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Les juges de la Cour suprême disent pouvoir intervenir dans les Lois fondamentales

Lors de l'audience sur la loi de "raisonnabilité", l'avocat du gouvernement a dit que la Déclaration d'indépendance avait été "précipitée" ; Rothman a été réprimandé par les juges

Jeremy Sharon est le correspondant du Times of Israel chargé des affaires juridiques et des implantations.

Les 15 juges de la Cour suprême d'Israël examinant la validité de la loi "du caractère raisonnable" du gouvernement Netanyahu, adoptée en juillet, à Jérusalem, le 12 septembre 2023. (Crédit : Yonathan Sindel/Flash90)
Les 15 juges de la Cour suprême d'Israël examinant la validité de la loi "du caractère raisonnable" du gouvernement Netanyahu, adoptée en juillet, à Jérusalem, le 12 septembre 2023. (Crédit : Yonathan Sindel/Flash90)

Plusieurs juges ont contesté l’affirmation faite par le gouvernement – qui a déclaré que la Haute cour manquait de l’autorité nécessaire pour invalider les Lois fondamentales, quasi-constitutionnelles en Israël – durant une audience cruciale, mardi dans la matinée.

Un panel de quinze juges a siégé lors de cette audience consacrée aux requêtes soumises contre la loi sur la « raisonnabilité », qui restreint les possibilités de réexamen judiciaire des décisions prises par le gouvernement, des requêtes qui demandent le rejet du texte adopté à la Knesset. L’avocat défendant le gouvernement au pouvoir a suggéré que la plus haute instance judiciaire d’Israël n’avait pas l’autorité nécessaire pour intervenir dans cette législation.

Ilan Bombach, l’avocat qui représente le gouvernement à la Haute cour – la procureure-générale Gali Baharav-Miara ayant refusé de le faire – a affirmé que les magistrats avaient uniquement le droit d’interpréter les mots des législateurs et qu’aucun fondement juridique ou constitutionnel ne les autorisait à réexaminer une Loi fondamentale.

En réponse, le juge Alex Stein a demandé à Bombach : « Quelle est la source de l’autorité détenue par la Knesset en ce qui concerne le fait de légiférer des lois ? »

Quand Bombach a évoqué un jugement rendu en 1950 par la Cour suprême, Stein a noté que la Knesset avait été formée avant et que la source originale de cette autorité était la Déclaration d’Indépendance.

D’autres magistrats s’en sont aussi pris à Bombach, notant que de leur point de vue et dans la mesure où la Déclaration d’Indépendance définissait Israël en tant qu’État juif et démocratique, la Knesset n’était pas autorisée à légiférer des lois – même des Lois fondamentales – susceptibles de porter atteinte au caractère juif ou démocratique du pays. Et si la Knesset est ainsi limitée dans sa capacité à approuver des Lois fondamentales, ont-ils remarqué, cela signifie que la Haute-cour est, en réalité, habilitée à réexaminer ces législations particulières.

Me Ilan Bombach arrivant à une audience sur les recours déposés contre la loi du « caractère raisonnable » du gouvernement, à la Cour suprême de Jérusalem, le 12 septembre 2023. (Crédit : Yonatan Sindel/Flash90)

« Ainsi, parce que 37 personnes ont, à une époque, eu l’autorisation de signer la Déclaration d’Indépendance de manière précipitée, une Déclaration qui n’en était qu’à l’état d’ébauche jusqu’au dernier moment, la Déclaration d’indépendance devrait définitivement exercer une contrainte sur tous ceux qui sont arrivés après ? », a demandé Bombach aux juges, notant que ses signataires n’avaient pas été élus et qu’il était « impensable » de dire que le document devait « engager toutes les futures générations ».

Après avoir été réprimandé pour avoir semblé minimiser la signification de la Déclaration d’Indépendance, Bombach a expliqué que la population avait élu la Knesset en tant que branche constituante du gouvernement – qui légifère les Lois fondamentales – ce qui vient s’ajouter à son autorité en tant que branche législative. Il a souligné que le pouvoir de la Knesset émanait des urnes.

Bombach s’est efforcé, à plusieurs reprises, de dévier le débat sur la loi sur la « raisonnabilité » elle-même, qualifiant la question portant sur la source du pouvoir du parlement israélien de « discours théorique, académique » – mais les magistrats ont insisté, soulignant que c’était le gouvernement qui avait, en premier lieu, souligné que la Haute-cour n’avait pas l’autorité nécessaire pour intervenir dans les Lois fondamentales.

Le parti Yesh Atid a, lui aussi, critiqué Bombach pour sa minimisation de l’importance de la Déclaration d’Indépendance. Un communiqué émis par le parti d’opposition a fait savoir qu’il « n’y a aucune preuve plus claire du fait qu’il y a un gouvernement anti-sioniste, anti-israélien, anti-démocratie en Israël qui brûlera les pages de l’Histoire et qui souillera les fondateurs de l’État, tout cela pour de méprisables considérations politiques. »

Audience fatidique

L’audience de mardi a été l’une des plus lourdes de conséquences de toute l’Histoire du pays, alors que la Haute-cour de justice examinait les requêtes soumises par un certain nombre d’organisations issues de la société civile qui demandaient le rejet de la législation sur la « raisonnabilité » adoptée par la coalition au pouvoir – une législation qui se présente sous la forme d’un amendement apporté à la Loi fondamentale : le système judiciaire.

Ce texte de loi est le seul à avoir été approuvé dans le cadre du plan de refonte radicale du système judiciaire israélien jusqu’à présent.

L’audience a été essentiellement un affrontement sur la notion de proto-constitution, avec les plaignants qui ont affirmé que la loi interdisant aux juges de réexaminer les décisions gouvernementales et ministérielles à l’aune de leur « caractère raisonnable » violait les bases de la démocratie dans le pays, tandis que les soutiens du gouvernement ont indiqué, pour leur part, que l’arrangement constitutionnel actuel en Israël interdisait au tribunal toute intervention dans les Lois fondamentales.

La présidente de la Haute Cour Esther Hayut, au centre et les juges Isaac Amit, à droite, et Uzi Vogelman lors d’une audience sur les recours déposés contre la loi du « caractère raisonnable » du gouvernement à la Cour suprême de Jérusalem, le 12 septembre 2023. (Crédit : Yonatan Sindel/Flash90)

Le gouvernement et ses représentants ont été les premiers à plaider devant le panel de quinze juges, affirmant que la Cour était elle-même soumise aux Lois fondamentales et qu’il lui était donc impossible de les invalider. Ils ont par ailleurs assuré que la législation ne porterait aucunement atteinte à la démocratie israélienne.

Plus tard, les plaignants devaient prendre la parole pour expliquer pourquoi le texte de loi venait saper des garde-fous déterminants pour la démocratie, avec des atteintes suffisamment graves pour justifier son rejet.

Les commentaires des juges et les questions posées par les magistrats au cours de l’audience, qui a duré plusieurs heures, pourraient être un indicateur du jugement qu’ils seront amenés à rendre dans ce dossier explosif – avec l’énoncé d’un verdict qui pourrait prendre des semaines, voire des mois.

La présidente de la Cour suprême, Esther Hayut, a laissé entendre que la législation récemment adoptée, qui restreint les capacités de réexamen judiciaire des décisions gouvernementales, allait à l’encontre d’une tendance, dans le monde entier, favorable à l’élargissement du réexamen judiciaire.

« Dans le cas qui nous occupe, nous adoptons une tendance qui vise à annuler ce genre d’évaluation a posteriori », a déploré Hayut, qui a cité les exemples de l’Angleterre et de l’Australie qui, au contraire, procèdent de plus en plus à des réexamens judiciaires.

L’avocat de la Knesset, Yitzhak Bart, a répondu à la présidente que « nous avons connu un gros changement il y a quarante ans et depuis, la balance n’a fait qu’osciller », faisant apparemment référence à l’activisme de la Haute cour lorsque cette dernière était présidée par Aharon Barak, dans les années 1980 – l’un des arguments favoris qui sont utilisés par les partisans du projet de refonte du système judiciaire du gouvernement.

L’avocat Yitzhak Bart arrive à une audience de la Cour suprême sur la loi sur la « raisonnabilité » à la Cour suprême de Jérusalem, le 12 septembre 2023. (Crédit : Yonatan Sindel/Flash90)

Les magistrats ont paru également critiquer l’adoption hâtive de la législation sur la « raisonnabilité » – une précipitation fustigée par les personnalités de l’opposition depuis longtemps.

En réponse, Bart a reconnu devant la Cour que le processus législatif avait été rapide et qu’il y avait eu des failles, ajoutant que ces failles mineures ne justifiaient nullement, par ailleurs, une invalidation du texte par les juges.

« Cela aurait été une bonne chose que les discussions durent plus longtemps ; cela aurait été une bonne chose de laisser s’exprimer certains discours de l’opposition au sein de la Commission », a-t-il admis.

Une obligation que les juges ne peuvent pas faire respecter ?

Le magistrat Yechiel Kasher a demandé à Bart comment il pouvait affirmer, d’un côté, que la source du droit de la Knesset à légiférer des Lois fondamentales était inscrite dans la Déclaration d’Indépendance tout en ne prenant pas en considération, dans le même document, l’obligation d’élaborer et d’adopter une Constitution dans le pays d’un autre côté – une initiative qui ne s’est jamais concrétisée depuis la fondation de l’État, il y a 75 ans.

Bart a répondu que la Knesset « n’a pas voulu exempter le gouvernement de son obligation d’agir de manière raisonnable ; elle aurait pu faire cela par le biais d’une loi ordinaire mais, au lieu de cela, elle a réduit les possibilités d’utilisation, par la Cour, de la notion juridique de ‘raisonnabilité’ – sans éradiquer pour autant l’obligation d’agir de manière raisonnable », a-t-il répété.

Plusieurs juges ont demandé à Bart comment une telle démarche pouvait se concilier avec l’élimination pure et simple de la possibilité, pour le système judiciaire, de réexaminer les décisions gouvernementales et ministérielles à l’aune de leur « caractère raisonnable ».

« Qui garantit que les ministres vont, en fait, agir de manière raisonnable ? Vous reconnaissez qu’il y a une obligation légale tout en disant qu’il ne pourra plus y avoir de juges pour la faire respecter », a déclaré Hayut avec gravité.

La présidente de la Cour suprême Esther Hayut avec d’autres juges lors de l’audience sur la loi sur la « raisonnabilité » à la Cour suprême de Jérusalem, le 12 septembre 2023. (Crédit : Yonatan Sindel/Flash90)

Bart a ajouté que plutôt que d’invalider le texte de loi, la Haute cour pouvait également utiliser ses capacités d’interprétation des législations pour combler les vides existants dans la loi en ce qui concerne le réexamen judiciaire des décisions gouvernementales. Par exemple, a-t-il noté, les magistrats pourraient décider que la loi ne s’appliquera pas aux gouvernements intérimaires dans la mesure où de tels gouvernements seraient susceptibles d’abuser de l’absence de la notion juridique de « raisonnabilité ».

Hayut a mis en doute un tel positionnement, demandant sur quelle base du texte de la loi sur la « raisonnabilité » la Cour pourrait procéder à une interprétation de ce type.

« Qu’est-ce qui nous autorise, dans la loi, à faire la différence entre différents types de raisonnabilité ? », a-t-elle interrogé. « N’êtes-vous pas en train de nous inviter à réécrire la loi ? Si nous disons qu’elle ne s’applique pas aux gouvernements par intérim… alors nous réécrivons la loi ».

Bart a repris ultérieurement cet argument : « Ce n’est pas que la notion juridique de ‘raisonnabilité’ a été tout simplement annulée. Les précédents établis lors de décisions antérieures, qui ont pu exiger du gouvernement qu’il agisse de manière raisonnable, sont encore là. La procureure-générale et les conseillers juridiques continueront à dire au gouvernement quand il agit de manière déraisonnable ».

Le juge Ofer Grosskopf a alors rétorqué : « Et il n’y aura plus aucun moyen de le faire respecter ».

Bart a alors déclaré que « l’idée que les ministres n’écouteront le procureur-général que si le tribunal a la possibilité d’invalider des décisions gouvernementales à l’aune de leur ‘caractère raisonnable’ est une idée simpliste. »

Le magistrat Uzi Vogelman est alors intervenu, disant à Bart que « cet argument est déconnecté de la réalité. C’est un point de vue très optimiste ».

Des personnes regardant la diffusion en direct du député Simcha Rothman s’exprimant lors d’une audience de la Haute Cour sur les recours déposée contre la loi du « caractère raisonnable » du gouvernement, à Tel Aviv, le 12 septembre 2023. (Crédit : Miriam Alster/Flash90)

Rothman fustige un « régime oligarchique »

Ensuite, le député du parti Hatzionout HaDatit, Simcha Rothman – le fer de lance de la loi sur la « raisonnabilité » – s’est adressé aux juges en tant que président de la Commission de la Constitution, du droit et de la justice à la Knesset. Il a aussi affirmé que la Cour n’avait aucun droit d’intervenir dans la loi.

Pendant des échanges tendus, au cours desquels plusieurs magistrats lui ont dit qu’il privilégiait clairement les déclarations politiques au détriment des arguments juridiques, Rothman s’en est pris à la Cour, déclarant « qu’une élite privilégiée [les magistrats de la Haute cour] ne sera pas en capacité de protéger les droits à long-terme ».

Il a aussi cité des propos tenus par l’ancien juge à la Cour suprême Moshe Landau, laissant entendre que la plus haute instance judiciaire d’Israël était devenue « un régime oligarchique constitué d’un petit groupe d’individus ».

« Comment justifier de confisquer les caractéristiques de base de l’État d’Israël en tant qu’État démocratique, avec ses élections libres, avec la capacité pour les citoyens d’exprimer leur opinion, avec la capacité pour les citoyens de demander le changement des lois qui orientent leur vie, avec la capacité donnée au peuple de déterminer comment le gouvernement doit être dirigé ? », a interrogé Rothman.

La magistrate Anat Baron s’en est alors pris à lui, lui demandant : « Et que se passerait-il si la Knesset décidait que les élections n’auront lieu que tous les dix ans, ou que les Arabes n’ont pas le droit de voter, ou qu’il est interdit pour les laïcs de conduire durant Shabbat – que diriez-vous ? »

Rothman a alors rétorqué que « si nous faisons une erreur, nous pourrons la corriger quand nous en aurons eu connaissance, et si ce n’est pas le cas – alors nous pourrons être remplacés par le biais des urnes ».

Cette audience à la Cour suprême a eu lieu après près de neuf mois de manifestations massives et continues et d’opposition féroce à la tentative, de la part de la coalition de la ligne dure de Netanyahu, d’affaiblir le système judiciaire. La première et unique loi adoptée dans ce cadre a été la législation consacrée à la « raisonnabilité », que le gouvernement a fait avancer à la Knesset au mois de juillet.

Les tensions politiques se sont accrues avant l’audience, et la police aurait renforcé la protection autour des juges, craignant des perturbations et des manifestations.

L’équipe du Times of Israel a contribué à cet article.

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