Les prisonniers palestiniens jeûnent, les politiciens israéliens festoient
Les médias hébreux tentent de comprendre les enjeux de la grève de la faim massive dirigée par le terroriste condamné Marwan Barghouti et le référendum turc - mais n'oublions pas la Mimouna !
Judah Ari Gross est le correspondant militaire du Times of Israël.

Derrière des barricades, une bataille commence entre les prisonniers palestiniens et leur gardiens israéliens – ou est-ce entre le terroriste condamné Marwan Barghouti et le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas ?
Dans les journaux de mardi, les journalistes israéliens ont tenté d’analyser le tumulte qui entoure une grève de la faim qui a été entamée par 1 187 prisonniers sécuritaires dans les prisons israéliennes.
Apparemment, cette grève est une tentative pour obtenir de meilleures conditions de détention : L’accès à un téléphone, davantage de visites familiales, des chaînes de télévision supplémentaires, une reprise des programmes académiques disponibles en prison.
Mais Amos Harel, dans Haaretz, veut regarder au-delà des apparences et entrevoit un stratagème de Barghouthi qui, même s’il a été condamné à cinq peines de prison à vie pour son rôle joué dans de multiples attentats terroristes, est considéré par les Palestiniens comme un futur leader du Fatah et de l’AP.
« L’attention portée par les médias à une grève prolongée servira [Barghouthi] dans son objectif de prendre la tête de l’AP qui soutient officiellement la grève. En réalité, l’Autorité palestinienne s’inquiète de toute issue qui viendrait renforcer le statut du chef emprisonné – qui n’est pas particulièrement apprécié par le président Mahmoud Abbas et les siens », a écrit Harel.
Selon Harel, la nature politique de la grève est ce qui l’empêche de se propager : seulement un tiers des prisonniers du Fatah y participent et tandis que le Hamas ne lui apporte qu’un soutien timide, le groupe terroriste évite même de s’y impliquer pleinement.
Le journal israélien Hayom renonce pour sa part à analyser les motivations cachées de la grève des prisonniers et préfère évoquer les détails de la gestion de la grève par le Service israélien chargé des prisons.

Selon le journal, le ministre de la Sécurité intérieure Gilad Erdan aurait ainsi déclaré qu’il a demandé au Service israélien des prisons et à la police de se préparer pour une grève de la faim massive. Il aurait de plus dit à l’armée de monter un hôpital de terrain pour éviter aux prisonniers d’être amenés dans des hôpitaux civils.
Pendant ce temps, le journaliste vétéran Ben-Dror Yemini du Yedioth Ahronoth se souvient que Barghouthi a été son ami dans le passé avant qu’il ne s’égare. Se rappelant d’une visite en Espagne à ses côtés, durant laquelle le chef palestinien avait demandé que le journaliste israélien soit autorisé à assister à une rencontre locale des leaders arabes, Yemini décrit une époque où Barghouthi « n’utilisait pas de double langage ».
A tous les niveaux toutefois, les médias israéliens dénoncent tous le New York Times, responsable d’avoir publié une lettre ouverte écrite par Barghouthi dans laquelle il était décrit comme « un leader et parlementaire palestinien ».
Israel Hayom cite le vice-ministre Michael Oren qui a qualifié cette publication « d’attentat terroriste médiatique ».
Yemini dénonce pour sa part une contribution apportée par la Gray Lady à « l’époque des fake news » en raison de « ses publications, encore et encore, d’articles qui se réfèrent aux ‘lois d’apartheid’ d’Israël ».
Beaucoup de bruit pour la Turquie
Cette semaine, la Turquie, ce frère ennemi de l’état juif – qui achète notre gaz naturel et accueille à bras ouverts les touristes israéliens mais qui soutient aussi à bras ouverts le Hamas – a organisé un référendum national pour accorder des pouvoirs supplémentaires au président turc Tayyip Erdogan.
Erdogan a remporté le vote et ses pouvoirs présidentiels seront élargis, alors qu’un appel a été fait par l’opposition pour dénoncer d’éventuelles fraudes lors du vote – appel qui devrait toutefois presque sûrement échouer.

Ecrivant depuis Istanbul, Anshel Pfeffer de Haaretz affirme que les opposants d’Erdogan entrevoient une lumière d’espoir à deux niveaux : Ainsi, le leader turc a perdu dans toutes les grandes villes et des contrôleurs venus de l’étranger ont constaté des dysfonctionnements dans le déroulement du référendum.
« Oui, le référendum a été volé mais nous ne sommes pas surpris et maintenant, ce vol apparaît au grand jour et toute la Turquie est consciente de la situation », aurait dit l’animateur de télévision local Can Tunbil, des propos repris par Pfeffer.
Boaz Bismuth d’Israel Hayom parie que la victoire remportée par Erdogan marquera aussi le début de sa chute.
« Il a gagné dans ces endroits où les journaux et où les éditoriaux n’arrivent pas, dans la ‘Turquie profonde' », écrit Bismuth. « Là-bas, ils votent avec le ventre et la mosquée – deux endroits dont Erdogan est maître ».

Selon l’analyse de Bismuth, en soumettant sa profession de foi à un vote ‘démocratique’ plutôt que de l’imposer par un décret autoritaire – Erdogan a révélé sa vraie nature : Il n’est puissant que lorsqu’il conserve une majorité.
« Erdogan peut l’avoir emporté mais la victoire plus largement montre – malgré son pouvoir impressionnant – ses limites », estime Bismuth.
Yedioth Ahronoth relègue le référendum turc sur deux pages, la 8 et la 9, et présente une imagerie troublante pour son article consacré au résultat.

La photographie de femmes brandissant le drapeau turc, sur lequel est écrit « faire la fête dans les rues », domine la double page. Avec le titre « Une Turquie forte », quiconque ne ferait que parcourir le journal pourrait manquer le fait que la victoire d’Erdogan est considérée comme profondément contentieuse et qu’elle divise le pays et le monde entier.
Un encadré tente de corriger cette impression, notant que certains considèrent les résultats du référendum comme illégitimes au vu d’un certain nombre d’urnes qui ont été comptées alors qu’elles n’avaient pas été convenablement scellées.
Encore des sous-marins, une tragédie en mer, la folie de la Mimouna
Haaretz consacre sa Une au dernier développement survenu dans l’affaire d’un accord apparemment véreux portant sur l’achat par Israël de sous-marins allemands. L’année dernière, il avait été rapporté que l’accord pourrait ne pas être complètement honnête – dans la mesure où c’est l’avocat personnel du Premier ministre Benjamin Netanyahu, David Shimron, qui avait représenté la firme allemande vendant les dits sous-marins. (Netanyahu a nié toute malversation mais une enquête policière est actuellement en cours sur cette affaire).
Selon le correspondant diplomatique du journal, Barak Ravid, Israël et l’Allemagne ont convenu que l’accord serait annulé si l’enquête devait révéler des irrégularités.
« Les Allemands voulaient un filet de sécurité pour avancer sans prendre le risque de se retrouver piégés dans un scandale de corruption », aurait confié un responsable israélien à Ravid, sous couvert d’anonymat.

Dans d’autres informations plus locales, Israel Hayom et Yedioth Ahronoth consacrent leur couverture à la recherche d’un Israélien qui serait décédé après avoir été porté disparu la semaine dernière dans le lac de Tibériade.
Les corps sans vie des deux autres hommes — Nahman Itah, 21 ans et Liron Karadi, 17 ans — qui se sont noyés dans le lac après que leurs matelas flottants ont été emportés au large mercredi dernier et ont été retrouvés lundi. La recherche du troisième adolescent — Itamar Ohana, 19 ans — se poursuit.
Dans son article, Haaretz donne l’occasion aux familles des victimes de s’en prendre vivement au gouvernement, accusé de ne pas faire suffisamment pour assurer la protection des nageurs.
Danny Brenner, dans Israel Hayom, estime que si le lac de Tibériade peut être dangereux, tout le monde – de la police à l’armée en passant par les amis des portés disparus – a fait un excellent travail.
« Ils méritent tous une médaille d’honneur », dit-il.
Bien sûr, la nuit de lundi a également marqué la fin de Pessah et la tenue de la fête de Mimouna – une fête marocaine au cours de laquelle est dégustée une crêpe appelée ‘moufleta’ ainsi que d’autres gourmandises traditionnelles.
Chaque année, les politiciens fêtent la culture marocaine (ou se l’approprient délibérément par profit électoral, selon à qui vous posez la question) en se rendant à des célébrations extravagantes dans tout le pays pour déguster des moufletas et – c’est le plus important – être photographié en train de le faire. Des points supplémentaires sont accordés au législateur si quelqu’un porte un fez en arrière-plan, et plus encore si c’est le politicien qui arbore ce couvre-chef d’Afrique du nord.
Yedioth Ahronoth, considéré comme le journal du peuple, met en avant le traitement de la Mimouna, avec des photographies colorées et « la Moufleta de la Nation » en titre.
Israel Hayom accorde également une partie de sa Une à la coutume marocaine, mais plus modestement. Même Haaretz ne peut échapper à la publication de photos de la fête de la Mimouna.
Pour certaines raisons, les célébrations de la Mimouna marocaine sont sûres de faire la Une, tandis que les festivités éthiopiennes de Sigd, à l’automne, n’y parviennent pas. Allez comprendre.
C’est vous qui le dites...