Les évacuations se poursuivent au Soudan où aucune issue n’est en vue
En tout, plus de 1 000 ressortissants de l'UE ont été évacués, selon le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell, qui évoque une "opération complexe"
Les évacuations d’étrangers se poursuivent lundi au Soudan où neuf jours de combats pour le pouvoir entre armée et paramilitaires ont fait des centaines de morts, sans aucune issue en vue.
Les explosions et les tirs n’ont pas cessé de résonner à Khartoum et dans d’autres villes, mais les capitales étrangères sont parvenues à négocier des passages avec les deux belligérants : l’armée du général Abdel Fattah al-Burhane , dirigeant de facto du Soudan, et son adjoint devenu rival, le général Mohamed Hamdane Daglo , qui commande les très redoutés paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR).
Il a fallu « profiter d’une petite fenêtre d’opportunité », a indiqué un porte-parole du gouvernement anglais, à Londres.
Car, « avec des combats intenses à Khartoum et la fermeture du principal aéroport », théâtre de combats dès le premier jour des hostilités, le 15 avril, « une évacuation temporaire plus large était impossible », a-t-il poursuivi.
En tout, plus de 1 000 ressortissants de l’UE ont été évacués, a indiqué le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell, évoquant une « opération complexe ».
Plusieurs capitales arabes ont également évacué des centaines de leurs ressortissants.
Un Libanais, parvenu à Port-Soudan (est) en bus et prêt à embarquer sur un bateau, raconte à l’AFP être parti avec « un tee-shirt et un pyjama ». « C’est tout ce qui me reste après 17 ans » au Soudan, se lamente-t-il.
A Khartoum, « on était en état de siège, comme dans un thriller », dit-il, alors que l’eau courante et l’électricité sont coupées depuis plusieurs jours, le réseau téléphonique fortement dégradé, et le début de pénuries de produits alimentaires pour les cinq millions d’habitants de la capitale.
« On redoutait de tomber malades ou d’être blessés dans les frappes », poursuit l’homme, au milieu d’un groupe de familles évacuées, portant de petits sacs à dos roses d’enfants et quelques valises.
« La guerre nous est tombé dessus sans avertissement », poursuit-il. Et maintenant, « tout est détruit ».
Les violences, principalement dans la capitale et au Darfour, dans l’ouest, ont fait selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) plus de 420 morts et 3 700 blessés.
La plupart des étrangers évacués sont des membres du personnel diplomatique. De nombreux ressortissants attendent, eux, toujours une place dans les longs convois de voitures blanches ou les bus siglés qui partent en continu vers Port-Soudan ou des bases aériennes hors de Khartoum.
A l’arrivée à Djibouti, où sont stationnées de nombreuses troupes étrangères, des familles débarquent, hagardes, des avions au milieu de militaires qui organisent l’incessant ballet des évacuations.
« Peur pour l’avenir »
Mais si de nombreux étrangers sont partis, qu’adviendra-t-il des Soudanais, se demandent experts et humanitaires.
« J’ai peur pour leur avenir », admet sur Twitter l’ambassadeur norvégien Endre Stiansen. « Maintenant, les armes et les intérêts personnels pèsent plus que les valeurs et les mots: tous les scénarios sont mauvais », poursuit-il.
Les cinq millions d’habitants de Khartoum, eux, n’ont qu’une idée en tête: quitter la ville qui plonge dans le chaos.
Les deux camps s’accusent d’avoir attaqué des prisons pour faire sortir des centaines de prisonniers, de piller maisons et usines. Des affrontements ont eu lieu aux abords de plusieurs banques, aussitôt vidées.
Dans un pays où l’inflation est déjà à trois chiffres en temps normal, le kilo de riz ou le litre d’essence s’échangent désormais à prix d’or.
#Sudan???????? Fighting erupted between the Sudan Armed Forces and the Rapid Support Forces in Khartoum capital of the country. pic.twitter.com/FUCc0SnNBs
— Kevin Muruta (@KevinMuruta) April 15, 2023
Or, l’essence est la clé pour s’échapper : il en faut beaucoup pour rejoindre l’Egypte voisine – à 1 000 km au nord – vers laquelle des milliers de Soudanais espèrent désormais se tourner. Ou encore pour rallier Port-Soudan, à 850 km à l’est, et espérer monter dans un bateau, comme l’ont fait les tout premiers évacués du pays, les Saoudiens.
« Alors que les étrangers qui le peuvent s’enfuient, l’impact des violences sur une situation humanitaire déjà critique au Soudan s’aggrave », prévient l’ONU.
Prises sous les tirs croisés, ses agences et de très nombreuses organisations humanitaires ont suspendu leurs activités. Cinq humanitaires, dont quatre de l’ONU, ont été tués et, selon le syndicat des médecins, près des trois quarts des hôpitaux sont hors service.
Pillages et attaques
Des milliers de Soudanais ont déjà fui en Egypte, au Soudan du Sud et au Tchad, frontalier du Darfour.
Cette région de l’ouest, la plus pauvre du pays, a été ravagée dans les années 2000 par une sanglante guerre ordonnée par le dictateur Omar el-Béchir, déchu en 2019, et menée notamment par les miliciens Janjawids, le gros des troupes du général Daglo aujourd’hui.
Aujourd’hui, alors que personne n’y a accès, elle est de nouveau en proie aux pillages, aux attaques et aux atrocités.
BREAKING: 70 American diplomats and their families have just been evacuated from the US embassy in Khartoum, Sudan. Details:
– A U.S Forces Mission consisting of 6 aircraft were deployed for the evacuation.
– This came a few hours after the U.S. Embassy in Sudan issued a… pic.twitter.com/6Dd94tBXLZ
— Brian Krassenstein (@krassenstein) April 23, 2023
Le Programme alimentaire mondial (PAM) rapporte ainsi que « 10 véhicules et six camions de nourriture ont été volés », soit « 4.000 mètres cube d’aliments » qui n’iront pas aux 45 millions de Soudanais, dont plus d’un sur trois souffrait de la faim avant le confit actuel.
Celui-ci a dégénéré en guerre samedi. Mais il couvait en réalité depuis des semaines entre les deux généraux. Alliés pour le putsch de 2021, ils ne sont pas parvenus à s’entendre sur l’intégration des FSR aux troupes régulières.
Sur le plan militaire, avec les deux camps engagés dans une guerre de l’information, il est impossible de savoir qui contrôle les institutions du pays ou les aéroports et dans quel état se trouvent les infrastructures.