Les Palestiniens réclament la mise au ban d’un poète druze, venu inhumer son petit-fils soldat
L'auteur arabe israélien Suleiman Daghash était considéré comme un ambassadeur de la poésie palestinienne - jusqu'à ce qu'il prenne la parole aux funérailles de son petit-fils, un soldat israélien tué à Gaza
Le ministère de la Culture de l’Autorité palestinienne (AP) a condamné, samedi, le poète arabe israélien Suleiman Daghash pour avoir pris part aux funérailles de son petit-fils, Sufian, un soldat de l’armée israélienne qui a été tué à Gaza à l’âge de 21 ans.
Le ministère a appelé à retirer toutes les distinctions qui avaient été remises au poète, qui est un citoyen israélien appartenant à la minorité druze, mentionnant un prix en particulier qui lui avait été remis par le Syndicat général des auteurs arabes en 2017.
Daghash est originaire de la ville de Maghar, une localité à majorité druze qui se trouve dans le nord d’Israël et il est considéré comme une personnalité marginale au sein de la communauté. Contrairement à la plupart des Druzes israéliens, il rejette l’idée de prêter allégeance à l’État d’Israël et il a affirmé son identité nationale palestinienne à travers toute son œuvre.
Dans la minorité druze, tous les hommes font leur service militaire et ils servent dans les unités de combat à un pourcentage plus élevé que les Juifs israéliens – environ 80 % contre 50 %. Daghash avait refusé de faire son service et deux de ses fils avaient suivi son exemple, selon le journaliste palestinien Younis Tirawi.
Une vidéo a circulé sur les réseaux sociaux montrant Daghash lors des funérailles, faisant l’éloge funèbre de son petit-fils dont le cercueil est recouvert d’un drapeau israélien. Un certain nombre d’officiers de l’armée et de soldats étaient également présents lors de la cérémonie et ils ont porté le cercueil.
Dans son éloge funèbre, le poète a dit : « Comment puis-je accepter de porter ce qui est ton cercueil, comment puis-je accepter l’idée que tu seras inhumé avant moi ? N’aurait-il pas été plus juste que je sois là à ta place, et toi à la mienne ? »
Il a ajouté que « j’espère que le sang de Sufyan sera le dernier à être déversé dans cette guerre ou dans une autre et qu’une paix équitable, intégrale, règnera enfin dans notre région. »
????A shock from within!
Today, Palestinian Ministry of Culture condemned Palestinian Poet Solaiman Daghsh's actions, announcing the suspension of all awards and appreciation bestowed upon him, citing his participation in his grandson's funeral, a IOF soldier killed in Gaza! -> pic.twitter.com/HCl8LhJJiX
— Younis Tirawi | يونس (@ytirawi) January 6, 2024
Des responsables religieux druzes et notamment le chef spirituel de la communauté au sein de l’État juif, Sheikh Muakfak, étaient également présents lors de ces funérailles.
Daghash avait été le premier auteur à recevoir un prix littéraire particulier pour « les auteurs palestiniens de 1948 », un prix qui a été remis à des citoyens arabes israéliens par le Syndicat général des auteurs arabes en Algérie pour rendre hommage à leur « détermination » en tant que citoyens arabes d’Israël, selon l’agence de presse Wafa.
Les intellectuels palestiniens ont fait part de leur indignation face à la présence de Daghash à un événement militaire.
Murad al-Sudani, secrétaire-général du Syndicat des auteurs palestiniens, a écrit sur la page officielle de l’organisation que cette dernière rejetait l’éloge funèbre prononcé par un poète palestinien lors de l’inhumation « d’un soldat qui a contribué au meurtre de notre peuple à Gaza… Les lauréats du prix littéraire des Palestiniens de 1948 [les Arabes israéliens] doivent respecter la Palestine et sa culture de résistance et afficher de l’humilité face au sang qui coule à Gaza et en Cisjordanie ».
Le secrétaire-général a appelé à retirer son prix à Daghash, estimant que « l’auteur s’est exclu de lui-même du paysage culturel de la Palestine ».
Des auteurs palestiniens variés ont aussi condamné l’apparition de Daghash aux côtés de soldas israéliens, le critiquant pour sa présentation, sur son profil Facebook, en tant « qu’ambassadeur de la poésie palestinienne dans le mouvement mondial des poètes ».
L’auteur Yassin Ezz El-Din, dont les propos ont été cités le quotidien Al-Quds al-Araby dont le siège est basé au Royaume-Uni, a déclaré que « de nombreux Palestiniens vivent cette contradiction : leur cœur est acquis à la Palestine et leurs épées sont celles d’Israël. L’excuse est qu’il y a toujours des circonstances personnelles qui sont spécifiques. Mais aujourd’hui, l’ambiguïté n’a plus sa place et il est impossible de ne pas choisir son camp. Si vous n’êtes pas avec la Palestine à la fois par vos propos et par vos actes, alors vous êtes avec Israël ».