Les premiers êtres humains conservaient la viande de mégaherbivores dans un fumoir
De chercheurs israéliens suggèrent que la viande était déjà fumée il y a 1,8 million d'années - une stratégie de survie qui a peut-être contribué à façonner l'évolution humaine

Des preuves indiquent que les premiers humains auraient maîtrisé le feu il y a 1,8 million d’années, probablement pour éloigner les prédateurs et pour fumer la viande dans le but de mieux la conserver. Offrant un aperçu rare de la manière dont les hommes parvenaient à survivre pendant la préhistoire, de nouvelles recherches menées par des chercheurs israéliens ont étudié les premières utilisations du feu – des utilisations qui devaient être suivies par un changement majeur survenu il y a 400 000 ans, lorsque le feu de cuisson avait cessé de principalement servir à fumer la viande chassée pour la conserver et qu’il avait servi à la rôtir.
Avant ce passage à la cuisson au barbecue, de petits groupes de chasseurs-cueilleurs de vingt à trente personnes auraient réussi à survivre pendant des semaines en se nourrissant de graisse et de viande fumées et séchées, une viande qui provenait de gros animaux, leur fournissant des millions de calories. Selon l’équipe de recherche, les chasseurs s’attaquaient notamment à des méga-herbivores, comme les éléphants et les hippopotames dont des restes ont pu être découverts sur les sites qui ont fait l’objet de fouilles.
« L’utilisation du feu par l’homme est un grand mystère », indique le professeur Ran Barkai, de l’université de Tel Aviv, au Times of Israel au cours d’un entretien téléphonique.
« Nous savons qu’à un certain stade, il y a entre 400 000 et 200 000 ans, l’utilisation du feu s’était généralisée, surtout pour rôtir la viande », ajoute-t-il.
« Toutefois, sur certains sites, il y a des éléments qui prouvent que le feu était utilisé depuis plus longtemps encore. Le mystère est total concernant la raison pour laquelle il n’est apparu qu’à certains endroits et pas à d’autres, et dans quel objectif – c’est un mystère qui s’inscrit dans la question plus large du rôle tenu par le feu dans l’évolution, dans la nutrition et dans la biologie humaines », indique Barkai qui, en collaboration avec Miki Ben-Dor, qui effectue également des recherches à l’université de Tel Aviv, a rédigé un article qui a été publié le mois dernier dans la revue Frontiers in Nutrition.
Ce dernier article qui laisse entendre que les premiers hommes fumaient principalement leur viande s’inscrit dans le cadre d’un projet de recherche plus vaste qui est mené depuis plus de dix ans par Barkai et son équipe. Ce travail se consacre au rôle tenu par les mégaherbivores (et par leur extinction) dans l’alimentation et dans l’évolution humaines.

Des recherches antérieures avaient laissé penser, par exemple, qu’après avoir tué des animaux de grande taille pendant des centaines de milliers d’années, l’Homo erectus, une espèce humaine ancienne, avait été contraint de se déplacer pour chasser des gibiers plus petits — et plus ils avaient été petits, plus il avait fallu rivaliser d’ingéniosité pour en attraper suffisamment pour satisfaire ses besoins alimentaires. Ce qui avait ensuite favorisé la sélection de cerveaux plus gros et plus performants au sein de l’espèce.
Les dernières recherches menées par des chercheurs de l’UTA ont exploré la manière dont les premiers humains avaient commencé à chasser ces animaux massifs et le rôle central qui avait été tenu par le feu dans ce processus.
« Il n’existe que neuf sites dans le monde qui présentent des traces de feu, datant d’il y a entre 1,8 million et 1 million d’années avant l’ère commune – et nous avons constaté que chacun d’entre eux contenait également des restes de mégaherbivores, d’éléphants, de rhinocéros et d’hippopotames », fait remarquer le chercheur.
Parmi ces sites, Gesher Benot Yaaqov et Evron Quarry en Israël. Il y en a aussi six en Afrique et un en Espagne.

Aucun ossement brûlé n’a été retrouvé à ces endroits – contrairement à ce qui a pu être découvert sur des sites préhistoriques plus récents, datant d’il y a plus de 400 000 ans ou moins, où des os carbonisés ont révélé que de la viande avait été rôtie.
« C’est la raison pour laquelle nous pensons que le feu était utilisé à l’époque pour protéger les tonnes de viande et de graisse que les humains chassaient, qu’ils voulaient conserver pour eux-mêmes, et pour sécher la viande afin qu’elle se conserve », explique Barkai, par exemple en fumant la viande.
Les chercheurs ont également analysé la question d’un point de vue bioénergétique, en comparant les calories brûlées pour allumer et pour entretenir les feux au gain calorique de la viande conservée.

« Faire du feu était très coûteux », explique Barkai. « Il fallait chercher du bois, allumer le feu et l’entretenir. La cuisson offre un apport calorique qui justifie l’utilisation du feu, du moins tant que les mégaherbivores ont existé. »
Selon Barkai, les grands animaux constituaient une riche source de graisse, un nutriment très prisé que les premiers humains cherchaient à consommer sous sa forme naturelle.
« Les premiers humains étaient férus de graisse et il n’était donc pas logique de rôtir la viande, car cela réduisait considérablement la teneur en graisse », explique-t-il.
Utiliser le feu pour fumer ou sécher la viande était le moyen le plus efficace de conserver autant de graisse que possible.
« Ce n’est qu’après l’extinction des grands animaux sauvages qu’il est devenu plus logique d’utiliser le feu pour rôtir la viande et pour la rendre plus digeste », note Barkai.
Interrogé sur la possibilité de conserver la viande pendant de longues périodes sans utiliser le feu, Barkai répond que d’autres méthodes étaient susceptibles d’exister. Elles étaient toutefois limitées aux régions plus froides où la viande pouvait être réfrigérée d’une manière ou d’une autre.
« Le Levant et l’Afrique ont toujours été des régions chaudes », fait-il remarquer. « En théorie, ils auraient pu essayer de sécher la viande au soleil, mais ils auraient dû la couper en tranches très fines, ce qui n’aurait pas été pratique ».
Selon Barkai, les premiers humains n’avaient commencé à chasser les mégaherbivores qu’après avoir découvert comment conserver leur viande.
« Nous savons que les chasseurs-cueilleurs modernes utilisaient chaque calorie qu’ils pouvaient tirer des animaux qu’ils chassaient », explique-t-il. « Ils ne gaspillaient rien, non seulement pour des raisons pratiques mais aussi pour des raisons perceptuelles – dans le cadre de leur relation au monde, qui reposait sur un système de croyances animiste où il fallait traiter le monde avec respect pour qu’il puisse continuer à donner tout ce dont ils avaient besoin ».
« Nous pensons que ce concept est très ancien », ajoute Barkai. « Les premiers humains ne chassaient donc les mégaherbivores que lorsqu’ils étaient capables d’utiliser tout ce qu’ils contenaient ».
Si les preuves d’un tel fait sont rares, le chercheur pense également qu’une fois le feu allumé, les premiers humains l’utilisaient peut-être aussi pour rôtir des aliments.
« Un site, Gesher Benot Yaaqov, présente des traces qui nous laissent penser que du poisson y était rôti », note Barkai. « Nous avons suggéré que, dans la mesure où le feu était déjà utilisé sur ce site pour protéger la viande, ses anciens habitants l’utilisaient également pour rôtir du poisson. Mais il s’agit d’un cas très inhabituel ».
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