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Les Kurdes « ne nous ont pas aidés en Normandie », dit Trump

Tollé après l'offensive turque contre la communauté qui a aidé les Occidentaux à combattre l'État Islamique

Le président américain Donald Trump et son homologue turc Recep Tayyip Erdogan au sommet de l'OTAN à Bruxelles, le 11 juillet 2018. (Crédit : AFP/Pool/Tatyana Zenkovich)
Le président américain Donald Trump et son homologue turc Recep Tayyip Erdogan au sommet de l'OTAN à Bruxelles, le 11 juillet 2018. (Crédit : AFP/Pool/Tatyana Zenkovich)

Donald Trump « aime » les Kurdes, mais il tient à apporter quelques précisions.

Interrogé mercredi sur la possibilité que les Américains construisent une alliance avec les Kurdes, contre qui la Turquie a lancé une offensive en Syrie, le président américain a répondu que ces derniers n’avaient « pas aidé » les Etats-Unis pendant la Seconde Guerre mondiale et le débarquement en Normandie.

« Les Kurdes se battent pour leur terre, il faut que vous compreniez », a expliqué le président républicain depuis la Maison Blanche.

Affirmant s’appuyer sur un article « très puissant », vraisemblablement publié par le site internet conservateur Townhall, il a développé son argumentaire: « Ils ne nous ont pas aidés pendant la Seconde Guerre mondiale. Ils ne nous ont pas aidés en Normandie, par exemple ».

« Nous avons dépensé énormément d’argent pour aider les Kurdes, que ce soit en munitions, en armes, ou en argent ».

« Ceci étant dit, nous aimons les Kurdes », a-t-il conclu.

Mercredi, des régions voisines de la Turquie, notamment les zones de Tal Abyad et de Ras al-Aïn, ont été bombardées par l’aviation et l’artillerie turques. Le ministère turc de la Défense a annoncé en soirée que des militaires turcs et leurs supplétifs syriens avaient pénétré en Syrie, marquant le début de la phase terrestre de l’opération.

« Les forces aériennes et l’artillerie ont jusqu’ici frappé 181 cibles appartenant au groupe terroriste », a précisé le ministère sur Twitter vers 21h00 GMT.

Les Forces démocratiques syriennes (FDS), dominées par les Kurdes des Unités de protection du peuple (YPG), ont affirmé de leur côté mercredi soir avoir « repoussé » l’offensive turque, dont l’objectif est d’éloigner de la frontière les YPG.

L’assaut turc a d’ores et déjà fait 15 morts dont 8 civils, a annoncé l’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH), ajoutant que des « milliers de déplacés » fuient les zones bombardées.

L’offensive turque, qui a provoqué un tollé international, sera au centre d’une réunion en urgence du Conseil de sécurité de l’ONU jeudi.

A Ras al-Aïn, un correspondant de l’AFP a entendu une forte explosion et vu s’élever de la fumée tout près de la frontière, ajoutant que des avions survolaient le secteur.

Des tirs d’artillerie visent en continu la ville, provoquant la fuite de dizaines de civils à bord de motos et voitures, partant même à pied, chargés de valises et de sacs, a-t-il constaté.

Equipés de lance-roquettes, des combattants des Forces démocratiques syriennes (FDS), une alliance de combattants kurdes et arabes dominée par les YPG, se sont déployés dans la ville, selon le correspondant de l’AFP.

L’offensive de la Turquie est la troisième en Syrie depuis 2016. Elle ouvre un nouveau front dans un conflit qui a fait plus de 370 000 morts et des millions de déplacés depuis 2011.

Au moins 18 000 combattants syriens supplétifs d’Ankara – faisant partie de factions regroupées au sein de l’ANS – ont été mobilisés pour participer à l’offensive, a affirmé mercredi un de leurs porte-parole.

Quelques heures avant le début de l’offensive, les Kurdes de Syrie, confrontés aux atermoiements de leur allié américain, avaient décrété une « mobilisation générale », tout en appelant Moscou à intervenir pour faciliter un dialogue avec Damas.

Cette offensive intervient après la décision de Donald Trump de retirer des troupes américaines de secteurs frontaliers en Syrie.

Mercredi, le milliardaire républicain a dit espérer que son homologue turc Recep Tayyip Erdogan agisse de manière « rationnelle » et aussi « humaine » que possible en Syrie.

« S’il le fait de manière injuste, il paiera un énorme prix économique », a-t-il mis en garde. « J’anéantirai leur économie si cela arrive ».

« Sanctions infernales », « anéantissement » économique : en lançant une offensive militaire contre des forces kurdes en Syrie, la Turquie pourrait s’exposer très rapidement à des mesures punitives américaines qui risquent de plonger les deux pays alliés dans une crise sans précédent.

C’est le Congrès qui est monté sans attendre en première ligne, dès le début de l’opération turque.

Le sénateur américain républicain de Caroline du Sud, Lindsey Graham, lors d’une conférence de presse à Jérusalem, le 27 mai 2015. (Crédit : Menahem Kahana/AFP)

Promettant de faire « payer très cher » à la Turquie son offensive, le sénateur républicain Lindsey Graham et son collègue démocrate Chris Van Hollen ont dévoilé mercredi une proposition visant à sanctionner sévèrement Ankara si l’armée turque et ses supplétifs ne se retirent pas de Syrie.

L’influent Lindsey Graham, qui soutient d’ordinaire Donald Trump mais l’accuse d’avoir « honteusement abandonné » les Kurdes, a promis des « sanctions infernales », « de grande ampleur, draconiennes et dévastatrices », contre l’économie et l’armée turques.

Le président américain, lui, est resté plus en retrait.

Sur le plan militaire, il a en effet laissé le champ libre à l’opération turque en annonçant dimanche le retrait des forces américaines déployées dans le nord-est syrien, près de la frontière avec la Turquie.

Le président turc Recep Tayyip Erdogan a d’ailleurs annoncé mercredi avoir lancé son offensive moins de deux heures après que son homologue américain eut confirmé que ses « 50 soldats » concernés avaient bien « quitté » la zone.

Le président turc Recep Tayyip Erdogan s’adresse aux élus de son parti à Ankara, le 20 novembre 2018. (Crédit : Burhan Ozbilici/AP)

Mais face aux critiques unanimes, dont les plus virulentes viennent, une fois n’est pas coutume, de ses propres rangs républicains, l’ex-homme d’affaires installé à la Maison Blanche a durci le ton.

« Si la Turquie fait quoi que ce soit dont j’estime, dans ma grande et inégalable sagesse, que cela dépasse les bornes, je détruirai et anéantirai complètement l’économie de la Turquie », a prévenu lundi Donald Trump.

Mercredi, appelant Recep Tayyip Erdogan à agir de manière « rationnelle » et aussi « humaine » que possible, il a réitéré sa mise en garde toute conditionnelle. Si le président turc mène cette opération « de manière injuste, il paiera un énorme prix économique », a-t-il assuré.

Problème : où Donald Trump place-t-il la ligne rouge ?

« Avec l’ambiguïté des menaces de Trump et sa réticence passée à sanctionner la Turquie, Erdogan estime avoir une grosse marge de manoeuvre », dit à l’AFP Nicholas Danforth, expert au German Marshall Fund of the United States.

De fait, le spectre des sanctions n’a pas empêché l’armée turque d’aller de l’avant.

Aux messages contradictoires émis par le président américain ces derniers jours s’ajoute son ambivalence ancienne à l’égard de la Turquie et de son dirigeant, qu’il vient d’inviter à Washington pour le 13 novembre et avec lequel il espérait conclure un accord commercial.

Donald Trump s’est montré réticent à punir Ankara pour l’acquisition des missiles antiaériens russes S-400, alors même que le Congrès estime que ces sanctions devraient être automatiques. Mais le même Trump a aussi renforcé les taxes douanières sur des produits turcs à l’été 2018 pour obtenir – avec succès – la libération du pasteur américain Andrew Brunson longtemps détenu en Turquie.

Le pasteur Brunson, à droite, escorté par la police turque lors de son arrivée à son domicile d’Izmir, le 25 juillet 2018 (Crédit : AFP PHOTO / STRINGER

« Si Erdogan franchit une ligne rouge qui existerait dans l’esprit impénétrable de Trump, des sanctions pourraient tomber sans préavis », estime Nicholas Danforth.

Or en 2018, les précédentes mesures, pourtant relativement symboliques, avaient eu des conséquences désastreuses pour l’économie déjà fragile de la Turquie, faisant plonger la livre.

Le déclenchement de l’offensive a été fermement condamné par plusieurs pays qui craignent un chaos susceptible d’ouvrir la voie à un retour en force de l’EI, et qui fait planer l’incertitude sur le sort des jihadistes prisonniers des YPG.

Paris a « très fermement » condamné l’incursion turque, qui « doit cesser ». L’ex-président François Hollande a demandé mercredi des sanctions contre la Turquie en cas de poursuite de son offensive contre les forces kurdes du nord-est de la Syrie, alliées des Occidentaux dans la lutte antijihadistes. « Le Conseil de sécurité qui se réunit ce jeudi doit décider de sanctions contre la Turquie, si l’offensive se poursuit, et l’Union européenne doit faire immédiatement de même », a-t-il déclaré dans un entretien au Parisien.

Pour lui, il faut aussi « suspendre » la participation de la Turquie dans l’Otan. « Les Kurdes sont nos alliés, ils ont mené le combat contre Daech. Or, la Turquie est membre de l’Otan. Comment admettre qu’un pays qui est dans une alliance avec nous puisse attaquer une force qui a été notre principal partenaire contre Daech (acronyme arabe du groupe Etat islamique) ».

L’ancien président (2012-2017) rappelle que dans la coalition, les forces kurdes « étaient nos principaux points d’appui au sol pour lutter contre Daech, nos avions ont pu manœuvrer grâce à cette action conjointe ». Une « coopération discrète, sur le terrain » qui a permis de contribuer à « l’éradication de Daech dans le nord du pays, jusqu’à Raqqa ». Or, a-t-il rappelé, c’est de Raqqa que les attentats qui ont frappé la France en 2015 « avaient été menés, décidés, organisés ».

« La France ne peut laisser les Kurdes être massacrés », a déclaré François Hollande, ajoutant se sentir « personnellement et politiquement redevable ».

C’est aussi « pour notre propre protection que nous avons intérêt à ce que les Kurdes continuent de tenir le territoire du nord de la Syrie et de lutter contre Daech », a relevé l’ex-président socialiste, soulignant que « ces Kurdes détiennent dans leurs camps de prisonniers des djihadistes, dont certains sont Français ».

« Or, il est à craindre qu’à la faveur de cette offensive, ces djihadistes puissent s’échapper et commettre d’autres forfaits, dans la région mais aussi en Europe », a-t-il souligné.

Même exigence du président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker. L’Allemagne a estimé que l’opération risquait « de provoquer une résurgence » de l’EI, et Londres a dit sa « sérieuse préoccupation ». Avant le déclenchement de l’offensive, le président russe Vladimir Poutine avait appelé Erdogan à « bien réfléchir ». L’Egypte a pour sa part jugé cette « attaque inacceptable » et Ryad a condamné « l’agression » de la Turquie en Syrie. Le président irakien Barham Saleh a affirmé mercredi soir que l’offensive militaire turque contre des forces kurdes en Syrie voisine allait causer « des souffrances humanitaires » et « renforcer les groupes terroristes », alors que Bagdad s’est déclaré vainqueur des jihadistes il y a moins de deux ans.

M. Saleh, lui-même Kurde, a encore appelé dans un tweet « le monde à s’unir pour éviter une catastrophe » alors que la Turquie a lancé mercredi, malgré plusieurs mises en garde internationales, son offensive contre les forces kurdes du nord-est de la Syrie, alliées des Occidentaux dans la lutte contre le groupe Etat islamique (EI) qui s’était emparé en 2014 de larges pans de la Syrie et de l’Irak.

Barham Saleh, le 29 mars 2010. (Crédit : AP Photo/Hadi Mizban)

Le chef de la diplomatie turque a vertement rejeté mercredi les critiques émanant de certains pays du Golfe sur son opération en Syrie, les accusant d’avoir « tué et affamé tant de civils » au Yémen.

« Vous avez tué et affamé tant de civils au Yémen. De quel droit vous opposez-vous maintenant à cette opération ? », a dit Mevlüt Cavusoglu, cité par l’agence de presse étatique Anadolu, dans une apparente réponse aux critiques de l’Arabie saoudite et des Emirats arabes unis.

Dans sa déclaration, M. Cavusoglu fait référence au conflit qui ravage le Yémen depuis plus de quatre ans, avec des dizaines de milliers de personnes tuées, dont de nombreux civils. L’ONU parle régulièrement de la pire crise humanitaire en cours dans le monde.

Mercredi soir, l’Arabie et les Emirats avaient condamné l’offensive lancée dans la journée par Ankara contre la milice kurde des Unités de protection du peuple (YPG) dans le nord-est de la Syrie.

Le ministère saoudien des Affaires étrangères a estimé que cette « agression » risquait d’avoir des « répercussions négatives sur la sécurité et la stabilité de la région » et de « saper les efforts » contre le groupe Etat islamique.

Emirats arabes unis et Bahreïn, proches alliés de Ryad, ont également « condamné » l’offensive turque, selon les agences de presse officielles respectives des deux pays.

Cet échange peu diplomatique intervient alors que les rapports entre Ankara et ces pays du Golfe, déjà délicats sur fond de rivalité régionale, ont connu des soubresauts ces dernières années, sans pour autant exploser en crise ouverte.

L’Arabie et les Emirats reprochent notamment à la Turquie de soutenir leur voisin et ennemi du Qatar.

Et les rapports entre l’Arabie saoudite et la Turquie se sont elles dégradées en octobre 2018 avec le meurtre du journaliste Jamal Khashoggi au sein du consulat du royaume à Istanbul, pour lequel plusieurs responsables saoudiens sont poursuivis.

Le journaliste saoudien Jamal Khashoggi au formum économique mondial de Davos, en janvier 2011. (Crédit : AP Photo/Virginia Mayo)

Recep Tayyip Erdogan, « plus vulnérable que jamais » après des défaites électorales, « sait que les Etats-Unis peuvent faire beaucoup de mal à l’économie turque », explique Gönül Tol, directrice du Centre d’études turques au cercle de réflexion Middle East Institute. « Mais il a tellement investi dans sa relation avec le président Trump qu’il veut croire en la force de leur alchimie. »

La vraie menace, pour Ankara, semble pourtant venir des parlementaires américains.

En présentant son texte mercredi, Lindsey Graham s’est dit certain d’obtenir un « fort soutien des deux bords politiques », remontés par l’inaction de l’exécutif.

La proposition parlementaire tape très fort : gel des avoirs aux Etats-Unis des plus hauts dirigeants turcs, y compris du président Erdogan, et restrictions à l’octroi de visas américains; embargo sur les ventes d’armes américaines et étrangères à Ankara; mesures punitives contre le secteur énergétique turc; et enfin mise en oeuvre sans délai des sanctions liées à l’achat des S-400.

Pour Gönül Tol, si cette menace se concrétise, « les relations américano-turques vont tomber au plus bas ».

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