Les plus jeunes voulant protéger leurs aînés, le virus déchire les familles
"J'ai réalisé, la nuit dernière, que je pourrais peut-être ne plus jamais voir, embrasser ou toucher mon père malade encore une fois avant sa mort", dit une femme accablée

« Je suis fille unique. Ma mère est morte quand j’avais dix-sept ans et je suis très proche de mon papa, qui a 76 ans et qui souffre d’une maladie des poumons chronique ».
« Avec les nouvelles règles mises en place pour le coronavirus qui m’empêcheront probablement dorénavant de sortir de chez moi, j’ai réalisé, la nuit dernière, que je pourrais peut-être ne plus jamais voir, embrasser ou toucher mon père malade encore une fois avant sa mort ».
Ce sont ces pensées atroces qui traversent actuellement l’esprit de Sarah, une femme de 52 ans qui vit dans le centre d’Israël, alors qu’elle tente de trouver un moyen d’assumer – comme c’est le cas également des autres enfants d’un grand nombre de personnes âgées de tout l’Etat juif – les conséquences d’un confinement de plus en plus dur qui vise à ralentir la propagation de la pandémie.
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Suite à des rencontres qui ont réuni, au début de la semaine, le Premier ministre Benjamin Netanyahu et d’autres responsables issus de ministère variés, les médias en hébreu ont fait savoir que des règles plus strictes seraient mises en place pour contenir la propagation du virus, obligeant notamment les citoyens à rester chez eux et à ne pas franchir une limite de quelques centaines de mètres au-delà de leur domicile.

« Nous sommes très proches », confie Sarah en évoquant Aryeh, son père, qui, après avoir fumé pendant cinquante ans, souffre d’une pathologie pulmonaire obstructive et qui doit être placé sous oxygène. Il vit à un peu plus de trois kilomètres de chez elle, avec son aide à domicile indien.
« J’ai l’habitude de le voir deux fois par semaine ou plus et on passe tous les week-end ensemble », continue-t-elle.
« Mais avec son âge avancé, sa maladie pulmonaire et sa fragilité, il présente la vulnérabilité la plus extrême possible face au coronavirus. Son aide à domicile fait très attention. Et lui a vraiment peur. Cela fait deux semaines que je me tient à l’écart. Papa n’a pas du tout quitté son appartement », précise-t-elle.
« Aujourd’hui, je vais aller le voir. Il sortira sur le balcon et moi, je serai en bas », continue-t-elle.
« Mais j’ai bien conscience du fait que cela pourrait être la dernière fois que je le vois devant moi », déclare-t-elle.

Sarah ajoute que « la famille d’Aryeh Even [survivant de la Shoah âgé de 88 ans et première victime israélienne du coronavirus qui a été inhumé dans la nuit de samedi] a dit qu’elle n’a même pas eu la chance de pouvoir lui dire adieu. Il est mort seul, et ça brise le cœur ».
Les familles divisées sur tout le territoire
Le coronavirus sépare les familles sur tout le territoire alors que les enfants et petits-enfants s’efforcent de protéger au mieux de la pandémie leurs parents et grands-parents âgés en se tenant à l’écart.
Grâce à des plateformes en ligne comme FaceTime, Skype, WhatsApp ou Zoom, les Seniors ayant quelques connaissances en informatique sont en mesure de maintenir le contact avec les jeunes générations dans les familles.
D’autres parents âgés contournent le problème en restant à proximité raisonnable de la porte d’entrée des enfants, tandis que ces derniers se tiennent de l’autre côté de la porte ou au bas des escaliers pour maintenir une distance entre eux. Les enfants qui peuvent encore voir leurs parents dans les maisons de retraite – elles sont nombreuses, aujourd’hui, à interdire toutefois les visites – s’installent à plusieurs mètres de leurs aînés, à l’extérieur, sur les pelouses.
Sarah raconte : « Mon père m’a contactée une fois par FaceTime. Il voulait me réconforter. Ce qui l’inquiète vraiment, c’est d’avoir un problème avec internet ».
Aryeh, qui est resté chez lui pendant les mois pluvieux de janvier et de février, dit ne pas être sorti depuis 16 jours à cause de la pandémie.

« Mon état de santé est délicat et les courses faites par mon aide à domicile à l’épicerie ou pour aller prendre mes médicaments suffisent », dit-il. « C’est seulement aujourd’hui que nous avons parlé de ce qui pourrait se passer si le virus ».
« Il y a eu des périodes où Sarah était à l’étranger et où je ne la voyais pas pendant plusieurs mois. Je peux lui parler par WhatsApp en vidéo et j’espère juste que le virus disparaîtra dans pas trop longtemps », raconte-t-il.
« Ce qui m’inquiète vraiment malgré tout, c’est que j’ai un frère âgé de 82 ans à Holon (dans le centre d’Israël). La sœur de son épouse est très malade [sans lien avec le coronavirus] et elle est à l’hôpital. Ma belle-soeur va et vient lors de ses visites à l’hôpital et mon frère l’emmène et la ramène, et elle ramène également l’aide à domicile de cette sœur chez elle. Je ne peux pas voir non plus mon frère », déplore-t-il.
Séparés par les océans
David, pour sa part, est un chirurgien dentiste de 57 ans, qui a récemment divorcé et qui vit au Royaume-Uni.
Il a deux fils – des adolescents – et sa mère de 94 ans vit dans le centre de Londres, à 45 minutes en voiture.
« Depuis la mort de mon père, il y a de nombreuses années, et depuis que ma soeur est partie vivre en Israël, maman dépend de moi et des enfants pour la compagnie, les relations et les bons moments », explique-t-il.
« Elle est partie en Israël il y a deux semaines à son âge incroyable, suscitant l’admiration de tous ses amis, pour rendre visite à ma sœur et à sa famille – tout cela pour se trouver placée en quarantaine chez eux presque immédiatement après son arrivée », continue-t-il.
« Pour elle, le choc est énorme. Elle est loin de son environnement familier, de sa propre maison pour une période indéterminée et je lui manque terriblement, ainsi que mes enfants. Elle n’arrête pas de dire combien il est injuste d’être déchiré entre ses enfants qui se trouvent chacun dans différents pays. Je vois la tristesse dans ses yeux quand on discute, chaque jour, sur FaceTime et je ressens son désir, si c’était seulement possible, de pouvoir nous toucher à travers l’écran, » déclare-t-il.

« Nous nous sommes tellement habitués à cet enchevêtrement de nos vies que cette séparation forcée est presque insupportable », s’exclame-t-il.
« Et, le matin, je suis là – à me demander si je vais la revoir encore une fois, si je ressentirais encore son étreinte. J’ignore totalement quand nous pourrons nous retrouver à nouveau », regrette-t-il.
« Je suis un travailleur dans le secteur de la santé actuellement sur le front au Royaume-Uni et je dois affronter chaque jour cet ennemi silencieux. Nous n’avons pas d’équipements de sécurité appropriés, mais nous devons néanmoins faire tout ce qui est possible pour soigner les malades et ceux qui souffrent. Leur gratitude nous va droit au coeur et nous rappelle pourquoi nous avons fait le choix d’une telle profession. Mais nous mettons toutefois en péril les êtres qui nous sont chers. C’est un choix horrible et déchirant à faire », dit-il.
« Pour autant qu’on le sache, ce genre de séparation est en train d’arriver dans le monde entier et certains ne reverront jamais ceux qu’ils aimaient – comme si une cloison de verre avait été placée entre eux, une cloison impossible à briser », continue-t-il.

« Les effets sur la santé mentale ne sont même pas pris en considération dans cette période grave, mais ils surviendront », dit-il.
« Nous nous trouvons dorénavant en confinement au Royaume-Uni – c’est plus tard que dans d’autres pays – et je ne peux pas m’approcher de plus de deux mètres de ma nouvelle petite amie qui n’est pas supposée me voir dans la mesure où nous ne partageons pas strictement un logement ensemble », explique-t-il.
« Cette période nous teste tous de manière si différente et nous ne pouvons que prier pour que l’ennemi soit rapidement vaincu et que nous puissions tous nous retrouver. Nous devons avoir la conviction que de bonnes choses vont sortir de tout ça et avec un peu de chance, je pourrai reprendre ma mère dans mes bras avant qu’il ne soit trop tard », ajoute-t-il.
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