Les groupes juifs des campus américains sont un refuge pour les étudiants
Hillel ou les maisons 'Habad sont prises d'assaut alors que les étudiants de tout le pays cherchent à fuir un climat de plus en plus pesant, alourdi par les manifestations anti-israéliennes et souvent antisémites

NEW YORK — Il fut un temps où Sabrina Soffer se sentait en sécurité sur le campus de l’université George Washington. Mais tout a changé le 7 octobre.
Dans les mois qui ont suivi, explique-t-elle, ses amis juifs ont essuyé des crachats. L’un de ses pairs a éclaté de rire pendant un cours où elle révélait que l’un de ses proches, en Israël, avait été tué et – un incident qui a fait les gros titres des médias – des messages antisémites ont été projetés sur le mur de la bibliothèque de cette prestigieuse institution.
La mère de Soffer a été tellement effrayée qu’elle a demandé à sa fille d’enlever l’étoile de David qu’elle portait autour du cou au cours de ses déplacements sur le campus de Washington, DC.
De nombreux Juifs qui poursuivent actuellement des études supérieures sur tout le territoire américain font part d’expériences similaires alors que l’antisémitisme, dans les universités, a grimpé en flèche sur les campus. Une vague de haine qui s’est abattue dans les mois qui ont suivi l’attaque meurtrière commise par les terroristes du Hamas sur le sol israélien, le 7 octobre – des milliers d’hommes armés avaient franchi la frontière séparant la bande de Gaza du sud d’Israël et il avaient tué près de 1 200 personnes, des civils en majorité. Ils avaient aussi kidnappé 253 personnes qui avaient été prises en otage dans la bande de Gaza.
Mais un nombre croissant d’étudiants américains, comme c’est le cas de Soffer, trouvent heureusement du réconfort, de l’amitié et du soutien dans les groupes juifs présents sur les campus, comme les maisons ‘Habad ou Hillel, à un moment où les mouvements de protestation anti-israéliens prennent une ampleur toujours plus importante.
Inspirés par les manifestations qui sont actuellement organisées à Columbia – ce sont plus de cent étudiants qui ont été arrêtés par la police dans ce contexte, la semaine dernière – les activistes pro-palestiniens fréquentant les établissements d’enseignement supérieur de tous les États-Unis, du Massachusetts à la Californie, se sont regroupés par centaines et ils ont dressé des campements. Dans ce cadre, certains étudiants juifs ont signalé avoir été victimes de menaces directes de la part des protestataires, condamnant un climat général de haine antijuive et disant avoir peur de se rendre à leurs cours. Les administrations des universités, pour leur part, ont durci leur réponse face à ces mouvements de protestation, les appréhendant de manière plus lourde que cela n’avait été le cas lors des six premiers mois du conflit opposant Israël au Hamas. L’intervention de la police, sollicitée par les responsables des campus, a entraîné des heurts entre étudiants et forces de l’ordre.
« Le dîner du Shabbat à la maison ‘Habad, le vendredi soir, est le moment le plus important de la semaine pour moi », avait expliqué Soffer au Times of Israel peu avant le début de l’occupation du campus, le 17 avril (la jeune femme avait été, par ailleurs, l’une des étudiantes à avoir pris la parole lors d’une manifestation pro-israélienne massive, la March on Washington, qui avait été organisée au mois de novembre).

Soffer décrit l’atmosphère de ce refuge : « C’est un endroit accueillant où tout le monde se rassemble, où on passe des heures à discuter… C’est agréable d’être quelque part où nous sommes tous là pour nous soutenir, les uns les autres ».
Un pôle – et un refuge – pour les étudiants juifs
Les leaders des branches du mouvement ‘Habad et des centres Hillel, dans tout le pays, disent avoir dynamisé leurs programmes, ces derniers mois, pour pouvoir devenir de véritables pôles pour la vie juive sur les campus mais aussi un refuge pour tous ceux qui souhaitent se retrouver pour échanger dans un contexte de crise. Ils aident les étudiants à faire face à leurs émotions – les jeunes ont été à la fois éprouvés par l’assaut meurtrier du 7 octobre en Israël et par l’hostilité affichée par leurs pairs, sur les campus, à l’égard de tous ceux qui sont perçus comme étant des soutiens d’Israël.
Les groupes ont décidé de riposter à la haine en proposant plus d’activités sociales, en offrant des opportunités d’apprentissage ou des ateliers culinaires – les étudiants ont notamment préparé de la challah – attirant un nombre toujours croissant de participants. Ils ont fait venir des thérapeutes pour que les étudiants puissent parler de leurs émotions en lien avec les violences survenues en Israël ou en lien avec la haine qui sévit sur les campus.
Pour la fête de Pessah – qui a lieu, cette année, du 22 avril au 29 avril – la maison ‘Habad de l’université de Columbia a accueilli un Seder pour les étudiants, faisant également appel à des personnels de sécurité qui ont été chargés d’escorter les jeunes jusqu’à leur chambre, après le dîner. Le groupe distribue également de la matzah et d’autres produits casher pour les repas de Pessah, pendant toute la semaine de célébrations.
Dans une lettre écrite aux étudiants, la maison ‘Habad a établi que « c’est la mission de notre vie de soutenir les étudiants juifs de l’université de Columbia et nous n’irons nulle part ailleurs ».

Cette organisation juive, qui travaille sous les auspices du mouvement hassidique ‘Habad, a renforcé ses activités dans ses centres sur presque 900 campus américains et elle a organisé plusieurs centaines d’événements depuis le début de la guerre opposant Israël au Hamas, raconte Avi Weinstein, directeur des opérations du mouvement ‘Habad au sein de Campus International.
« Nous avons pu mesurer une augmentation de plus de 40 % du nombre de nouveaux étudiants qui ont franchi la porte de nos maisons ‘Habad depuis le 7 octobre », continue-t-il.
Dans les trois premiers mois qui avaient suivi le massacre commis par le Hamas, les incidents antisémites avaient connu une hausse de 360 %, selon l’Anti-Defamation League (ADL), avec 3 283 incidents de ce type qui avaient été enregistrés. Approximativement 50 % de ces incidents étaient survenus dans les universités et autres établissements d’enseignement supérieur des États-Unis. De plus, près de 75 % des étudiants juifs avaient signalé avoir été victimes ou témoins d’incidents antisémites sur les campus depuis le début de l’année académique. Des incidents qui étaient allés d’actes de vandalisme jusqu’à des agressions physiques, avait noté l’ADL.

De nombreux étudiants juifs, en résultat, souffrent dorénavant d’anxiété ou d’isolement. Certains ont répondu à cette vague d’hostilité en ôtant les étoiles de David qu’ils portaient autour du cou, en enlevant leur kippa ou en quittant les résidences universitaires.
D’autres ont trouvé refuge dans les rassemblements juifs qui sont organisés sur les campus.
Combien, parmi ces étudiants nouveaux-venus, continueront-ils à s’impliquer dans la vie juive ? A cette question, Leonard Saxe, professeur d’études juives contemporaines et directeur du Cohen Center for Modern Jewish Studies à l’université de Brandeis, déclare qu’il est difficile d’anticiper l’impact à long-terme de cette tendance.
« Ce que je peux dire, c’est que ce n’est pas un phénomène inhabituel de constater qu’il y a une solidarité qui se tisse à l’intérieur d’un groupe lorsque le groupe est attaqué », déclare-t-il, ajoutant qu’il reviendra aux organisations juives de savoir exploiter cette opportunité.
« Elles peuvent, par exemple, apporter leur soutien à des programmes comme Birthright Israel, des programmes qui permettent aux étudiants de se rendre en Israël de manière à pouvoir témoigner et à pouvoir mieux comprendre la situation sur le terrain », continue-t-il. « Les organisations juives ont l’occasion, en ce moment, de faire une réelle différence ».

Un phare dans la tempête
Dani van Creveld, qui est en deuxième année à l’université A&M du Texas, se rappelle le choc qu’elle a ressenti après avoir appris la nouvelle du massacre commis par le Hamas, le 7 octobre. « J’ai des amis proches et j’ai de la famille en Israël. Cela a été très dur », raconte-t-elle.
Elle dit être restée dans un brouillard pendant plusieurs jours avant d’aller chercher du réconfort à la maison ‘Habad.
« C’est un environnement tellement chaleureux, tellement aimant », raconte-t-elle, ajoutant que le rabbin ‘Habad du campus avait prévu des activités supplémentaires et qu’il avait fait venir des psychothérapeutes pour tous ceux qui avaient besoin de parler.
Van Creveld dit ne pas avoir grandi dans un foyer particulièrement religieux mais qu’après le 7 octobre, elle a estimé qu’il était important qu’elle assiste aux services du Shabbat, à la maison ‘Habad, et qu’elle s’efforce dorénavant d’y faire venir aussi ses autres camarades de cours juifs, qui sont attirés par la chaleur et l’esprit de camaraderie qui y règnent. Une chaleur et une amitié qui contrastent avec l’impact de l’antisémitisme croissant qu’elle et ses pairs subissent au quotidien.
« Y aller toutes les semaines me donne une impression de normalité et me permet d’échapper à tout ce qui est en train de se passer dans le monde », indique-t-elle. Le centre organise aussi des événements pour les fêtes juives et il accueille même une soirée interconfessionnelle, lors de laquelle des personnes venues de l’extérieur interrogent le rabbin sur le judaïsme et sur Israël. « Tout le monde est le bienvenu ici », explique Van Creveld. « Personne n’est jugé ».

Si le groupe Hillel est présent sur presque un millier de campus dans le monde entier, l’organisation est sur le point de pulvériser son propre record en termes de participation étudiante depuis sa création, il y a un siècle. Ainsi, plus de 180 000 étudiants ont poussé la porte du groupe dans les universités, cette année, selon Adam Lehman, président et directeur-général de Hillel International.
A l’université du Wisconsin, c’est un nombre beaucoup plus important de jeunes étudiants qui ont fait le choix de solliciter le groupe depuis le 7 octobre, observe pour sa part Greg Steinberg, directeur-général de l’UW Hillel Foundation. « Au début, tout le monde était sous le choc et se sentait comme pris au piège », explique-t-il.
« Nous sommes allés voir les administrateurs des établissements et nous leur avons parlé de ce qui était, pour nous, un moment de crise accru, une crise que le reste du monde ne parvenait pas à reconnaître. Nos étudiants étaient déchirés mais la vie continuait normalement autour d’eux », dit Steinberg. « Il a fallu du temps pour qu’ils puissent reprendre leurs marques mais aujourd’hui, les étudiants viennent nous voir et ils veulent promouvoir des causes juives et soutenir Israël. Certains n’avaient jamais pris de telles initiatives dans le passé, des initiatives qu’ils doivent mener à bien, et nous les soutenons dans ce travail. »
Dans tout le pays, le groupe Hillel a organisé des veillées, collé des affiches pour sensibiliser à la cause des otages, organisé des discussions sur la question israélienne ou des activités pour les fêtes juives – et tout semble avoir pris un nouveau sens, fait-il remarquer.
« La lutte contre l’antisémitisme sur les campus a toujours été l’une des missions au cœur du travail de Hillel depuis des décennies et cela a d’autant plus été le cas, cette année, face à la vague de haine antijuive qui s’est abattue » sur les établissements d’enseignement supérieur américains, a indiqué le directeur-général de Hillel International, Adam Lehman, dans un communiqué.
« Alors que les campements et autres tactiques agressives de manifestation se propagent actuellement sur de nombreux campus, nous insistons sur le fait que tous les responsables des universités et des autres institutions doivent entreprendre des actions plus fortes visant à reprendre le contrôle des campus et à garantir la sécurité des étudiants juifs qui font l’objet de harcèlement, de menaces et autres violences et formes d’abus », a continué Lehman.
Les étudiants peuvent laisser s’exprimer leur vraie personnalité
John Schmalzbauer, professeur de religion à l’université d’État du Missouri, a réalisé une étude, en 2023, où il se penchait sur les maisons ‘Habad et sur les centres Hillel. Il a ainsi découvert que les étudiants recherchaient des endroits où ils pouvaient rencontrer des gens qui leur ressemblaient et où ils pouvaient laisser s’exprimer leur « vraie personnalité », être authentiques.

« L’histoire de ces groupes fait partie intégrante d’une histoire plus longue sur les campus américains, qui remonte à presque un siècle. Des groupes comme Hillel, ‘Habad et d’autres fraternités et sororités juives ont servi de refuge pour les étudiants juifs pendant les périodes difficiles qui ont été traversées dans l’histoire juive américaine », dit-il.
« Le groupe Hillel, à l’université du Minnesota, est né dans une ville qui était tristement célèbre pour son antisémitisme dans les années 1930 », ajoute-t-il.
Même si l’étude ne s’est pas penchée sur d’autres moments de crise de l’histoire juive – comme l’avaient été les guerres menées par Israël en 1967 et en 1973 – elle avait établi que les étudiants avaient tendance à être attirés par les membres de leurs communautés respectives dans les moments difficiles.
Par exemple, après les déclarations antisémites qui avaient été faites par Kanye West en 2022, les étudiants juifs avaient cherché un soutien les uns après des autres, explique Schmalzbauer.
« Notre étude a établi que les étudiants appartenant à tous les groupes religieux cherchent à rencontrer ceux qui ont vécu des expériences similaires. Nos chercheurs ont découvert que tous les étudiants veulent à la fois être en sécurité et être vus pour qui ils sont », fait-il remarquer.
Gali Polichuk, qui termine ses études à l’université de Floride, dit être heureuse d’avoir pu trouver un endroit où se réfugier sur le campus.
« Le groupe Hillel a été super accueillant. Là-bas, j’ai rencontré mes amis les plus proches », explique-t-elle. « J’ai de la chance d’avoir un endroit où aller avec les miens, un endroit où je me sens chez moi ».
... alors c’est le moment d'agir. Le Times of Israel est attaché à l’existence d’un Israël juif et démocratique, et le journalisme indépendant est l’une des meilleures garanties de ces valeurs démocratiques. Si, pour vous aussi, ces valeurs ont de l’importance, alors aidez-nous en rejoignant la communauté du Times of Israël.

Nous sommes ravis que vous ayez lu X articles du Times of Israël le mois dernier.
C'est pour cette raison que nous avons créé le Times of Israel, il y a de cela onze ans (neuf ans pour la version française) : offrir à des lecteurs avertis comme vous une information unique sur Israël et le monde juif.
Nous avons aujourd’hui une faveur à vous demander. Contrairement à d'autres organes de presse, notre site Internet est accessible à tous. Mais le travail de journalisme que nous faisons a un prix, aussi nous demandons aux lecteurs attachés à notre travail de nous soutenir en rejoignant la communauté du ToI.
Avec le montant de votre choix, vous pouvez nous aider à fournir un journalisme de qualité tout en bénéficiant d’une lecture du Times of Israël sans publicités.
Merci à vous,
David Horovitz, rédacteur en chef et fondateur du Times of Israel