Les médias israéliens ont eux aussi négligé le crime dans la rue arabe
Les principales chaînes de télévision partent rapidement du principe que les victimes sont des criminels, et les journalistes arabes sont sous-représentés
Une information dorénavant tristement familière est tombée dans les salles de rédaction dans l’après-midi de samedi : celle que six personnes avaient été blessées par des coups de feu dans une habitation de Kafr Kanna, dans le nord du pays.
Les homicides dans la communauté arabe israélienne sont devenus une constante au quotidien pour les journalistes – et leur nombre déjà vertigineux ne cesse également de grimper. Ce ne sont plus simplement des individus qui sont tués, ça et là, mais quatre ou cinq personnes à la fois. Samedi, un nouveau cap a donc été franchi avec un homme armé qui est entré dans un logement privé avant d’ouvrir le feu sur tous ceux qui se trouvaient à l’intérieur.
Il y avait eu une tuerie de masse au mois de juin. Cinq Arabes israéliens avaient été abattus dans une station de lavage automatique à Yafa an-Naseriyye. Deux personnes appartenant à la famille Marjiya avaient perdu la vie à cette occasion, notamment un adolescent de 15 ans. Ibrahim Shehadeh, Loee Rajab, et Mohammad Knana étaient morts, eux aussi.
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Il y a seulement quelques jours, un autre homme armé à tiré sur quatre personnes à Abu Snan. Une attaque qui a coûté la vie à Ghazi Saab, qui se présentait au poste de maire de la localité. Les autres victimes, qui se trouvaient en sa compagnie au moment de l’attaque, s’appelaient Zohair al-Din Saab, Amir Saab et Salman Halabi.
Plus de 90 % des défunts, depuis le début de l’année, ont été des hommes. Une vaste majorité, selon des informations transmises par le groupe de lutte contre les violences Abraham Initiatives, était âgée de moins de 30 ans. Et presque toutes ces attaques meurtrières ont été commises à l’aide d’une arme à feu.
Mais lorsque l’information sur la tuerie de Kafr Kanna est tombée, samedi, les chaînes de télévision n’y ont guère prêté attention. C’est ce que j’ai vérifié pendant une heure après la révélation de l’information initiale, très exactement au moment où étaient diffusés les talk-shows du samedi après-midi.
Dans « Tout est Politique », l’émission de la chaîne publique Kan, il y a eu une interview du député du Likud Boaz Bismuth, puis une discussion sur le caractère raciste ou non des propos qui ont récemment été tenus par le ministre de la Sécurité nationale Itamar Ben Gvir. Il y a eu également la diffusion d’un entretien avec le chef de Raam, le député Mansour Abbas.
Sur la Douzième chaîne, il y avait « Rencontre avec la Presse », où Abbas s’est également illustré au cours d’un entretien. L’émission a ensuite basculé sur un débat consacré aux manifestations qui ont entouré le délit de fuite qui avait entraîné la mort de Rafael Adana, âgé de 4 ans, puis sur une discussion sur l’ancien président américain Donald Trump et sur un entretien avec le ministre de l’Éducation Yoav Kisch.
L’émission « Le Siège », sur la Treizième chaîne a, pour sa part, été l’occasion d’une interview prolongée et d’une discussion de panel avec le chef du Syndicat des enseignants, Ran Erez.
Imaginez si un homme s’était introduit brutalement dans une habitation privée de Kfar Tavor, Yokneam ou de Nahariya et qu’il avait ouvert le feu sur ses occupants.
Imaginez si un terroriste était entré dans une maison, dans une implantation de Cisjordanie, et qu’il avait tiré sur tout le monde. Les chaînes de télévision auraient-elles maintenu leur programmation habituelle ? Même si une seule personne perd tristement la vie au cours d’un attentat terroriste, tous les programmes sont interrompus pour couvrir l’horreur en direct.
Un attentat terroriste n’est pas la même chose qu’un homicide entraîné par une querelle financière, me direz-vous. Toutefois, les leaders politiques et même la police disent depuis longtemps que les conflits criminels qui sévissent dans les communautés arabes sont équivalent au terrorisme, dans la mesure où ils font se répandre la peur chez des innocents et qu’ils pourraient, en définitive, déborder et s’infiltrer dans la société israélienne au sens large du terme.
Où les tueurs obtiennent-ils leurs armes ? Ces armes ont été introduites sur le sol israélien grâce aux trafics, pénétrant sur le territoire depuis la Cisjordanie ou depuis la Jordanie. L’afflux incessant d’armes dans le pays qui est le nôtre est un danger national.
Dans tous les cas, tous les meurtres commis au sein de la société arabe devraient nous amener, tous autant que nous sommes, à nous mobiliser, effarés – même si les chaînes de télévision se sont endormies au volant.
L’année dernière, la couverture des informations portant sur la société arabe et sur la vague criminelle qui frappe cette dernière de plein fouet est devenue de plus en plus significative. Mais ce n’est pas assez. Les médias couvriraient ces homicides de manière très différente si des Juifs en étaient les victimes.
L’une des raisons apparentes de ce mutisme est que les journalistes, les rédacteurs, le chroniqueurs et même les administrateurs partent du principe que les victimes, en général, appartenaient au milieu du crime organisé. C’est ce que Ben Gvir, dont le ministère supervise les forces de police, a lui-même déclaré lors d’un entretien, la semaine dernière, avec la Douzième chaîne. Nous pouvons également présumer que la police donne des informations aux journalistes qui vont dans ce sens. Et si les victimes étaient des criminels, alors pourquoi leur accorder un temps d’antenne ?
Pourtant, dans la plupart des cas, les chaînes ne vérifient pas l’exactitude de cette information de manière indépendante. Dans presque tous les homicides, dans presque toutes les fusillades, il y a des personnes innocentes qui ont eu le malheur de se trouver là où il ne le fallait pas. Quand avez-vous vu ou lu pour la dernière fois une enquête qui examinait l’identité des victimes, la raison de leur mise à mort, la véracité de leur implication dans des faits criminels ?
Autre point important : les téléspectateurs des chaînes israéliennes de télévision n’entendent presque jamais le nom des victimes. Des sites d’information en ligne comme Ynet, Walla, et Haaretz nomment les victimes – mais ce n’est presque pas le cas à la télévision. Les victimes restent des corps privés de toute identité.
Les médias israéliens doivent améliorer leur couverture sur ce sujet tragique – ils doivent rendre leur identité aux victimes, même si ces dernières sont soupçonnées d’avoir été impliquées dans le milieu criminel. Comment peuvent-elles être désignés comme ayant été « impliquées dans un conflit entre familles du crime » alors même que la police elle-même ne connaît pas les détails de l’affaire ?
Cette habitude de parler d’un carnage en disant qu’il ne concerne que des criminels face à d’autres criminels déprécie le prix du sang de nombreux citoyens et il permet aux médias de détourner le regard face à ce qui est une tragédie.
Le manque de journalistes et d’analystes arabes vient s’ajouter à cela. Oui, la Douzième chaîne a embauché Mohammad Magadli, un commentateur impressionnant, qui a rejoint dans ses équipes son seul reporter arabe, Furat Nasser. Sur la Treizième chaîne, ont peu entendre Ali Mograbi s’exprimer et écouter aussi avec attention les analyses occasionnelles de Frida Jabar, l’une des propriétaires du site d’information arabophone Panet. Toutefois, elle n’intervient pas régulièrement sur le plateau et sa présence n’est pas quotidienne. Sur la chaîne publique Kan, c’est Suleiman Maswadeh qui se démarque.
Mais il faudrait bien davantage. La population arabe représente 21 % des citoyens israéliens. Le crime, au sein de la communauté arabe, plonge les Arabes, les Juifs et les résidents des villes mixtes dans la tourmente.
La sous-représentation des Arabes dans les médias en général et à la télévision en particulier est une tragédie. Les chaînes doivent trouver et former des journalistes et des commentateurs arabes. Se contenter de combler le vide en faisant appel à une ou deux personnes ne peut plus continuer dorénavant.
Il s’agit de garantir une visibilité permanente aux visages et aux accents des membres de la communauté arabe israélienne à la télévision, et de diffuser des contenus provenant de la société arabe – bien sûr, pas seulement dans le cadre de la couverture sur la vague criminelle mais sur toutes les questions liées à une minorité énorme au sein de l’État juif.
Au cours de la dernière décennie, les médias israéliens sont parvenus à améliorer la représentation des membres issus du camp nationaliste religieux. L’article écrit par feu Uri Orbach en 1998, « Le meilleur doit entrer dans les médias », dans lequel il appelait les jeunes de son mouvement à rejoindre la radio militaire pendant le service au sein de l’armée, puis à intégrer les médias, avait été largement accepté et il avait été une révolution dans la presse.
Selon les estimations, le mouvement nationaliste religieux constitue environ 10% de la société israélienne et il est aujourd’hui largement représenté sur les plateaux.
Le moment est venu dorénavant d’accroître la visibilité de la communauté arabe.
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