Les avocats votent pour désigner les dirigeants de l’Association du barreau
Le taux de participation est élevé ; la victoire d'alliés du gouvernement pourrait signifier que ce dernier sera en mesure de restructurer le système judiciaire - sans législation
Jeremy Sharon est le correspondant du Times of Israel chargé des affaires juridiques et des implantations.
Les files d’attente ont été longues, mardi, devant les nombreuses salles qui ont accueilli, dans tout le pays, le vote pour désigner les nouveaux dirigeants de l’Association israélienne du barreau.
Tandis que ces élections, qui ont lieu tous les quatre ans, ont habituellement tendance à passer inaperçues, ce n’est pas le cas cette année : Les résultats joueront en effet un rôle déterminant dans le plan de réforme du système judiciaire qui est avancé par le gouvernement, dans la mesure où les vainqueurs devront choisir les deux représentants de l’Association qui siègeront au sein de la Commission de sélection judiciaire, chargée de nommer les juges du pays et qui se trouve au centre du projet de refonte controversé de la coalition.
Ce sont plus de 77 000 avocats, membres de l’Association du barreau, qui sont habilités à déposer un bulletin dans l’urne des 106 salles qui accueillent le scrutin dans tout le pays.
L’IBA a fait savoir qu’à 14 heures, près de 20 % des avocats éligibles s’étaient présentés pour voter. Selon les médias israéliens, ce pourcentage était trois fois moins élevé lors des dernières élections à la même heure de la journée.
Des images publiées sur les réseaux sociaux ont d’ailleurs montré des dizaines et des centaines de personnes en train d’attendre de pouvoir jeter un bulletin dans l’urne. Certains électeurs ont raconté qu’ils avaient dû attendre plus de deux heures.
En résultat, l’IBA a demandé au ministre de la Justice, Yariv Levin, de garder les bureaux de vote plus longtemps ouverts.
Levin a accédé à cette requête et l’élection durera jusqu’à 20 heures, alors que l’heure de clôture initiale était 17 heures dans la plupart des endroits.
Cette décision a fait suite à un deuxième appel « urgent » lancé par l’association au ministre, alors que de longues files d’attente et des retards dans le vote ont été signalés dans le cadre de cette élection très tendue.
Levin a accepté cette prolongation à condition qu’elle se fasse « de manière égale » et qu’elle s’applique à tous les bureaux de vote du pays.
Alors qu’il est difficile de dire quand les résultats seront officiellement annoncés, il semblerait que le décompte des bulletins ne sera pas totalement terminé avant mercredi matin. Pour être désigné président, un candidat doit rassembler au moins 40 % des suffrages. En cas d’échec, les deux candidats en tête participeront à un second tour qui sera organisé dans quelques semaines.
Les deux candidats les plus en vue pour la présidence de l’IBA — Amit Becher, directeur par intérim de l’organisation, à la tête de la liste « Espoir pour l’IBA », et Efi Nave, ancien président de l’organisation qui dirige la liste « Une IBA » – ont sans surprise échangé des piques dans la matinée de mardi.
Becher soutient le mouvement des opposants au plan de réforme du système de la justice israélien promu par le gouvernement et il a déclaré mardi au site d’information Ynet que « ces élections seront décisives pour l’avenir de la démocratie, c’est l’indépendance du système judiciaire qui est en jeu ».
« Nous avons le sentiment qu’il y a eu un éveil et à juste titre », a-t-il ajouté.
« En plus de l’indépendance du système judiciaire, c’est le respect pour les professions juridiques qui est aussi à l’ordre du jour ici. Malheureusement, le candidat qui se présente contre moi est un criminel qui a été condamné, qui a fait honte au barreau. Un grand nombre d’avocats ne sont pas prêts à l’accepter », a continué Becher.
Nave, qui bénéficie d’un soutien fort au sein du gouvernement, de la part de personnalités de premier plan, avait été condamné l’année dernière pour fraude à la frontière pour avoir fait franchir illégalement à sa partenaire le contrôle des passeports à l’aéroport Ben Gurion, en 2018, afin d’éviter de nouveaux imbroglios dans une procédure de divorce déjà difficile d’avec son épouse de l’époque.
Et en 2019, Nave avait été arrêté, soupçonné d’avoir promu la nomination de femmes en échange de faveurs sexuelles. Le bureau du Procureur de l’État n’avait finalement pas souhaité lancer des poursuites à l’encontre de Nave dans la mesure où des éléments de preuve déterminants dans ce dossier avaient été obtenus par le biais d’un piratage illégal de son téléphone – rendant très probable le rejet de ces pièces par le tribunal.
Nave, de son côté, a dit soutenir le projet de réforme du système judiciaire même s’il a dit s’opposer « à de larges portions » des propositions radicales soumises par le ministre Yariv Levin au moment où ce dernier avait lancé sa croisade contre les juges.
Néanmoins, la candidature de Nave est appuyée par des membres de premier plan de la coalition et par des alliés du gouvernement et, semble-t-il, il serait susceptible de coopérer avec Levin.
Il a toutefois déclaré, lundi, qu’il n’était pas « le mandataire » du ministre de la Justice.
« J’ai un point de vue conservateur et je pense que les tribunaux ne devraient pas intervenir dans tout. Je ne suis pas mandaté par Levin », a-t-il commenté auprès du site d’information Ynet, assurant sans apporter de preuve que son adversaire avait été financé « par des entités extrémistes ».
Les deux autres candidats dans la course à la présidence de l’Association israélienne du barreau sont Doron Barzilai qui, lui, aussi, a été dirigeant de l’IBA dans le passé, et Arkady Eligulashvili. Selon un reportage qui a été diffusé par la Treizième chaîne, la coalition a exercé des pressions contre Eligulashvilli pour tenter de le convaincre de se retirer dans le but de dynamiser les chances de Nave dans le scrutin.
Eligulashvilli a qualifié, mardi, la campagne d’Efi Nave de « déshonneur » pour l’Association suite aux condamnations criminelles de ce dernier. Mais il s’en est aussi pris à Amit Becher, le favori dans ce scrutin qui, selon lui, « politisera » irrémédiablement l’Association du barreau dans le sillage de sa campagne passionnée contre le plan de refonte du système judiciaire.
Concernant l’idéologie des juges en attente d’une nomination, le candidat s’est montré plus prudent, estimant que le « professionnalisme » devait être l’unique facteur à prendre en compte par l’IBA.
« L’IBA doit faire ses recommandations concernant les juges sur la base de leur professionnalisme, de leur tempérament judiciaire ; elle doit recommander ceux qui sont en mesure de contribuer au débat grâce à leurs connaissances et à leur professionnalisme », a-t-il confié au Times of Israel aux abords des bureaux de l’Association du barreau israélien, à Jérusalem.
« Le dialogue tout entier sur les juges activistes ou non activistes réduit le niveau du débat et ce, au détriment de la question du professionnalisme. Si un juge est professionnel, qu’il peut rendre la justice, qu’il est efficace, alors l’activisme ne doit pas être pris en considération, a-t-il ajouté.
Les électeurs mettront quatre bulletins dans les enveloppes : un pour désigner le président de l’IBA ; un autre pour les listes de partis qui, dans le pays, se présentent aujourd’hui pour être élus au Conseil national de l’Association – « la branche de l’exécutif » au sein de cette dernière ; un pour nommer le dirigeant des conseils de district locaux et un autre pour les listes des partis en lice au niveau des districts.
C’est le Conseil national qui sélectionnera les deux représentants de l’IBA qui siègeront au sein de la Commission de sélection judiciaire. Ils rejoindront les sept autres membres du panel : deux ministres, deux députés (l’un d’entre eux est une parlementaire issue de l’opposition – Karine Elharrar, de Yesh Atid) et trois juges à la Cour suprême.
Si les vainqueurs des élections au sein de l’Association israélienne du barreau devaient être sensibles aux propositions du gouvernement, alors ils pourraient apporter à Levin une nouvelle influence substantielle au sein de la puissance Commission, lui permettant de commencer à nommer des juges – à des juridictions inférieures mais aussi potentiellement à la Cour suprême – qui partagent sa vision du monde.
Dans une telle situation, Levin serait en mesure, dans les faits, de redessiner le système judiciaire à son image sans avoir besoin de recourir à l’adoption de la législation qui a entraîné une forte opposition dans le pays.
Si les résultats du scrutin devaient aboutir sur le choix de deux représentants de l’Association du barreau partageant son idéologie, le gouvernement pourrait alors s’enorgueillir de la présence de cinq délégués au sein de la Commission de sélection judiciaire.
Ce qui est suffisant pour nommer des juges dans les Cours de magistrats ou de district – des nominations qui nécessitent l’assentiment de cinq membres de la Commission.
Mais dans la mesure où Levin a indiqué qu’il chercherait à nommer un nouveau président pour la Cour suprême lorsque la présidente actuelle, Esther Hayut, prendra sa retraite au mois d’octobre, le ministre de la Justice pourrait en théorie asseoir une plus grande influence encore au sein de la Commission.
Si la Cour suprême choisit habituellement son président sur la base de son ancienneté au sein du tribunal, la loi autorise malgré tout la Commission de sélection judiciaire à désigner elle-même un président avec une majorité de seulement cinq voix.
Si des représentants pro-gouvernement devaient être choisis au sein de l’IBA pour entrer au panel, Levin pourrait alors désigner le nouveau président de la Cour suprême qui aurait le droit de sélectionner les deux autres juges siégeant à ses côtés qui intégreront la Commission de sélection judiciaire.
Ce qui pourrait faire gagner à Levin huit alliés au sein du panel, un nombre suffisant pour désigner les nouveaux juges à la Cour suprême – des nominations qui nécessitent une majorité de sept voix.
Il faut noter qu’il y a, actuellement, au moins quatre magistrats conservateurs à la Cour suprême – et qu’il n’est pas certain qu’ils soutiennent pour autant l’agenda radical de Levin. Ce dernier a déjà déclaré, dans le passé, qu’il ne considérait aucun des juges de la Cour suprême comme suffisamment conservateur.
Si les opposants à la réforme envisagée par le gouvernement pour le système israélien de la justice l’emportent lors des élections de l’IBA, les représentants qu’ils nommeront à la Commission seront, presque certainement, hostiles aux projets de Levin.
Dans ce cas, Levin refusera probablement de réunir la commission à court-terme – et cela pourrait le pousser, une fois encore, à relancer son processus de refonte radicale qui, s’il est mené à bien, offrirait à une coalition au pouvoir le contrôle presque total des nominations judiciaires sur tout le territoire israélien.