Les Juifs de France veulent immigrer, mais Israël peut-il gérer le flux ?
Avec une augmentation massive de l'immigration depuis 2013 - et un potentiel de 15 000 arrivées l'année prochaine - les olim français s'organisent pour que les promesses soient tenues
« Venez à la maison », déclare le Premier ministre Benjamin Netanyahu après chacun des trop nombreux évènements tragiques de qu’a connus le judaïsme français dans l’histoire récente.
Il l’a dit après la tuerie à Toulouse en mars 2012, qui avait pris la vie de trois écoliers juifs et d’un rabbin. Et encore une fois, en janvier 2015, après l’attaque terroriste contre le supermarché HyperCacher de Paris, Netanyahu a vanté les portes étincelantes d’Israël, ses bras largement ouverts, en promettant d’ouvrir la voie des Juifs français vers la Terre Sainte et de faciliter leurs chemins vers l’emploi et l’intégration.
Ce qui avait commencé comme un filet d’immigration après l’assassinat d’Ilan Halimi en 2006 s’est transformé en un flux régulier.
Mais 10 mois après les meurtres de l’Hyper Cacher, certains dans la communauté juive française d’Israël doutent sérieusement que le pays est vraiment prêt à recevoir ceux qui prennent Netanyahu au mot.
Aujourd’hui, avec entre 8 000 et 10 000 Juifs français attendus en 2015, après des années de déception il y a un mouvement au sein de la communauté pour s’organiser et finalement forcer le gouvernement à tenir ce qui leur avait été promis : La reconnaissance de leurs diplômes (un obstacle principal à l’emploi pour des professionnels hautement qualifiés comme les médecins et les dentistes), l’apprentissage de la langue pour leurs enfants, et un système qui permettra d’amortir le choc des cultures du passage de la France à un Israël rongé par les conflits.
À la suite des attaques terroristes de vendredi soir dans le centre de Paris, une organisation représentant des dizaines d’ONG franco-israéliennes a averti le Times of Israel que le système de l’immigration et de l’intégration n’était pas préparé pour l’ « occasion historique » qui se présente actuellement alors que de beaucoup de Juifs français, souffrant de l’antisémitisme, de l’instabilité économique et de la crise de l’identité européenne, commencent à chercher une nouvelle patrie.
Dans une conversation dimanche avec le Times of Israel dimanche, le directeur de Qualita Mickaël Bensadoun a dit que, en plus des milliers d’immigrants français attendus en 2015, sur la foi d’enquêtes sur le terrain effectuées en France par son organisation, il prévoit une possibilité réelle d’environ 15 000 arrivées en 2016.
Cependant, voyant une jeunesse de plus en plus marginalisée dans des bulles de francophones aux côtés de leurs parents encore largement sous-employés bien que qualifiés professionnellement, la communauté risque un échec devant le rêve de l’alyah qui les a amenés.
En coordination avec l’Agence juive, l’association pour l’emploi des immigrants Gvahim, Nefesh B’Nefesh et Qualita du philanthrope franco-israélien Marc Eisenberg, un nouveau plan national devrait être présenté au gouvernement en 2016.
Il est temps de faire éclater les bulles des jeunes
Deux écoles de Netanya sont les cobayes pour un programme pilote visant à aider les enfants d’immigrants français à mieux s’intégrer dans la société israélienne.
La ville, qui est la principale plaque tournante du judaïsme français dans le pays, a intégré environ 1 800 immigrants de France par an depuis que l’immigration de la France a explosé en 2013, selon le ministère de l’Intégration.
Statistiquement, plus un enfant immigre jeune en Israël, mieux se fera son acclimatation.
Mais, selon Bensadoun, pour les jeunes qui immigrent avec leurs parents en classe de seconde et au-delà, il est presque impossible de s’intégrer dans un environnement éducatif de langue hébraïque. Il mentionne les écoles israéliennes de langue française telles que Mikvé Israël située près de Holon comme une option potentielle pour eux.
En revanche les enfants des classes de collège sont un peu entre ces deux extrêmes, et avec un peu de soutien supplémentaire, ils peuvent s’intégrer dans une école israélienne « ordinaire », estime Bensadoun.
Une des choses qui choquent les parents nouveaux immigrants et les élèves, dit Bensadoun, est la durée de la journée scolaire en Israël, qui souvent les libère dès 13h. En France, les élèves sont habitués à étudier à l’école jusqu’à 16h ou 17h.
Le programme pilote de Netanya s’occupe des jeunes Français qui ne sont pas encore familiers avec l’hébreu, vivent dans un ghetto culturel et rejettent la société israélienne, et travaille avec eux quelques heures chaque jour après l’école, leur enseignant l’hébreu et la culture israélienne.
A chaque élève est associé à un tuteur qui parle le français et l’hébreu et qui suit leurs progrès. L’équipe comprend aussi des psychologues, et il y a des éléments du programme qui s’adressent également aux parents d’élèves.
‘Si vous ajoutez les bons composants aux écoles israéliennes normales, les élèves vont réussir’
« Si vous ajoutez les bons composants aux écoles israéliennes normales, les élèves vont réussir », explique Bensadoun.
Le projet pilote vient d’un budget spécial de 4 millions de shekels prévu pour les élèves français, belges et ukrainiens du ministère de l’Education, a déclaré Bensadoun.
Ce budget fait partie d’un budget exceptionnel de 180 millions de shekels approuvé pour soutenir l’immigration et l’intégration de ces immigrants en février 2015, un mois après l’attentat au HyperCacher à Paris.
Selon le ministère de l’intégration, le plan a été préparé à la lumière des besoins des immigrants en provenance de ces pays, et de l’intérêt croissant pour l’alyah. Il est destiné à être une solution pour ceux qui ont besoin de davantage de soutien, depuis les préparations dans leur pays d’origine jusqu’à l’intégration dans la société israélienne.
Israël a-t-il jamais été prêt pour ses vagues d’immigration ?
Lors d’une interview cette année, le Times of Israel avait demandé au chef de l’Agence juive pour Israël Natan Sharansky si Israël était prêt pour une vague d’immigration massive en provenance de France.
Sharansky, plaisantant à moitié, a répondu que le pays n’était pas non plus prêt pour les immigrants de l’ancienne Union soviétique.
« Malgré toute les frictions, nous nous sommes tous mobilisés, » a-t-il dit. Il a ajouté que l’intégration des Juifs français est beaucoup plus facile parce qu’ils sont beaucoup plus attachés à leur identité juive. « Nous, les Juifs soviétiques, étions assimilés. »
Bien que refusant de divulguer les futures estimations de l’immigration, le porte-parole Avi Mayer a confié cette semaine au Times of Israel que l’Agence Juive s’attend à ce que l’augmentation constante de l’alyah de France continue dans un avenir prévisible.
‘Nous sommes prêts à tout scénario et Israël accueillira toujours tout Juif qui veut faire d’Israël sa maison’
« Nous sommes prêts à tout scénario et Israël accueillira toujours tout Juif qui veut faire d’Israël sa maison », a déclaré Mayer.
Le Dr Dov Maïmon, directeur de recherche au Jewish People Policy Institute convient que l’Agence Juive essaye de faire de l’immigration juive française une réalité pratique. Mais malgré les bonnes intentions de l’Agence juive et de plusieurs politiciens aux vues similaires, en raison du manque de représentation réelle de la communauté franco-israélienne dans le gouvernement de Netanyahu, il n’y a pas de suivi de ses promesses.
Traditionnellement, explique Maïmon, il y a eu des centaines d’organisations rivalisant pour le temps d’un ministre du gouvernement. L’organisation représentative Qualita vise à être l’adresse unique de lobbying pour les préoccupations des Juifs de France. Avec Eisenberg de Qualita comme fer de lance, Maimon affirme que le judaïsme français a une meilleure chance que jamais de voir ses problèmes pris en compte.
Eisenberg, selon Maïmon, est le diplomate idéal : grâce aux bon termes qu’il entretient tant avec le gouvernement français et la communauté juive de France qu’avec le gouvernement israélien et les immigrants de France en Israël.
La question prioritaire de la plupart des dirigeants franco-israéliens est la reconnaissance des diplômes professionnels français par Israël.
Elu en 2013 pour représenter les citoyens français vivant à l’étranger dans les pays méditerranéens comme la Turquie, l’Italie, la Grèce et Israël, le député français juif Meyer Habib a déclaré dimanche au Times of Israel qu’il a beaucoup fait pour sensibiliser les responsables israéliens, en particulier Netanyahu et le ministre de l’intégration Zeev Elkin, de la nécessité et de l’urgence de tenir la promesse du Premier ministre sur la reconnaissance des diplômes.
« Je connais la volonté du Premier ministre Netanyahu pour réaliser des progrès tangibles sur ce front. Cependant, cela n’est pas une tâche facile. À ce jour, il reste encore beaucoup à faire et je peux comprendre que certains olim [immigrants] de France font preuve d’impatience. Il n’est tout simplement pas logique qu’un dentiste en France ne puisse pas être dentiste en Israël », a déclaré Habib.
La moitié de l’électorat de Habib réside en Israël. Il a déclaré que l’alyah française, composée de gens de qualité et de valeur, pourrait très bien vivre en Israël – si on lui accordait une égalité dans les opportunités professionnelles.
Les Juifs français luttent pour la liberté, l’égalité et la fraternité – en Israël
Le modèle israélien de prise de décision n’est pas le modèle français, explique Maïmon, qui est né à Paris, et a étudié à la Sorbonne.
« Il s’agit d’un modèle tribal, dans lequel chacun est le représentant d’une tribu, » dit-il.
Dans la philosophie politique française, ce sectarisme contredit directement l’esprit de la République française. Un vrai républicain français, selon lui, doit « mettre de côté son identité tribaliste et être uniquement dédié au pays. Tel est l’esprit de la France ».
Maimon affirme qu’en France, contrairement aux États-Unis, il n’y a pas de réel lobby juif. Des organisations telles que le CRIF (le Conseil représentatif des institutions juives de France) n’exercent aucun pouvoir, et ne peuvent faire des suggestions de politique que sur la seule question de l’antisémitisme.
En Israël, les Juifs français apprennent lentement que s’ils n’ont pas un siège à table, ils ne recevront rien dans leurs assiettes.
‘Le modèle d’Israël est tribal, dans lequel chacun est le représentant d’une tribu’
Selon lui, « les immigrants de France sont maintenant plus conscients de la nécessité de lobbying, » même si cela va à l’encontre de la mentalité française, qui, pendant des centaines d’années a tenté de mettre en avant la citoyenneté française.
Beaucoup se disent : « Hé, je ne suis pas venu en Israël pour être le Français de service », a déclaré Maïmon. Il dit que leur ADN s’y oppose.
Et il exige un changement cognitif pour les immigrants de France afin qu’ils comprennent qu’ils doivent influencer le gouvernement en tant que collectif français.
C’est ironique, conclut Maïmon, parce qu’ « au bout du compte, ils veulent être des citoyens israéliens à part entière -. Et ne plus être des Français ».
Pour en savoir plus sur l’alyah des Français, cliquez ici.
Raphael Ahren a contribué à cet article.
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