Les Israéliens de l’étranger hésitent à se déplacer pour un troisième vote
Sans vote par procuration, avec des élections à répétition, certains choisissent d'éviter les complications et le surcoût du voyage ; le coronavirus et l'AIPAC n'aident pas

JTA — Il y a cinq ans cette semaine, Amos Geva avait pris un billet auprès de la compagnie aérienne EasyJet pour faire le voyage entre Berlin et l’aéroport Ben-Gurion, en Israël, pour un court séjour.
Au programme : un dîner en famille, un passage au bureau de vote et des interviews accordées aux médias consacrées à ses initiatives visant à encourager les expatriés israéliens à voter – le vote étant impossible pour tout citoyen se trouvant hors des frontières du pays.
Ces efforts, qui avaient galvanisé des milliers d’expatriés sur Facebook, avaient entraîné un rabais accordé sur les billets du transporteur aérien El Al en direction de tous ceux qui souhaitaient revenir au sein de l’Etat juif au jour des élections.
« Un jour, j’ai appris que des élections étaient organisées et j’ai réalisé que je ne serais pas en Israël à cette occasion, ce qui signifiait que je ne serais pas en mesure de voter », explique Geva à JTA. « J’ai trouvé que c’était une perspective démente. »
Et pourtant, l’année dernière, Geva a fermé la page Facebook encourageant les Israéliens de l’étranger à venir voter et, cette année, il sera à Taïwan le jour où les citoyens de l’Etat juif iront aux urnes pour la troisième fois en moins d’un an.
« Israël est important pour moi et ce sera toujours le cas », dit Geva. « Mais il faut que j’établisse des priorités dans ma vie et que je prévois un calendrier en fonction de ces mêmes priorités. Et pour être franc, je ne vois pas la scène politique en Israël changer en bien. »

Alors que les Israéliens sont attendus dans les bureaux de vote lundi pour la troisième fois en moins d’un an – du jamais-vu dans l’histoire de l’Etat juif – Geva est loin d’être le seul expatrié israélien à se refuser à monter à bord d’un avion pour accomplir son devoir civique.
Deux précédents scrutins ont laissé le pays dans une impasse politique persistante et les sondages indiquent qu’il est peu probable que les choses changent de manière significative après cette troisième élection.
« On ne sait pas s’il va y avoir un résultat lors du vote ou s’il faudra encore prévoir une autre élection après », s’exclame Maayan Hilel, une Israélienne vivant aux abords de Chicago. « Les Israéliens doutent vraiment du système ».
Hilel, qui a grandi à Beer Sheva, retournait voter au sein de l’Etat juif lorsqu’elle vivait en Irlande, malgré sa frustration face aux règles de restriction en vigueur dans la loi électorale du pays. Les réglementations interdisent à pratiquement tous les ressortissants qui ne se trouvent pas au sein de l’Etat juif, de voter le jour des élections.

« Même si ça prenait du temps, que c’était cher et que c’était compliqué de trouver quelqu’un pour s’occuper des enfants, c’était important de faire la démarche de revenir », explique-t-elle. « Je suis de gauche et en Israël, chaque voix est importante. »
Au sein de l’Etat juif, l’absence d’un système de vote par procuration émane en partie d’une inquiétude relative au Droit au retour – la loi qui offre la citoyenneté israélienne à tous les Juifs. Certains Israéliens craignent que des Juifs de la diaspora puissent utiliser cette législation pour devenir citoyens israéliens puis retourner dans leur pays d’origine, d’où ils voteraient à distance lors des scrutins sans avoir à assumer d’éventuelles conséquences de leurs choix.
Jusqu’à présent, le pays a mis en place un système d’exception qui ne concerne qu’approximativement 5 000 Israéliens, qui se trouvent à l’étranger pour occuper à des postes de diplomate ou d’émissaire officiel. Ils peuvent jeter un bulletin dans l’urne dans les ambassades ou dans les consulats, notamment dans les neuf bureaux de vote qui sont répartis sur tout le territoire des Etats-Unis.
Pour ces élections très précisément, ils ont voté le 18 et le 19 février.
Israël permet également à certains électeurs de voter hors des bureaux traditionnels prévus à cet effet. C’est notamment le cas des soldats, des malades hospitalisés et des prisonniers.

Tous les autres ressortissants désireux de participer au scrutin doivent revenir au sein de l’Etat juif pour le faire.
La Grèce et l’Irlande ne permettent également qu’aux émissaires officiels de voter, selon l’Institut israélien de la démocratie, qui prône de nouvelles réglementations qui autoriseraient le vote d’un grand nombre d’Israéliens de l’étranger.
Selon les estimations, les Israéliens vivant à l’étranger représentaient de 500 000 à un million à un million de personnes – ce qui constitue une part substantielle de l’électorat.
De nombreux pays ont toutefois mis en place des dispositions pour leurs expatriés en ce qui concerne le vote. Par exemple, les citoyens américains vivant à l’étranger peuvent jeter un bulletin dans l’urne au cours des scrutins fédéraux américains, indépendamment du temps qui s’est écoulé depuis la date de leur dernière visite aux Etats-Unis.
De nombreux Américains qui ont la double citoyenneté et qui vivent en Israël profitent de cette opportunité. Parmi les pays suivant le même modèle que les Américains, il y a la Norvège, l’Espagne et la Belgique.
D’autres pays ont opté pour une période-limite sur l’aptitude au vote : c’est le cas du Royaume-Uni où les citoyens qui se trouvent à l’étranger depuis moins de 15 ans peuvent voter. En Australie, cette période est fixée à six ans.
Ofer Kenig et Yohanan Plesner, de l’Institut israélien de la démocratie, ont proposé un plan pour s’attaquer au problème en Israël.
Selon leur proposition, le droit au vote par procuration pourrait être élargi aux Israéliens qui vivent temporairement à l’étranger mais qui ont l’intention de revenir en Israël, aux étudiants qui se trouvent dans des cursus hors des frontières de l’Etat juif et aux jeunes qui font un voyage à l’étranger à l’issue de leur service militaire.
Les touristes israéliens et les hommes d’affaires en voyage le jour du scrutin pourraient, pour leur part, déposer de manière anticipée un bulletin dans un bureau de vote installé à l’aéroport Ben-Gurion.
Ces vote ne concerneraient pas ceux pour qui « Israël n’est pas au centre de leur vie », dit Kenig au JTA.

La question du vote par procuration a été de temps en temps placée à l’ordre du jour de la politique israélienne, mais il n’y a eu pour le moment aucun changement.
Ce qui laisse des citoyens comme Marco Katz se poser la question de l’achat d’un billet d’avion à chaque fois qu’un scrutin est organisé. De nationalité israélienne, il dirige le Centre de contrôle et de lutte contre l’antisémitisme en Roumanie, où il vit depuis 1994.
Katz, 60 ans, dit qu’Israël est son « centre », son « roc » – il y voyage fréquemment, y a gardé une habitation où vit sa famille toute entière – et il estime que les Israéliens doivent utiliser leur voix pour exprimer leur vision de l’avenir du pays.
Mais cette fois-ci, parce qu’il a le sentiment de ne pas avoir de parti à soutenir, « il n’y a pas de raison que je revienne voter », dit-il.
Katz rejette pourtant l’idée d’un possible vote par procuration des Israéliens à l’étranger. Il s’inquiète de ce qu’un grand nombre de Juifs américains ne deviennent des citoyens pour éliminer par le vote les responsables qu’ils n’apprécient pas « sans porter le fardeau » que représente la vie quotidienne au sein de l’Etat juif.
« Si quelqu’un veut voter », dit-il, « alors qu’il aille en Israël et qu’il le fasse là-bas ».
Mais cela peut être difficile pour de nombreuses raisons, même au-delà des dépenses et des complications engendrées par le voyage.
L’élection de la semaine prochaine survient dans un contexte d’épidémie de coronavirus qui perturbe les déplacements aériens et soulève des questions sur la sécurité du retour dans le pays. L’épidémie a déjà compliqué les votes diplomatiques en Asie.

Le scrutin coïncide également avec la conférence annuelle de l’AIPAC (American Israel Political Affairs Committee), un rassemblement majeur à Washington consacré aux questions israéliennes à laquelle un grand nombre d’Israéliens se rendent habituellement.
Gal Ben Naim, 48 ans, un cadre bancaire de nationalité israélienne qui vit à Los Angeles depuis 22 ans avec son épouse américaine, est allé voter pour plusieurs élections. Il vient d’une famille impliquée dans la politique et se souvient d’une maison d’enfance à Jérusalem remplie de tee-shirts politiques, d’autocollants, de bannières à slogans et de voisins affairés au téléphone « comme dans une zone de guerre ».
« J’ai le sentiment que chaque vote compte. C’est là la beauté de la démocratie », explique Ben Naim qui estime que les Israéliens devraient avoir le droit de voter par procuration et que tous les Juifs devraient avoir leur mot à dire dans les décisions prises en Israël.
Concernant cette élection particulière, il dit néanmoins, en évoquant son vote, que « je ne sais pas si ça fera une différence ».

Et ainsi, Ben Naim, qui a fait son service militaire en Israël et qui est diplômé de l’université hébraïque de Jérusalem, ne votera pas, le 2 mars, au sein de l’Etat juif. Il se trouvera à ce moment-là à la conférence annuelle de l’AIPAC à Washington, qui figurait au calendrier bien avant que la date du scrutin ne soit décidée.
Ce mélange de conflits de calendrier et de lassitude électorale pourrait dissuader d’autres Israéliens d’aller, eux aussi, mettre un bulletin dans l’urne.
Lorsque la date du vote a été annoncée, début décembre, Kathi Kreske Pearlmutter israélo-américaine originaire de Sde Boker, dans le sud d’Israël, avait déjà prévu un voyage d’un mois à l’étranger. Enseignante d’anglais dans un lycée, en congé sabbatique pendant un an, Pearlmutter a décidé de ne rien changer à ses projets.
« Pour être honnête », confie-t-elle, « j’en ai ras-le-bol de la situation et ça ne me gêne pas de rater ce vote ».
C’est vous qui le dites...