Les Juifs du Golfe annoncent la formation d’un Beth Din d’Arabie
Les communautés de Bahreïn, du Koweït, d'Oman, du Qatar, d'Arabie saoudite et des Emirats arabes unis créent un organe sous l'égide du rabbin Abadie pour superviser la vie juive
Lazar Berman est le correspondant diplomatique du Times of Israël
Les communautés juives de six pays du Golfe persique ont annoncé lundi la formation de la première organisation communautaire de la région, avec son rabbin et son tribunal rabbinique, le Beth Din d’Arabie.
L’AGJC (Association des communautés juives du Golfe), qui fédère les Juifs de Bahreïn, du Koweït, d’Oman, du Qatar, d’Arabie saoudite et des Emirats arabes unis, sera dirigée par le rabbin et docteur Elie Abadie et le président Ebrahim Dawood Nonoo.
L’AGJC crée un tribunal juif, appelé Beth Din d’Arabie, pour présider sur des questions de litiges civils, de statut personnel, d’héritage et de rites juifs. Il gérera aussi l’Agence de certification de Casheroute d’Arabie dans les six pays du Golfe.
Cette annonce fait suite à la normalisation des liens entre les EAU et Bahreïn avec Israël en septembre, dans le cadre des Accords d’Abraham. Israël a ensuite également signé des accords de normalisation avec le Soudan et a repris ses liens avec le Maroc.
« Nous avons pensé qu’au regard des changements survenus ces six derniers mois, à mesure que la région s’ouvre à la présence juive… Nos communautés avaient le devoir de s’unir et de tenter de développer l’infrastructure nécessaire pour répondre aux besoins de la communauté juive locale et des Juifs de passage », a dit Abadie au Times of Israël.
It is my great pleasure to announce the launch of the Association of Gulf Jewish Communities. I could not be more honored to serve as its rabbi. @gulfjewish ???????? ???????? ???????? ???????? ???????? ???????? pic.twitter.com/Q0jVrO4BW5
— Rabbi Elie Abadie MD حاخام دكتور ايلي عبادي (@RabbiElieAbadie) February 15, 2021
Certains pays, comme les EAU et Bahreïn, abritent une communauté juive relativement bien établie et d’autres accueillent des diplomates juifs étrangers, des hommes d’affaires, des militaires et des travailleurs étrangers juifs.
« Ils sont une poignée en Arabie saoudite », a indiqué Abadie. « Il y en a d’autres qui ne vivent pas ouvertement leur identité juive, mais nous avons connaissance de certaines personnes qui y vivent et qui font partie de notre association. »
L’AGJC répondra à la fois aux besoins des Juifs ashkénazes et séfarades qui viennent du monde entier. Abadie souhaite intégrer des traditions de la région du Golfe dans la vie religieuse de l’organisation. Il supervisera les circoncisions, les cérémonies de bar et bat mitsva et les mariages. L’abattage rituel juif [shehita] devrait également être établi dans les mois à venir.
Trois rabbins sont nécessaires pour constituer un Beth Din, et lorsqu’il se réunira, d’autres rabbins viendront rejoindre Abadie en tant que juges. Des offres sont arrivées d’Israël, d’Europe et des États-Unis.
« Nous proposerons des services en matière d’éducation sous la forme de chiourim, de conférences, de colloques et de cours », a dit Abadie. Certains auront lieu en présentiel – je me rendrais à différents endroits – et d’autres se dérouleront via Zoom. »
L’AGJC a également l’intention de construire progressivement un système éducatif, à commencer par des programmes pour la petite enfance.
Pendant Pessah, qui tombe cette année fin mars, l’AGJC fournira des livres de prière, des matsot et d’autres aliments nécessaires au repas du Seder.
L’association est financée par des donateurs privés et des membres de la communauté. A ce stade, elle n’a reçu aucun financement gouvernemental.
Abadie a déclaré que les autorités émiraties ont manifesté leur soutien. « Ils m’ont dit qu’ils seront là pour moi et pour la communauté si j’avais besoin de quoi que ce soit. »
Abadie n’a pas encore pris contact avec les autorités saoudiennes. A ce stade, les Juifs de chaque pays gèrent la liaison avec leurs gouvernements.
Ces dernières années, les EAU ont tenté de se présenter comme un pays ouvert, respectueux de toutes les religions. Le président Khalifa bin Zayed Al Nahyan a déclaré que 2019 était l’année de la tolérance aux EAU. Dans cette optique, le pays a annoncé la construction d’un énorme complexe interconfessionnel à Abou Dhabi, qui abritera également une synagogue. L’Abrahamic Family House ouvrira ses portes en 2022 mais on ignore encore qui sera invité à intégrer le complexe.
D’Alep à Dubaï
Près de 75 Juifs ont été tués lors des émeutes d’Alep. Abadie, éminent rabbin et érudit séfarade qui a vécu à New York et qui s’est installé à Dubaï en novembre, est issu de la communauté de réfugiés juifs syriens qui ont fui Alep lors des émeutes survenues à la suite du plan de partage de la Palestine mandataire de l’ONU en 1947.
« Ma famille a été témoin de la façon dont les foules sont entrées dans la synagogue, ont saccagé la synagogue, l’ont pillée, ont sorti des rouleaux de la Torah et les ont brûlés… comment ils ont jeté le rabbin dans la rue. Et ils sont entrés dans de nombreux commerces juifs et les ont saccagés. »
La famille d’Abadie a vécu au Liban pendant 22 ans, jusqu’à ce qu’ils comprennent que le pays se dirigeait vers la guerre civile.
Abadie est né à Beyrouth, a grandi à Mexico et s’est ensuite installé à New York pour fréquenter la Yeshiva University, où il a été ordonné rabbin en 1986. Quatre ans plus tard, il a obtenu un diplôme de docteur en médecine, et possède toujours un cabinet privé de gastro-entérologie.
Pendant de nombreuses années, il a été le chef spirituel de la synagogue Edmond J. Safra. Il a également fondé l’école de l’Académie sépharade de Manhattan et a dirigé l’Institut Jacob E. Safra d’études sépharades à la Yeshiva University.
Il est membre du Conseil rabbinique américain et co-président de Justice for Jews from Arab Countries, un groupe de défense des réfugiés juifs du Moyen-Orient.
Abadie a déclaré qu’il n’avait reçu que des réactions positives en se promenant à Dubaï avec une kippa, et qu’il avait même été arrêté par des Emiratis qui voulaient lui montrer leur hébreu et leur connaissance des chansons israéliennes. « Cela fut une très agréable surprise ».
En plus de ses fonctions rabbiniques, il poursuivra sa pratique médicale dans un hôpital des Émirats Arabes Unis.
Rouvrir la synagogue de Bahreïn
Ebrahim Dawood Nonoo, de Bahreïn, sera le président de l’AGJC. Sa famille a quitté Basra, en Irak, pour Bahreïn dans les années 90, emboîtant le pas à des centaines de Juifs qui ont quitté l’Iran à la recherche d’opportunités économiques à Bahreïn.
En 1935, un membre de la famille Cartier, le clan juif fondateur de la bijouterie éponyme, est passé par là en voyage d’affaires et a fini par donner de l’argent pour construire une synagogue et faire venir un rabbin, selon Ebrahim Dahood Nonoo.
Au cours des dix années suivantes, la communauté a continué à prospérer économiquement et se réunissait dans la synagogue pour les offices.
Mais les choses ont pris une tournure dramatique après le vote de la partition de l’ONU en 1947, qui impliquait la création d’un État juif dans la Palestine sous mandat britannique de l’époque, aux côtés d’un État arabe. Cette décision a conduit à des émeutes antisémites dans tout le monde arabe, y compris à Bahreïn.
Un groupe d’émeutiers – des immigrés venus d’autres pays arabes, selon Ebrahim Dahood Nonoo – a brûlé la synagogue et volé le seul rouleau de Torah du pays. La majeure partie de la communauté est partie en Israël après l’attaque ou dans la décennie et demie qui a suivi.
Un plus petit nombre de Juifs d’Iran s’y est également installé à peu près à la même époque. À son apogée dans les années 1920 et 1930, la communauté comptait environ 800 membres, selon Ebrahim Dahood Nonoo, même si d’autres estiment ce nombre à 1 500. Bien que les membres de la communauté se soient mélangés socialement avec les musulmans bahreïnis, ils se sont principalement mariés au sein de la communauté et ont vécu à proximité les uns des autres à Manama. Les membres continuaient à parler un dialecte juif de l’arabe irakien et le font toujours.
Les quelques personnes qui sont restées ou leurs descendants constituent la cinquantaine de Juifs vivant dans le pays. Il existe un cimetière juif actif, mais la synagogue – reconstruite par le père de Nonoo dans les années 1990 – n’a jamais officiellement rouvert et la plupart de la communauté continue de prier chez elle. Jusqu’à récemment, la communauté dépendait de la base de la marine américaine à Bahreïn pour la nourriture casher et les objets rituels, mais cet arrangement n’est plus d’actualité.
La plupart des Juifs vivent aujourd’hui dans le quartier d’Umm al-Hassam à Manama, la capitale du Bahreïn.
La plupart des membres de la communauté connaissent aujourd’hui une réussite financière et continuent à être représentés au sein du Conseil de la Choura, qui a désigné un siège pour chacun des représentants des populations juive et chrétienne du pays.
En 2001, Nonoo est devenu le premier juif nommé au Conseil de la Choura du pays, la chambre haute de son Assemblée nationale. Il a été remplacé par Houda Nonoo, qui a ensuite occupé le poste d’ambassadrice de Bahreïn aux États-Unis. Elle a été remplacée par Nancy Khedouri, une parente de la puissante famille Kadoorie, une famille juive d’origine irakienne basée à Hong Kong qui est devenue l’une des familles les plus riches d’Asie (et dont le nom de famille a été translittéré différemment). Houda Nonoo et Khedouri sont les cousines d’Ebrahim Nonoo.
Nonoo a passé 15 ans à étudier au Royaume-Uni, puis est retourné à Bahreïn pour se lancer dans l’activité de change de son père.
La synagogue reconstruite rouvrira lorsque les restrictions liées à la COVID-19 seront levées. La communauté utilisera un rouleau de la Torah venu d’Israël.
Nonoo se réjouit de vivre une nouvelle expérience au Bahreïn pendant les fêtes juives. « Nous pouvons nous occuper des prières hebdomadaires par nous-mêmes, mais nous avons besoin d’un rabbin pour les fêtes. »
Il est confiant que la création de l’AGJC conduira « résolument » à une renaissance de la vie juive dans le royaume. « Si nous faisons des bar-mitsva ici, si nous enseignons aux enfants, si nous pouvons leur donner une éducation religieuse, cela fera une grande différence. »
« La vie juive dans le Golfe a progressé de façon spectaculaire au cours de la dernière décennie », a déclaré Houda Nonoo, qui travaille maintenant au ministère des Affaires étrangères de Bahreïn.
« Bahreïn, qui abrite la seule communauté juive indigène du Golfe, a connu une croissance du tourisme juif au cours des dernières années. En juin 2019, nous avons organisé le premier minyan depuis des décennies dans notre synagogue lors de l’atelier « De la Paix à la Prospérité » et deux ans plus tard, nous recevons presque tous les jours des demandes de renseignements de la part de Juifs du monde entier qui souhaitent s’informer sur la nourriture casher et visiter les sites juifs du royaume. »
« Au cours de la dernière décennie, nous avons vu de plus en plus de Juifs s’installer dans le Conseil de coopération du Golfe (CCG) pour des raisons commerciales. En outre, nous avons tous lu ou vécu l’essor des voyages des Juifs aux Émirats arabes unis au cours des derniers mois. C’est pourquoi nous sommes en train de créer l’Association des communautés juives du Golfe afin que nous puissions nous soutenir mutuellement », a-t-elle déclaré.
Ebrahim Nonoo a déclaré que les Bahreïnis ont pris contact avec lui à la recherche d’opportunités commerciales avec des entreprises juives et israéliennes. « C’est également un bon signe », a-t-il déclaré.
« Il y a un peu de mouvement, mais c’est très lent. D’une certaine manière, c’est une bonne chose que ce soit lent. Parce que pour que les gens prennent conscience et acceptent les changements en cours, il vaut mieux que ce soit plus lent ».
Abadie prévoit un épanouissement de la vie juive dans la région. « Je vois certainement une croissance des communautés ici dans le Golfe pour plusieurs raisons. » Il a cité le tourisme et les opportunités d’affaires. Il s’attend également à ce que certains juifs cherchant à s’éloigner des pays connaissant une montée de l’antisémitisme s’installent dans la région.
Pour Abadie, commencer une nouvelle vie de rabbin au Moyen-Orient est quelque chose de très personnel.
« En revenant dans un pays, où en marchant dans les rues, je retrouve presque mon enfance au Liban. Entendre l’arabe, la musique arabe, sentir la cuisine arabe, entendre les prières inspirantes de la mosquée », a-t-il déclaré.
« C’est en quelque sorte boucler la boucle de l’histoire juive dans les pays arabes et islamiques qui a existé pendant des millénaires ».
La JTA et Raphael Ahren ont contribué à cet article.