisément ce qu’il était : Arafat n’a jamais abandonné son état d’esprit de guérilla.

On m’a donné un accès exclusif à la majorité des matériels et j’ai écrit un livre sur le terrorisme, mon tout premier livre. J’ai travaillé sur une base de renseignements pas très éloignée d’ici, à Glilot. Il y avait des caisses de documents énormes, je les ai toutes étudiés. On m’a aidé pour la traduction parce que mon arabe n’était pas suffisamment bon. Cela a été un best-seller (en hébreu).

Puis j’ai eu un appel téléphonique de l’un des confidents les plus proches de Sharon, qui m’a dit qu’il parlait au nom d’Arik : « Nous voulons vous dire que votre livre est formidable. Arik lui-même veut que vous sachiez que le livre est formidable. Pouvons-nous nous rencontrer ? »

Nous nous sommes rencontrés à Arcaffe, au centre commercial de Ramat Aviv. Il m’a dit qu’il était très important que les contenus du livre atteignent un public plus large, c’est-à-dire à l’étranger. Quelles sont les chances qu’il soit publié en anglais ? J’ai répondu que c’était mon premier livre. Je suis jeune. Personne ne me connaît. Je ne sais pas quelles sont les chances.

On m’a demandé combien ça coûterait de faire traduire le livre en anglais. J’ai supposé que ça coûterait une somme entre 20 000 et 30 000 dollars. L’assistant de Sharon m’a dit que l’argent n’était pas un problème. C’était très important que le monde sache qui était vraiment ce chien.

C’est très difficile de refuser une telle offre. Je n’avais véritablement pas d’argent.

Mais vous l’avez fait.

Bien sûr.

Maintenant (la troisième chose que je veux mettre en exergue ici) : Il y avait certaines personnes qui pensaient qu’il fallait tuer Arafat.

Et c’est arrivé jusqu’à la Maison Blanche. Au mois d’avril 2004, George Bush a rencontré Arik Sharon à la Maison Blanche et lui a demandé de promettre qu’il ne tuerait pas Arafat.

Sharon a répondu : Monsieur le président, je comprends ce que vous me dites.

Bush : D’accord, je veux que vous promettiez que vous n’allez pas le tuer.

Sharon : Monsieur le président, je comprends véritablement ce que vous me dites.

En fin de compte, il a fait cette promesse à Bush.

Mais peu de temps après, Arafat a été touché par cette maladie mystérieuse et il a été pris en charge à Paris où il est mort.

Dans le livre, vous ne dites pas ce qui est exactement arrivé.

Je ne peux pas. Mais je cite des personnes. J’ai demandé ce qui était arrivé.

(Le chef d’Etat-major de l’époque Moshe) Yaalon, dans son langage fleuri, m’a répondu qu’Arafat était mort de chagrin.

Shimon Peres : Je ne pensais pas qu’il serait tué.

(L’ancien chef d’Etat-major) Dan Halutz a pour sa part hésité un moment et m’a dit : « Ah, c’est donc maintenant, ce moment où vous tentez de lire mon langage corporel ? »

Meir Dagan m’a dit quelque chose qui voulait dire que si des Juifs étaient assassinés et qu’il savait qui en était à l’origine, il n’aurait pas pu le laisser passer.

Uri Dan (le biographe de Sharon), qui était très proche de lui, m’avait dit pour sa part que Sharon resterait dans l’histoire comme l’homme qui avait anéanti Arafat mais sans le tuer.

Nous pouvons donc tirer nos propres conclusions du livre.

L’Iran et la « défection blanche »

Passons à la désignation par Sharon de Meir Dagan à la tête du Mossad. Sharon voulait autre chose pour le Mossad. Il a donc remplacé Efraim Halevy en nommant Dagan. Sharon lui a dit : « Dagan, je veux que vous fassiez au Mossad ce que vous avez fait à Gaza dans les années 1970. Je veux que le Mossad ait le poignard aux dents ».

Sharon avait dit de Dagan: L’expertise particulière de Meir, c’est de séparer le terroriste de sa tête

J’avais rencontré Sharon à ce moment-là et j’avais dit que Meir Dagan avait la réputation d’être un agent voyou, à la gâchette facile. C’est une chose de diriger une unité d’assassins à Gaza mais le Mossad est une organisation qui compte des milliers d’employés.

Sharon m’avait répondu : « Ronen, je pense que Dagan est l’homme qui permettra de rendre sa gloire passée au Mossad ».

Je lui ai demandé pourquoi et je m’attendais à ce qu’il réponde par une blague macabre, comme il aimait le faire. Sharon m’a répondu que l’expertise spéciale de Meir, c’était de séparer le terroriste de sa tête.

Un grand nombre de personnes, dont je faisais partie, critiquaient beaucoup Dagan à cette période. Mais il a vraiment changé le Mossad.

Meir Dagan, à gauche, prend la tête du Mossad après Efraim Halevy, alors que le Premier ministre observe la scène, le 12 décembre 2002 (Crédit : Flash90)

Il a réduit la liste des objectifs prioritaires à leur minimum. Il a dit que le Mossad ne s’occuperait que de deux choses – (contrer) les projets d’armements de destruction massive dans les pays ennemis, en particulier l’Iran et la Syrie, et le soutien de ces pays aux mouvements terroristes djihadistes. Voilà.

Quand vous vous consacrez uniquement à deux objectifs, vous obtenez des résultats.

Dagan s’est personnellement impliqué dans les opérations, il a voyagé à travers le monde. Quand il m’a parlé – et je n’ai publié qu’une partie de nos conversations – il a âprement critiqué ce qu’il se passait au Mossad auparavant. J’ai 400 pages de retranscriptions, dont je ne peux pas publier la majorité.

Et (il s’est consacré) à la coopération régionale d’une façon spectaculaire. Aujourd’hui, Bibi parle beaucoup de ça, mais ce n’était pas évident à ce moment-là. Dagan estimait qu’il y avait certains pays qui, dans la sphère publique, votaient contre à l’ONU, disaient des choses terribles à ce sujet-là mais partageaient plus ou moins les mêmes intérêts.

David Meidan, le chef du département des relations internationales du Mossad (Tevel), né en Egypte, travaillait ce dossier aux côtés de Dagan. Ils voyageaient dans tout le Moyen-Orient à bord d’avions privés, rencontraient des chefs arabes et des têtes d’organisations et coopéraient avec eux. Un grand nombre des succès attribués au Mossad ont été le résultat de cette coopération.

Au niveau personnel, il y avait une relation particulière entre Dagan et (le dirigeant de la CIA) Michael Hayden. La relation entre Tenet et les Israéliens n’avait pas été rectiligne. Elle avait été cordiale mais Tenet avait toujours soupçonné les Israéliens de le manipuler.

Michael Hayden during his tenure as CIA head (photo credit CC BY CIA/Wikipedia)
Michael Hayden durant son mandat à la tête de la CIA (Crédit : CC BY CIA/Wikipedia)

Entre Hayden et Dagan, c’était différent. Hayden m’a dit : « J’ai participé à des réunions du Conseil de sécurité nationale et (parfois), je téléphonais à Meir directement depuis la salle et je lui demandais ce qu’il pensait des problèmes que nous évoquions. C’était sans précédent ».

Cette coopération s’est manifestée dans une série d’actions contre l’Iran.

Dagan et son adjoint (et successeur Tamir) Pardo disaient essentiellement : « On doit les arrêter » (les Iraniens). Ils avaient organisé une rencontre majeure en 2004 au siège du Mossad, en présence de tous les chefs des renseignements, et Pardo avait présenté à cette occasion le plan contre l’Iran.

L’idée, c’était : Si l’Iran veut vraiment se doter d’armes nucléaires, le pays y parviendra. Que pouvons-nous faire (pour changer cela ?) On peut essayer de faire changer le régime iranien ou d’amener les leaders à comprendre que cela ne vaut pas le coup pour eux de continuer parce qu’une telle initiative les noierait dans une crise économique profonde – sanctions, pressions politiques, etc. Et qu’en même temps, il est possible de causer un ralentissement significatif du programme nucléaire de façon à ce qu’ils n’atteignent pas le stade de l’arme nucléaire.

Dagan a construit un programme en cinq ou six points : Pression politique, prévention des exportations en équipements à double usage (à l’Iran), encouragements à l’opposition au régime et autres mesures secrètes : Notamment des mesures de sabotage comme Stuxnet, les Jeux olympiques, la coopération avec les Américains et la question qui a été attribuée au Mossad de l’assassinat des scientifiques nucléaires iraniens.

J’ai demandé à Hayden : Sur tous les différents outils, les différentes armes qui ont été activés dans le monde contre le projet sur le nucléaire iranien, lequel a été le plus efficace ?

Il a répondu sans hésitation : « Ce qui a été le plus efficace, c’est quand quelqu’un a commencé à tuer les scientifiques. Ce n’était pas nous », m’a-t-il dit. « C’est illégal sous les termes de la loi américaine et je ne sais pas qui a fait cela ».

Bien sûr, j’ai souri.

« Non, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit », m’a-t-il dit en insistant. « Les Israéliens ne nous ont jamais rien dit à ce sujet ».

Parce que c’est illégal. Ce ne sont pas des meurtres ciblés. Les Américains ont fait une distinction légale claire entre les meurtres ciblés et les assassinats. Les meurtres ciblés consistent à tuer des combattants dans une zone de guerre et (le meurtre de scientifiques iraniens), ce n’est pas ça.

Mahmoud Ahmadinejad, alors président iranien, à Natanz en 2008. (Crédit : capture d’écran Zero Days)

Mais ce qui aura le plus retardé le programme sur le nucléaire iranien, c’est le meurtre des scientifiques.

Hayden m’a raconté l’une des toutes premières rencontres entre lui et le président Obama, au conseil national de sécurité, lors de laquelle Obama avait demandé à Hayden combien d’uranium enrichi il y avait à Natanz. Hayden avait répondu : « M. le président, je connais en fait la réponse à cette question, mais je dois vous dire en premier lieu que cela ne compte pas, parce qu’il n’y aura pas une seule bombe qui sortira de Natanz. Ce qu’ils font à Natanz, c’est construire la connaissance, et il n’y a que la connaissance à y détruire ».

Ce qu’ont fait les assassinats des scientifiques nucléaires, ça a été de faire disparaître les personnes principales, celles qui avaient l’expérience et le savoir. Deuxièmement, on a amené tout le système iranien à faire un gros effort pour tenter de localiser les taupes du Mossad, et à vérifier tous les équipements à la recherche de virus, à mettre des gardes du corps et des policiers autour des scientifiques qui restaient. Et ça – sans même que le Mossad ait à faire quelque chose – ça les a retardés de plusieurs années. Et enfin, ce qui est peut-être le plus important, c’est ce que Dagan avait qualifié de « Défection blanche ».

La défection blanche, ce n’est pas comme les défections de l’ancien temps, pendant la guerre froide, quand quelqu’un venait de l’Union soviétique et qu’on le mettait dans une maison sûre à Langley. La défection blanche, c’était un scientifique spécialisé dans le nucléaire – qui n’était pas un soldat formé – qui aimait travailler dans cette structure, qui y gagnait beaucoup d’argent, qui faisait partie d’un projet national, mais qui constatait que son collègue, dans la pièce a côté, avait perdu une jambe, et que l’autre avait été tué. Alors il se disait que cela ne valait pas le coup, il passait outre les avantages et il partait pour retourner faire ce qu’il faisait auparavant – disons enseigner à l’université Al-Hussein, à Téhéran. Cela a causé des dégâts énormes.

Mais Dagan s’est trompé sur un aspect crucial. Il a transmis le message aux politiciens qu’il était parvenu à mettre un terme au projet entier. Ce n’était pas vrai.

Meir Dagan, le 17 janvier 2011. (Crédit : Miriam Alster/Flash90)

En contraste avec son image un peu brutale, il était un politicien efficace – pas dans un sens de gauche ou de droite, mais dans sa capacité à manipuler les gens. Il m’a dit comment il manipulait Netanyahu. Il m’a dit que Netanyahu était un lâche. Dagan ne l’aimait pas, à l’évidence. Il m’a dit comment il gérait les choses avec Netanyahu (quand il voulait que le Premier ministre autorise une opération) : « J’amenais avec moi tous les cadres et agents des renseignements qui expliquaient l’opération. Je savais que Netanyahu voudrait éviter une situation où 15 personnes sauraient qu’il n’avait pas autorisé cette dernière, passant pour un lâche ».

Au fait, (le Premier ministre Ehud) Olmert avait, pour sa part, donné à Dagan le feu vert pour mener des opérations outrageusement féroces. Certaines ont eu lieu. D’autres non, parce qu’il y avait des gens qui les ont entravées. Ces opérations auraient pu entraîner des dégâts énormes pour l’Etat d’Israël. J’ai des frissons rien qu’en y pensant. Dagan avait ses idées, il était très créatif mais féroce aussi. Olmert lui donnait carte blanche.

Pour boucler le cercle, cela a mené à une confrontation croissante entre Dagan et Netanyahu que je décris dans le prologue du livre (où Netanyahu ordonne à Dagan de suspendre temporairement les opérations après le meurtre de Mabhouh, où Dagan évalue que les assassinats et autres « mesures de précision » peuvent avoir stoppé le programme sur le nucléaire iranien, et où le mandat de Dagan au poste de chef du Mossad s’achève).

Dagan (décédé en 2016) a dit que Netanyahu allait faire quelque chose d’illégal en attaquant l’Iran et qu’il avait empêché cela. Netanyahu ne voit pas les choses ainsi. Netanyahu et Barak ont dit que ce qu’ils voulaient faire était absolument légal, que le fait qu’ils aient l’intention d’attaquer en Iran n’était pas illégal. Dagan a déclaré qu’ils ont tenté de contourner les canaux d’autorisation appropriés, qu’ils n’avaient pas l’intention de consulter le gouvernement.

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Montage de CCTV diffusé par la police de Dubai au sujet de l’assassinat présumé de Mabhouh. (Crédit : capture d’écran via YouTube)

Netanyahu a ensuite fortement critiqué Dagan concernant ce qu’il s’était passé avec Mabhouh. (Ce qui a échoué dans l’affaire de) Mabhouh a été le résultat d’une certaine arrogance. Je ne peux pas tout écrire à ce sujet. Le résultat, c’est que Dagan était tellement sûr de lui – ils avaient une nouvelle méthode de travail – qu’il a dit : « Trouvons une cible et essayons ».

Cela n’a pas réussi et ça aurait dû être fait différemment. Mais même si ça avait réussi à 100 %, mettre 27 agents en danger pour une telle cible, à moins – comme me l’avait dit un agent du Mossad – qu’il ait eu une ogive nucléaire sous le lit de sa chambre d’hôtel à Dubaï, cela ne valait tout simplement pas le coup de faire courir un tel danger.

Revenons-en à l’Iran, je veux comprendre. Dites-vous que Netanyahu et Barak allaient frapper l’Iran quand, au mois de septembre 2010, comme vous l’écrivez, ils placent l’armée israélienne et le Mossad au stade « 8 plus 30 » – comme 30 jours avant une attaque d’ampleur contre l’Iran ?

En ce qui concerne spécifiquement ce « 0 plus 30 », (le chef d’Etat-major Gabi) Ashkenazi a dit : « Nous ne sommes pas prêts ». De manière générale, ça dépend de qui vous interrogez. J’ai interrogé (le ministre de la Défense d’alors) Barak. Au mois de janvier 2012, j’ai publié un article en une du New York Times détaillant les plans d’attaque, et pour la toute première fois, j’ai cité Barak qui disait que nous allions attaquer.

En résultat, la sénatrice Dianne Feinstein a réclamé une rencontre du sous-comité des renseignements et elle a demandé aux chefs des renseignements américains ce qu’ils pensaient. Elle leur a lu des extraits de ce que j’avais écrit dans le NY Times et leur a demandé ce qu’ils en pensé. Ils ont répondu qu’ils acceptaient la prémisse selon laquelle Israël passerait à l’attaque en 2012.

Dianne Feinstein (photo credit: Wikimedia Commons)
Dianne Feinstein (Crédit : WikiCommons)

Cela a causé une réelle hystérie à la Maison Blanche parce qu’ils ont pensé que mon article avait été délibérément planté dans le journal par Netanyahu et Barak — ce n’était pas vrai ! – pour leur mettre la pression et pour qu’ils passent eux-mêmes à l’action.

Mais ce qui est arrivé a été précisément le contraire. Finalement, Israël n’a pas bougé. Et Barak dit qu’aujourd’hui, rétrospectivement, il pense que Netanyahu n’avait pas l’intention de le faire. Barak dit pour sa part qu’il pense que nous aurions dû attaquer.

Barak aurait frappé l’Iran ?

Oui.

Mais Netanyahu ne l’aurait pas fait, selon Barak ?

Selon Barak. Il explique qu’il ne pense pas que Bibi avait véritablement l’intention d’attaquer.

Barak dit : « Je pense que Bibi avait l’intention de mettre la pression sur les Américains pour qu’ils le fassent, de manière à ne pas se trouver étranglé dans une opération israélienne ».

Le Premier ministre Benjamin Netanyahu et son ministre de la Défense d’alors, Ehud Barak, pendant une conférence de presse au bureau du Premier ministre, le 21 novembre 2012. (Crédit : Miriam Alster/Flash90)

Ce qui est arrivé, en fait, c’est que les Américains étaient complètement paniqués. Bien sûr, Obama n’a jamais pensé à attaquer. Ce qui est apparemment arrivé se déroule comme suit : Au mois de mars 2012, deux mois après la parution de l’article, Tamir Pardo (chef du Mossad) s’est rendu à Washington et il lui a été dit que Dianne Feinstein voulait le rencontrer en urgence. On l’a emmené dans une sorte de bunker placé sous le congrès pour la voir. Feinstein : « Monsieur le responsable du Mossad, voulez-vous bien me dire quel entraînement la 35ème brigade de parachutistes est en train de suivre en ce moment, quels exercices ? »

Le chef du Mossad n’avait aucune idée de ce que faisait cette brigade et il s’en fichait : C’était sans doute un exercice de peu d’importance. Mais les satellites l’avaient révélé. Et les Américains étaient certains qu’Israël se préparait à envahir l’Iran. C’était là le degré d’hystérie américaine.

Pardo est retourné voir Netanyahu et lui a dit : « Vous ne comprenez pas ce qui est en train de se passer là-bas. Il faut que vous apaisiez les choses parce que les Américains vont agir, vous ne savez pas où cela mènera, et pas nécessairement dans la direction que vous souhaitez ».

Dans le livre, Bergman écrit : Pardo « a averti Netanyahu qu’une pression sans relâche exercée sur les Etats-Unis entraînerait des mesures spectaculaires, et probablement pas celles qu’espérait Netanyahu. Pardo lui-même pensait que deux années supplémentaires de pressions économiques et politiques amèneraient l’Iran à se rendre sous des conditions favorables et à renoncer entièrement à son projet sur le nucléaire. Mais Netanyahu refusait de l’écouter, ordonnant à Pardo de continuer les assassinats et à l’armée israélienne de continuer à se préparer pour une agression. Au mois de décembre, le Mossad était prêt à éliminer un autre scientifique mais juste avant que le meurtre ne se produise, Obama, craignant une action israélienne, accepta une proposition de l’Iran de mettre en place des négociations secrètes… Il est raisonnable de penser que si les négociations avaient commencé deux ans plus tard, l’Iran les aurait rejointes dans un état considérablement affaibli… « 

A la fin de l’année 2012, le Mossad a découvert que les Américains, dans le dos d’Israël, avaient commencé des négociations secrètes avec l’Iran. En raison de cela, Netanyahu a accepté la recommandation émise par Pardo de cesser toute activité agressive contre l’Iran. Pardo estimait, et Netanyahu a accepté son point de vue dans ce sens, qu’Israël ne pouvait agir avec agressivité contre l’Iran, même clandestinement, quand les Américains avaient adopté un discours politique.

Le président américain Barack Obama, avec le vice-président Joe Biden (à gauche), prononce une allocution dans la East Room de la Maison Blanche le 14 juillet 2015 à Washington (Crédit : Andrew Harnik / AFP)

Pour résumer toute l’histoire, les menaces d’attaque de Netanyahu ont entraîné le résultat escompté opposé. Au lieu de faire venir les Iraniens à la table des négociations, complètement paralysés, en, disons, 2014, ils sont venus aux pourparlers, à moitié paralysés, dès 2012.

C’est l’une des sections les plus importantes du livre. Ce que vous dites à la base, c’est que Pardo explique que parce que Bibi avait menacé de frapper l’Iran, parce que les Américains étaient si inquiets, alors ils se sont précipités pour tenter de trouver un accord ? Et qu’ils ont donc négocié avec l’Iran avant que l’Iran ne soit elle-même considérablement affaiblie (par le poids des sanctions). Tandis que si Bibi s’était montré plus calme, les sanctions auraient été mises en place pendant plus longtemps et le régime se serait écroulé ?

Ou tout du moins très paralysé. Vers la fin de l’année 2012, j’ai eu une réunion avec le chef de Tsiltsal, l’unité du Mossad responsable parmi d’autres choses de la paralysie de l’économie iranienne. Il a dit : « Si le Trésor américain accepte les initiatives que nous proposons maintenant, un plan détaillé d’actions – cibler cette banque, cette personnalité, nuire donc à son économie, arrêter leurs SWIFT, etc — S’il est approuvé, nous pouvons faire chuter l’économie iranienne au milieu de l’année 2013 et créer le chaos en Iran ». Mais tout cela s’est arrêté parce que les Etats-Unis se sont lancés dans des négociations.

Vous ne citez pas directement Pardo mais vous dites que Pardo a déclaré que les Américains ont commencé à négocier parce qu’ils étaient complètement paniqués à l’idée qu’Israël allait attaquer le cas échéant.

Oui, exactement.

Alors vous affirmez que Netanyahu, qui ne cesse de répéter qu’il faut que nous arrêtions l’Iran, aura finalement sauvé le régime de Téhéran de ce type de pressions économiques qui aurait causé son effondrement.

Et qui a amené l’accord sur le nucléaire – Un accord qui, sinon, aurait pu être bien meilleur du point de vue israélien.

Parce que les négociations auraient commencé plus tard.

Oui, les Iraniens auraient été dans une position bien plus faible. Ils étaient faibles. Ils sont venus aux négociations en raison de tout ce qui avait déjà été fait au cours de la décennie précédente mais les choses auraient pu être bien meilleures, vraiment meilleures.

Et également, malgré le fait que Pardo ait été nommé par – et grâce à – Netanyahu, il n’a pas terminé son mandat dans les meilleurs termes avec Netanyahu parce que tandis que l’accord sur le nucléaire – le JCPOA – était négocié, Pardo a déclaré qu’Israël devait faire partie des négociations et ne pas se prononcer publiquement contre les Etats-Unis, qu’Israël devait au moins essayer d’améliorer l’accord. Quelque chose qui n’a pas été accepté (par Netanyahu).

Solution à deux Etats

Un dernier point concernant Dagan et Sharon : A leur époque, dans la dernière partie de leurs vies, les deux hommes en sont arrivés à la conclusion, comme de nombreux autres, qu’il n’y a aucune autre manière de faire que d’adopter une sorte de compromis avec les Palestiniens sur la base de la solution à deux états et que toute autre approche mettrait un terme au rêve et à la vision sionistes.

Je crois vraiment le conseiller Dov Weissglass et tous ceux qui se trouvaient autour de lui qui disent que Sharon aurait évacué les implantations une fois qu’il aurait réalisé que les Américains ne céderaient pas et que, peu importe le président, les implantations continueraient à être un obstacle sur la voie de la paix du point de vue des Américains. Aussitôt a-t-il compris que les implantations étaient un obstacle qu’il n’a eu aucune difficulté à tourner le dos aux habitants des implantations même s’il en était l’un des pères fondateurs. Dagan avait la même perception des choses à la fin.

Les évacuer toutes ou seulement les implantations isolées ?

Sharon avait dit à Weissglass : « De ma manière seulement nous parviendrons peut-être à conserver un peu (des entreprises d’implantations en Cisjordanie) de notre côté. Sinon, nous devrons tout détruire ». Il n’avait pas donné de plan détaillé mais, en fin de compte, il aurait opté pour une solution à deux états, avec certains échanges de territoires, la rétention de certains blocs. Selon des personnes proches de Sharon avec lesquelles je me suis entretenu, il avait radicalement changé, en particulier grâce aux Américains. Il avait constaté qu’il était possible de croire en eux, de passer des accords avec eux – ils l’avaient aidé à battre le terrorisme, un résultat significatif – tant qu’il tenait parole. Et Dagan aussi avait changé.

Dagan avait également atteint cette conclusion. Il a cherché à utiliser la popularité extraordinaire dont il jouissait auprès du public israélien. Et il s’est dressé contre Netanyahu à un certain nombre d’occasions. En premier lieu, il y a eu cette réunion dont je parle, au dernier jour de sa mission. A la fin de laquelle le censeur s’est levé et où il a dit : « Ce qui a été prononcé ici, est interdit ». Et Dagan, qui a réalisé qu’il ne pourrait faire sortir son matériel de cette manière, l’a raconté plus tard lors d’une conférence à l’université de Tel Aviv où personne n’a pu l’arrêter et où il savait pertinemment que personne ne le sanctionnerait. Parce qu’après tout, c’était Dagan.

L’ancien chef du Mossad Meir Dagan à un rassemblement anti Netanyahu le 7 mars 2015 (Crédit : Capture d’écran Dixième chaîne)

Et après cela, dans une série de discussions – notamment avec moi – il a dit des choses très graves concernant Netanyahu. Et bien sûr, il s’est exprimé en défaveur de Netanyahu lors de la fameuse manifestation, avant les élections de 2015, et ça n’a pas fonctionné.

Et comme je l’écris à la fin de mon livre, il a été très déçu que cela ne fonctionne pas. Cela ne reflète pas l’unique déception de Dagan. Cela reflète un profond changement dans l’opinion publique israélienne. Le poids des généraux – des gens comme Sharon et Dagan – n’est plus ce qu’il était. Les gens sont construits différemment maintenant. Et le fait est que les communautés sécuritaires et de renseignements, globalement, sont relativement libérales, pacifiques : elles sont devenues des adultes responsables ! Elles protègent la démocratie.

Elor Azaria, au centre, un soldat israélien qui a tué un terroriste palestinien à Hébron, pendant une audience à la Cour militaire de Jaffa, le 26 juillet 2016. (Crédit : Flash90)

Voyez l’affaire Elor Azaria. C’est dingue. Un Etat où les chefs de renseignements, de l’armée, sont ceux qui protègent la démocratie – il y a vraiment quelque chose de dingue. Et nous avons de la chance d’avoir [le chef d’Etat-major Gadi] Eizenkot.

Parce que le cas échéant, que ferait Netanyahu ?

Ce n’est pas « le cas échéant ». Il le fait. La vision d’un Netanyahu et de personnalités de droite comme Ayelet Shaked est celle d’un Etat juif et non-démocratique. Ils veulent un Etat avec une discrimination claire contre les Arabes. Ils veulent un Etat qui contrôlera les territoires mais qui n’accordera pas aux [Palestiniens] des droits égaux. Ils comprennent que ce qu’ils veulent entre profondément en conflit avec la démocratie. Alors ils détruisent la démocratie. Ils détruisent les tribunaux. Et ils prennent pour cible les médias. Et ils agissent contre les ONG de gauche. Cela fait partie d’un agenda large et dangereux.

Quand vous avez des gens [au sein des hiérarchies des renseignements et sécuritaires] qui parlent de ce que font les responsables politiques, de comment sont dirigées les choses, du manque d’attention, de l’absence de démocratie… Quand les communautés des renseignements et l’establishment sécuritaire affirment que les choses ne sont pas démocratiques, alors quelque chose va mal, très mal.

Et qu’est-ce qui vous inquiète lorsque vous regardez l’avenir, après cet examen de plusieurs décennies du passé ?

Israël sera probablement en mesure de se confronter à toute menace venant de l’extérieur. J’ai confiance dans le fait que, tôt ou tard, nous pourrons gérer n’importe quelle menace extérieure…

Quoi qu’il arrive avec l’accord sur le nucléaire iranien et le Hezbollah et ?…

Nous nous trouvons dans la meilleure situation sécuritaire que nous n’ayons jamais connue. Souvenez-vous de ce que c’était, ici, avant l’invasion de l’Irak par les Etats-Unis. Le scénario cauchemardesque que le chef militaire israélien nourrissait était que l’armée syrienne et l’armée irakienne, qui, je crois, formaient ensemble 54 divisions armées, ne commencent à marcher ensemble vers Israël. Traverser la Jordanie et traverser la frontière. Eh bien, ces deux armées n’existent plus.

Quand vous avez un marteau, vous cherchez le clou

Ma crainte est, bien sûr, celle représentée par les menaces intérieures. Les clivages dans la société israélienne, l’effondrement des valeurs démocratiques, la sous-appréciation, par le public, de l’importance des médias. Je viens de voir le film « The Post ». A la fin, la cour suprême soutient le New York Times et le Washington Post. Imaginez que cela arrive ici. Est-ce que le tribunal se mettrait aux côtés du journal ? Je n’en suis pas sûr. Voyez l’affaire du Bus 300. On a fermé le tabloïd Hadashot. J’ai de nombreux autres exemples. Nous nous tournons souvent vers les tribunaux. Rien n’en ressort.

J’ai eu un appel téléphonique d’une personnalité de la communauté des renseignements après avoir écrit quelque chose. Elle m’a dit : « N’écrivez pas au sujet de Netanyahu. Tenez-vous en aux affaires de sécurité et de renseignements. Ce n’est pas bon pour vous ». Et c’était quelqu’un qui tentait de m’aider, pas de protéger Netanyahu. Les gens commencent à être endoctrinés, tout le monde a peur. Le genre de bataille qu’a mené Hadashot face au Bus 300, je ne suis pas certain de qui la mènerait aujourd’hui. Et donc, si j’ai des inquiétudes, c’est à ce sujet-là.

Il y a une autre conclusion importante de mon livre. La communauté des renseignements, malgré tous les passages critiques qu’il y a dans cet ouvrage, fait vraiment partie des meilleures du monde, elle est peut-être la meilleure. Et, tôt ou tard, elle offrira une solution à tous les défis qu’elle sera amenée à relever. Parfois, c’est trop tard et des gens meurent. Il y a des ratés. Mais en fin de compte, c’est l’histoire d’une réussite. Même si c’est également une histoire de catastrophe.

Vous écrivez : Des victoires tactiques et un échec stratégique.

Oui, parce que les séries de réussites tactiques magnifiques obtenues dans des opérations de renseignements et des opérations spéciales ont donné aux responsables le sentiment, comme s’ils avaient un outil puissant au bout des doigts, qu’ils pouvaient obtenir un résultat en se contentant de donner un ordre, en allant bien au-delà des lignes ennemies, et qu’avec cet outil, ils peuvent arrêter l’histoire. Ils peuvent s’assurer qu’ils atteindront leurs objectifs avec des opérations spéciales et de renseignement sans devoir faire appel aux vraies qualités qui sont celles d’un homme d’Etat et au discours politique. La réussite des renseignements israéliens, et c’est une réussite, est une réussite tactique qui a mené à l’échec stratégique.

Mais ces gens autour de nous, comme votre livre semble clairement l’établir, ne sont pas des gens avec lesquels il s’est avéré possible de passer des accords et d’obtenir des réussites stratégiques.

Je ne sais pas. On est allés faire la paix avec Sadate. Je pense qu’à l’époque d’Abbas et de Salaam Fayyad, il y avait une bonne chance de faire la paix. Dans cette querelle, il n’y a pas de saint d’un côté et de pécheur de l’autre. Il y a des choses à blâmer des deux côtés. Je suis très en colère contre les Palestiniens pour ce qu’ils font. Mais je pense que cette création, l’establishment de la défense israélienne, a changé le caractère juif. Lorsqu’on était dans la diaspora, on gérait. Profil bas. Ne pas attirer l’attention. Simplement passer.

Et maintenant, on a un sacré marteau entre les mains. Le plus fort. Et parfois, quand on a un marteau, on cherche le clou à enfoncer. Et cette recherche mène parfois à des décisions problématiques. Et à des mécanismes, comme avec l’assassinat (en 1992 du membre du Hezbollah) Musawi, par exemple, où on a commencé un processus où on s’est retrouvé avec le Hezbollah dressé à 100 % contre nous. C’est un peu le problème.

Alors rétrospectivement, de la même manière, vous n’auriez pas tué Sheikh Yassin parce que ça a ouvert la porte à l’Iran ?

Je ne sais pas. Le journaliste Dan Margalit avait été interrogé, en fait, pendant le processus décisionnaire sur ce qu’il ferait, et je pense qu’il a répondu qu’il le tuerait. Mais le calcul concernant Yassin était tactique, pas stratégique. Personne ne s’était même interrogé (sur les répercussions stratégiques). Vous ne pouvez pas savoir où ça va vous mener. Mais le calcul était : Quelle sera la réponse à l’assassinat dans le monde arabe ? (Il n’y a eu aucun calcul concernant) ces choses qui, nous le savons dorénavant, sont survenues après.

Le livre a été lourdement sanctionné ?

Oui.

Et des choses importantes, qu’il est terrible que nous ne sachions pas et qui, selon vous, ont été censurées de manière inacceptable ?

Oui, oui. Personne ne met en doute le fait qu’un livre tel que celui-là ne doit pas révéler les noms de nos agents à Damas ou comment nous nous sommes pris pour craquer un certain code. Il ne doit pas mettre en danger des vies.

Mais il y a trois secteurs où la censure dépasse les bornes.

Le premier, lorsque des choses se sont mal passées et qu’elles ont mis Israël dans l’embarras.

Le deuxième – toutes ces choses qui relèvent des « crimes de guerre ». Je comprends que ce n’est pas plaisant mais la manière dont (les restrictions de) la sécurité nationale les ont couvertes ?

Et le troisième, le censeur nous fait toujours écrire « selon des informations étrangères ». C’est cette manière de faire, si j’écris qu’Israël a des armes nucléaires et que je n’ajoute pas « selon des informations étrangères », c’est qu’Israël a officiellement reconnu détenir l’arme nucléaire. Pourquoi est-ce que c’est considéré comme une déclaration israélienne officielle ? Pourquoi Ronen Bergman écrit-il cela et que c’est ostensiblement interprété comme « Israël officiel » ?

Nous sommes le seul pays occidental possédant une censure militaire. Les gens disent que cela ne peut pas être vrai, qu’il doit y en avoir d’autres. Ce n’est pas le cas.

Un calcul moral

Si nous parlons d’assassinats, il y a deux questions à poser. Si c’est efficace et si c’est légal et moralement justifié ? C’est la question.

Si c’est efficace ? Je pense, oui. Si cela fait partie d’une politique et s’il ne s’agit pas de montrer qu’on agit une seule fois pour satisfaire l’opinion publique israélienne. Dans le cadre des autres mesures utilisées, oui. C’est pour forcer l’OLP à se freiner en Europe après Munich. Cela aura arrêté les attentats-suicides (lors de la Seconde intifada). Cela a ralenti le programme nucléaire iranien. Cela a fait la différence.

Est-ce que c’est moralement et légalement justifié ? Tout le monde peut le décider. Le problème, c’est que les organisations d’espionnage feront toujours plus que vous ne les laisserez faire. Elles franchiront toujours cette limite. La NSA, après le 11 septembre, a eu l’autorisation d’espionner les gens. On a bien vu ce qu’il s’est passé avec les documents Snowden. Les membres du Congrès ont dit : « Ouaouh, ils ne nous ont pas dit tout ce qu’ils faisaient ». Parce qu’ils voulaient réussir.

Le Shin Bet a la responsabilité de protéger tout le monde. Le coût moral est très difficile. Je n’ai pas de solution. Je ne sais pas ce que je dirais concernant Yassin. Je sais que si je faisais partie du processus décisionnaire et il s’agissait d’un homme qui avait donné l’ordre de tuer des Juifs, de tuer des Israéliens, j’aurais probablement dit : « Allez-y ».

Vous voulez protéger les Israéliens.

Le Premier ministre Netanyahu, à gauche, aux côtés de Yossi Cohen, en 2015. (Crédit : Gali Tibbon/AFP)

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