Les programmes agricoles juifs prospèrent, et cette communauté prend racine
Le Jewish Farming Network a rassemblé 200 membres en deux jours et en compte à présent plus de 800 ; ils prospectent les USA, cherchant d'autres personnes alliant foi et nourriture
Cet article a été rédigé en mars 2020.
REISTERSTOWN, Maryland (JTA) – Lorsque Sarah Julia Seldin est arrivée au principal rassemblement national des gastronomes juifs en 2016, elle a été déçue de ne trouver aucun programme destiné spécifiquement à des gens comme elle.
Il y avait des sessions sur la cuisine casher, l’éthique alimentaire juive et les réalités de l’abattage des animaux casher. Mais il y avait peu de programmes à la Hazon Food Conference spécifiquement destinés à ceux qui consacrent leur temps et leur énergie à faire pousser de la nourriture.
Seldin, une agricultrice qui dirige la Yesod Farm + Kitchen à Fairview, en Caroline du Nord, a donc fait savoir qu’elle souhaitait entrer en contact avec d’autres agriculteurs juifs. Quelque 13 personnes ont répondu à l’invitation, dont Shani Mink, qui était alors agricultrice au Pearlstone Jewish Retreat Center, près de Baltimore.
Cet après-midi-là, les deux femmes ont créé une page Facebook et invité tous les agriculteurs juifs qu’elles connaissaient à s’y joindre. Elles l’ont appelée le Jewish Farmer Network, et en deux jours, 200 personnes s’y étaient inscrites. Aujourd’hui, le nombre est d’environ 800, et 1 600 autres suivent le groupe sur Instagram.
« Les gens présents dans la salle ont compris qu’ils vivaient leur judaïsme au travers de la bonne gestion de la terre », explique Mme Seldin. « Pour eux, le travail agricole représentait la façon dont ils vivaient le judaïsme dans le monde. Mais ils se sentaient seuls. Les fermiers juifs souffrent d’une double invisibilité – les Juifs ne s’attendent pas à ce que vous soyez des fermiers, et les fermiers ne s’attendent pas à ce que vous soyez juifs. Il y a donc un profond désir de connexion. »
En février, c’est exactement ce que le réseau a proposé en temps réel lors de sa conférence inaugurale – un rassemblement à guichets fermés de 160 agriculteurs juifs à Pearlstone. (Trente autres ont été laissés sur une liste d’attente.) Pendant trois jours, les participants ont dégusté des repas végétariens d’origine locale et participé à des sessions sur les traditions agricoles juives, notamment les enseignements juifs sur la justice alimentaire, l’éthique animale et la signification spirituelle des arbres.
Mais plus que toute autre chose, les participants se sont dit avides de contacts avec d’autres agriculteurs juifs.
« Je me sentais incroyablement isolée en tant que Juive dans l’agriculture », abonde Betsy Samuelson, une experte en semences qui dirige une entreprise de conseil en matière de cannabis avec son mari. « J’ai fait appel à mon réseau d’agriculteurs juifs à de nombreuses reprises pour essayer de trouver un lien et une communauté, et on ne m’a pas répondu. Et quand le Jewish Farmer Network a vu le jour, c’est là que je me suis sentie accueillie et acceptée. Et depuis que je suis ici, c’est ce que je ressens. C’est mon peuple. C’est chez moi. »
Pour de nombreux membres du mouvement alimentaire juif, ce n’est pas une surprise. Des fermes juives apparaissent dans tout le pays depuis des années maintenant, beaucoup d’entre elles ayant été créées par d’anciens élèves de programmes agricoles et environnementaux juifs. D’autres Juifs sont venus à l’agriculture en raison de l’inquiétude croissante que suscite le changement climatique ou du militantisme autour des questions alimentaires. Et certains recherchent simplement un mode de vie plus pacifique que ce qui est proposé en ville.
Mais l’agriculture, de par sa nature même, peut être une activité solitaire. Et avec une nouvelle génération de fermiers juifs qui s’installent sur des terres, motivés en partie par les mêmes facteurs qui inspirent un nombre croissant de jeunes Américains à adopter plus largement un mode de vie autrefois abandonné par leurs ancêtres, certains se découvrent un appétit pour quelque chose qu’on ne trouve pas facilement dans la plupart des poches de l’Amérique rurale : d’autres Juifs.
« C’est à la fois incroyable et, dans un certain sens, il était temps », se réjouit Shamu Sadeh, le co-fondateur et ancien directeur d’Adamah, un programme de bourse de trois mois combinant agriculture biologique et études juives.
Le programme de la conférence aurait semblé familier à n’importe quel ancien élève d’Adamah : trois jours de séances de yoga, une prière ardente et des ateliers sur l’éthique agricole juive. Le samedi soir, l’ensemble du programme était consacré à une discussion approfondie sur la shemitah, l’année sabbatique juive, au cours de laquelle les champs sont censés être mis en jachère, les dettes sont effacées et les terres privées sont ouvertes à tous.
« Nous voulons aider les agriculteurs à comprendre que le judaïsme a quelque chose à leur apporter », explique M. Mink, aujourd’hui directeur exécutif du réseau. « Nous avons toute cette sagesse qui peut nous aider à trouver comment construire un système alimentaire plus juste et plus régénérateur ».
L’un de ces agriculteurs est Yogev Von Kundra, un cultivateur de Virginie qui a récemment acheté des terres pour sa propre exploitation à Damas, une petite ville juste au nord de la frontière du Tennessee. Il a grandi sans presque aucune éducation juive, célébrant la fête de Pessah chez l’un des collègues de travail de son père et guère plus.
Mais après des années d’encouragement de la part d’un ami, il est parti en Israël en 2019 dans le cadre du programme Birthright et cela a changé sa vie. Il a pris le nom de Yogev (il s’appelait Jason à la naissance) en signe de son identification juive croissante et a commencé à organiser des repas de Shabbat.
« C’était une expérience spirituelle », commente-t-il. « C’était comme si c’était presque au-delà du temps. J’ai eu l’impression de ne plus être l’individu que je pensais être. »
Comme beaucoup de jeunes attirés par l’agriculture, il est issu du mouvement pour la justice alimentaire. Au fur et à mesure que ses liens avec les Juifs se sont renforcés, il a été étonné de découvrir à quel point les enseignements agricoles juifs, qui mettent l’accent sur la responsabilité sociale et la préservation de l’environnement, se recoupent avec le travail qu’il faisait déjà.
« J’ai eu l’impression d’avoir toujours fait de l’agriculture juive, mais je ne le savais pas parce que j’avais une vision étroite du judaïsme quand j’étais enfant, avec laquelle je n’avais aucun lien », indique Yogev Von Kundra.
Pour Margaret Hathaway, la découverte du judaïsme et de l’agriculture sont allées de pair – et elle est assez certaine qu’elle ne se serait pas tourné vers le second sans le premier.
« Le judaïsme urbain ne me disait rien », explique-t-elle. « Si j’étais restée à New York, je ne suis pas sûre que je me serais convertie. »
Margaret Hathaway a rencontré son mari, Karl Schatz, lorsqu’ils vivaient à New York. En 2005, ils ont acheté un terrain dans le Maine, près de l’endroit où son époux a grandi. Aujourd’hui, ils dirigent Ten Apple Farm, une entreprise d’agro-tourisme qui propose des séjours à la ferme et des randonnées avec des chèvres – des promenades de deux heures accompagnées par des chèvres dans la forêt qui culminent avec la possibilité pour les visiteurs de tester leurs compétences en matière de traite.
Le couple ne sont pas des habitués de la synagogue et leur ferme n’a rien d’ouvertement juif. Mais ils taillent leurs pommiers le jour de Tou Bichvat, la fête qui marque la fin de l’hiver. Plusieurs semaines plus tard, lors de la fête de Pessah, ils récoltent du raifort qu’ils cultivent pour leur seder.
« En tant que parent, je constate que nos enfants n’ont pas vraiment de copains qui sont des agriculteurs juifs dans le Maine », indique Margaret Hathaway. « Mais en arrivant ici, ils sont entourés de [Juifs] qui ont pris la décision [de cultiver]. Cela leur donne un sentiment de communauté ».
La création de communautés juives autour de l’alimentation et de l’agriculture est un principe central du mouvement alimentaire juif, qui a favorisé le développement de fermes éducatives juives à but non lucratif dans tout le pays au cours de la dernière décennie.
Nombre d’entre elles sont dirigées par des anciens élèves de programmes comme Adamah, qui a diplômé environ 450 personnes en 17 ans d’histoire. Mais d’autres, comme celle lancée par Micah Chetrit en 2018 sur le terrain d’une synagogue à Tucson, en Arizona, ne le sont pas.
Descendant de Juifs qui cultivaient des terres dans un petit village du Maroc, Micah Chetrit espère faire découvrir aux Juifs locaux les anciennes pratiques agricoles juives – en particulier celles liées à l’agriculture dans le désert. La ferme est appelée The Midbar Project, qui signifie désert en hébreu.
Il a ouvert la voie l’année dernière et organisé le premier événement agricole en mai – une célébration de la Mimouna, la fête marocaine qui a lieu à la fin de Pessah.
« Comme je viens du désert, je me suis senti très concerné, mais je n’ai jamais pu dire pourquoi », confie Micah Chetrit. « Et comme j’ai appris de plus en plus sur l’histoire de ma famille qui travaillait dans le désert, je peux nommer ces sentiments. C’est logique. Cela semble inhérent. Les liens commencent à se resserrer ».
Peu d’agriculteurs juifs feraient de telles affirmations. Mais beaucoup de membres du mouvement alimentaire juif diraient que même ceux qui ne donnent pas de nom hébreu à leurs fermes ou qui ne suivent pas le calendrier juif pour leurs plantations pratiquent l’agriculture juive s’ils cultivent d’une manière qui respecte la terre et les gens qui la travaillent.
« Ils vivent les valeurs juives qu’ils ont reçues de leurs grands-parents », explique David Fried, qui dirige Elmore Roots, une pépinière d’arbres fruitiers et de baies près de Montpelier, dans le Vermont. « Ils prennent l’amour, comme leurs grands parents les ont aimés, et le déversent dans la terre. Ils ne savent pas nécessairement que c’est un truc juif, mais ils utilisent toutes les valeurs juives qu’ils ont. »