Les brebis perdues de la maison d’Israël ?
Les Israélites hébreux africains ont vécu à Dimona pendant 3 générations, prétendant que leur histoire les avait reconduits vers cette terre. Membres de la tribu ? Israël reste sceptique
DIMONA – Si vous demandez à Ahmadiel Ben Yehuda où se situe Israël dans le monde, il vous fera un grand sourire et vous dira que, sans l’ombre d’un doute, Israël se trouve en Afrique du Nord, que le Moyen Orient est en réalité géographiquement sur le continent africain. Lui, vous et tout le monde autour sont donc africains.
C’est l’un des nombreux changements de paradigme qui caractérise la communauté d’Ahmadiel et a permis à ses membres, pendant trois générations, d’adopter le mode de vie des descendants du peuple juif malgré que leurs ancêtres soient originaires des mêmes villes africaines que celles de la communauté noire américaine.
Ahmadiel occupe la fonction de conseiller à l’information pour le Village de la Paix, un kibbutz urbain de la ville de Dimona composé presque entièrement d’Américains noirs et de leurs descendants qui se croient tous être liés au peuple juif et à la tribu perdue de Judah.
Recevez gratuitement notre édition quotidienne par mail pour ne rien manquer du meilleur de l’info Inscription gratuite !
C’est un endroit qui semble trop beau pour être vrai, un groupe d’environ 1 800 hommes, de femmes et d’enfants souriants, habillés avec des tissus artisanaux aux couleurs de l’arc-en-ciel et nourris d’idéaux sionistes et d’aliments biologiques végétaliens.
Ici, dans la cité également connue pour son très secret réacteur nucléaire et ses stations-service sur la route vers Eilat, cette communauté a construit ses propres écoles, formé ses propres sages-femmes pour élever trois générations d’enfants qui parlent à la fois l’hébreu et un anglais courant, et tout cela au nom du Dieu juif ou comme ils préfèrent dire : Yahvé.
« Nous sommes liés aux Israélites hébreux. Notre histoire nous a conduits vers cette terre », explique Ahmadiel, qui partage son nom avec la majorité des autres membres de la communauté. Nous sommes les brebis perdues de la maison d’Israël, ou du moins nous faisons partie de la famille. »
Les premiers Israélites hébreux américains, comme ils s’appellent eux-mêmes, ont quitté Chicago pour Israël durant les affres du mouvement des droits civiques américains.
Guidés par un chef spirituel nommé Ben Ammi Ben-Israël, né Ben Carter à Chicago et que l’on considère comme avoir reçu une visite de l’ange Gabriel en 1966, ils ont voyagé dans un groupe de 350 d’abord au Libéria, un choix délibéré, si ce n’est étrange, qui avait pour objectif, déclare Ahmadiel, d’éliminer une sorte de pensée culturelle collective que les Noirs américains avaient assimilée pendant la période du trafic d’esclaves.
« Nous voulions nous débarrasser de ce que nous avions appris en tant qu’esclaves. En tant qu’esclave, on perd son humanité et si l’on ne s’aime pas, on ne peut pas aimer les autres », affirme-t-il. Nous devions nous débarrasser de cette mentalité. »
Ahmadiel, grand, mince et habillé d’une tunique ornée de motifs orange clair, ne faisait pas partie du groupe. Il est venu en Israël par lui-même dans les années 1970 et a ensuite rejoint la communauté.
Pourtant, il décrit le parcours difficile des Noirs américains à la recherche de Dieu, qui sont arrivés au Libéria seulement armés de tentes Sears et Roejuck et d’une grande soif de se rapprocher des chants bibliques d’esclaves de leurs ancêtres avec une réalité moderne et idyllique, comme s’il avait été là lui-même.
« Si vous avez vu les bateaux esclavagistes, vous saurez que nous sommes littéralement arrivés en Amérique complètement nus. Aucun objet, aucun écrit, aucun parchemin, pas même de vêtements de rechange. »
« Néanmoins, nous avons transporté avec nous une tradition orale et nos chansons en Amérique, lorsque l’on nous a interdit d’écrire ou de prêcher, n’étaient pas des chansons du Mali ou de Tombouctou, explique Ahmadiel. Nous avons chanté au sujet de la rivière du Jourdan. Nous avons chanté au sujet de Jéricho, de Jérusalem de Canaan. »
La vie au Libéria, explique Ahmadiel, a été un choc pour ces pionniers élevés dans un milieu urbain.
Les moussons ont rapidement pourri la plupart de tentes tandis que celles qui sont restées sèches ont été envahies par des fourmis géantes et de serpents. Plusieurs membres du groupe sont morts.
D’autres ont abandonné et sont retournés aux supermarchés ouverts 24 heures sur 24 et aux rues pavées de Chicago.
Pourtant en 1969, la première partie des Hébreux africains a décidé que leur éducation au Libéria était terminée et qu’il était temps d’aller en Israël. D’autres ont suivi en évoquant la Loi du Retour et leur identification aux Juifs pour obtenir la citoyenneté.
Dans les années 1970, pourtant, lorsque la Loi du Retour a été modifiée pour introduire la condition d’avoir un grand-parent juif afin de permettre à l’immigrant de prétendre au statut de juif, le groupe a vu ses droits disparaître.
Aujourd’hui, le nombre d’Israélites juifs africains reste stable autour des 3 000, dont
1 800 vivant dans le Village de la Paix.
Certains ont fait des démarches avec réussite et ont obtenu la citoyenneté israélienne, d’autres vivent comme des résidents permanents tandis que certains, spécialement parmi la plus jeune génération dont les parents sont nés en Israël et ne pouvant donc pas transmettre leur citoyenneté américaine à leurs enfants, n’ont pas de passeport du tout.
Ils auraient pu se battre pour des tests d’ADN ou essayer de retrouver leurs ancêtres génétiquement pour apporter des preuves concrètes de leur place dans l’histoire juive.
Et pourtant, ils ont refusé, explique Ahmadiel, parce que leur judaïsme existe dans leur cerveau, et non dans leur corps.
« La question des gènes, de l’ethnicité, de la biologie, n’est pas importante », explique-t-il. « Il est important que nous nous soyons donné les moyens de répondre à l’appel que nous avons reçu. »
La vie dans le Village de Paix est un étrange mélange d’Israël, d’Amérique et de folklore du passé. La lingua franca est l’Anglais avec des noms traditionnels hébreux attribués aux bâtiments qui sont prononcés avec un accent étrange.
En adoptant le modèle d’un kibbutz urbain, tous les membres reçoivent un revenu et travaillent pour le bien commun ; des entreprises qui ont évolué, y compris une florissante usine de nourriture végétalienne et un groupe de musique de style américain, ils paient leurs parts dans le pot commun.
Il y a un club de gymnastique avec des cours de yoga et de zumba, un café avec des produits biologiques et une salle de couture commune où les femmes du Village de Paix, où les sœurs, comme ils les appellent, peuvent confectionner leur propres vêtements.
Les hommes du Village ont ouvertement pratiqué la polygamie depuis la création du groupe. Ahmadiel a trois femmes et 21 enfants répartis entre elles.
Pourtant, dans l’espoir d’améliorer leur chance d’obtenir la citoyenneté, le groupe a décidé d’arrêter les pratiques polygames en 2006 (les familles avec plusieurs femmes déjà existantes sont restées intactes). Ahmadiel explique qu’il espère qu’ils reviendront à cette pratique dans un avenir proche.
En invoquant la phrase de la Genèse, « je vous ai donné chaque herbe à la surface de la terre acceptant des graines, et chaque arbre acceptant de porter des fruits, ce sera pour vous nourrir », tous les membres observent un régime végétalien strict. Le rejet de toute viande et de produits laitiers, insistent-ils, a accordé à la communauté une santé parfaite, pas le moindre exemple de maladie cardiaque, de cancer, ou d’autres pathologies dégénératives n’est apparu parmi les membres qui sont nés dans la communauté et qui ont conservé le régime toute leur vie, soulignent-ils.
Les soins médicaux se focalisent donc sur la prévention plutôt que sur les traitements immédiats. « Les Noirs américains sont considérés comme étant prédisposés à l’hypertension, au diabète etc., cependant, grâce à notre style de vie ces 30 dernières années, nous avons pu changer notre génétique car nous ne sommes plus prédisposés à ces pathologies », explique Rofeh Yehoshoua Ben Yehoudah, qui porte le titre de docteur de la communauté.
Habillé d’un vert électrique de la tête aux pieds avec un bonnet tricoté et des pantoufles, il pourrait presque porter une blouse médicale très stylée. Il prétend être médecin, même s’il a été formé à l’institut indépendant et non certifié du Village de la Paix, plutôt que dans une école médicale reconnue.
« Nous ne sommes en aucune manière extrémistes », affirme-t-il. « Dans les situations que nous avons jugées nécessaires, nous avions besoin d’une intervention extérieure, nous l’avons utilisée. Néanmoins, dans la plupart des cas, nous avons pu gérer les problèmes de santé rencontrés avec des herbes naturelles, un régime particulier et la nutrition. »
« Les femmes enceintes au Village de Paix ont toutes accouché dans un établissement nommé la ‘Maison de Vie’ avec une équipe de sages-femmes également formées dans le campus pour les assister. Pendant leur accouchement, un prêtre se trouve derrière la porte et lit des Psaumes de sorte que la première chose que l’enfant entendra sera la parole de Dieu. »
« Nous pouvons certifier leur formation », explique Ahmadiel au sujet de sages-femmes et de Rofeh Yahoshoua. « Nous sommes prêts à les comparer aux médecins du MIT, de Harvard et de Yale n’importe quand. C’est notre docteur. »
En mai, le Village accueille un festival appelé la Pâque du Nouveau Monde, célébrant leur exode d’Amérique vers la Terre promise.
Les familles toutes habillées dans des tissus assortis, créant une émeute de couleurs et de musique alors qu’ils se réunissent pendant deux jours pour faire la fête avec de la nourriture végétalienne et se réjouissent de leur place en Israël sans se soucier de leur statut illégal.
Que le gouvernement d’Israël les accepte ou non les Hébreux africains comme les dignes héritiers au sein du peuple élu, ils sont bien déterminés à adhérer à leur propre culture et à continuer de se développer.
« C’est l’ironie de cette mosaïque appelée Israël », déclare Ahmadiel en dégustant un déjeuner végétalien composé de nouilles aux épinards, d’une salade d’haricots verts et de ‘shnitzel’ au soja.
« C’est là toute la beauté de faire partie d’une large famille. Nous avons tous un cousin qui est spécial. »
... alors c’est le moment d'agir. Le Times of Israel est attaché à l’existence d’un Israël juif et démocratique, et le journalisme indépendant est l’une des meilleures garanties de ces valeurs démocratiques. Si, pour vous aussi, ces valeurs ont de l’importance, alors aidez-nous en rejoignant la communauté du Times of Israël.
Nous sommes ravis que vous ayez lu X articles du Times of Israël le mois dernier.
C'est pour cette raison que nous avons créé le Times of Israel, il y a de cela onze ans (neuf ans pour la version française) : offrir à des lecteurs avertis comme vous une information unique sur Israël et le monde juif.
Nous avons aujourd’hui une faveur à vous demander. Contrairement à d'autres organes de presse, notre site Internet est accessible à tous. Mais le travail de journalisme que nous faisons a un prix, aussi nous demandons aux lecteurs attachés à notre travail de nous soutenir en rejoignant la communauté du ToI.
Avec le montant de votre choix, vous pouvez nous aider à fournir un journalisme de qualité tout en bénéficiant d’une lecture du Times of Israël sans publicités.
Merci à vous,
David Horovitz, rédacteur en chef et fondateur du Times of Israel