Les “réfugiés” d’Amona ont-ils trouvé la recette du succès post-évacuation ?
Malgré 7 mois passés dans un dortoir bondé d’Ofra, les 42 familles évacuées de l’avant-poste devraient mieux s’en sortir que celles des autres implantations démantelées
OFRA, Cisjordanie – Elad Ziv n’a pas grand chose à montrer des sept mois que sa famille a passés dans un dortoir de l’implantation d’Ofra.
Mais, coincé entre deux lits superposés dans une petite chambre de trois mètres sur quatre, doublée d’un espace qui sert de bureau et de cagibi, Ziv parle fièrement des sacrifices faits par sa famille et les 41 autres qui ont été évacuées de l’avant-poste illégal d’Amona en février, quand la Haute cour de Justice a jugé qu’il avait été construit sur des terrains palestiniens privés.
« Je ne regrette pas d’avoir vécu à Amona. C’était un honneur », a dit Ziv, 47 ans, père de sept enfants. « Mes enfants ont grandi dans la boue et les ronces, pas entourés de plantes en pots. »
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Ziv, qui porte une kippa recouvrant toute sa tête, a raconté comment les habitants de l’avant-poste évacué ont servi, « à juste titre », « en première ligne » depuis la signature des accords d’Oslo dans les années 1990, qui, explique-t-il, ont menacé le futur du contrôle israélien de la terre biblique d’Israël à l’est de la Ligne verte.

Mais maintenant, « nous sommes devenus des réfugiés dans notre propre pays », a déploré Ziv, en parlant des 42 familles d’Amona. « Ma fille de 17 ans partage une chambre avec son petit frère de cinq ans et ses quatre autres frères et sœurs. Ils n’ont pas d’intimité, ce n’est pas sain. »
Il juge que leurs conditions de vie sont une « honte ».
« Vous essayez de faire du café, mais vous ne pouvez tout simplement pas », a dit Ziv, en montrant du doigt un évier placé dans le coin de la pièce, qui déborde de tasses et de bols.
La majorité des 42 familles sont arrivées dans le dortoir du séminaire d’Ofra le 1er février, quand Amona a été évacué. Ils habitent dans les chambres qui sont normalement destinées aux groupes de jeunes et aux classes qui visitent l’installation pendant le week-end. Leur séjour est financé par le conseil régional du Binyamin.
Les couloirs du bâtiment de deux étages servent d’espace de stockage, puisque les chambres sont envahies par les lits superposés. Mais les enfants utilisent les quelques espaces des couloirs qui ne sont pas occupés par des cartons, notamment les escaliers, pour jouer.
Les 42 familles partagent une cuisine et une salle-à-manger communes, où les résidents sont constamment les uns sur les autres, explique Ziv, et sans machine à laver dans l’immeuble, les vêtements sont envoyés toutes les semaines à une laverie automatique située de l’autre côté de l’implantation.

Les triomphes d’Amona
Mais, si le destin des anciens habitants d’Amona semble jusque là similaire à celui des Israéliens qui ont été évacués d’implantations comme Neve Dekalim, dans la bande de Gaza, Yamit, dans la péninsule du Sinaï, et Homesh, en Cisjordanie, Avichai Boaron, le représentant de l’avant-poste, souligne deux différences majeures qui distinguent Amona des autres implantations évacuées, largement oubliées.
La première est la nouvelle implantation d’Amichai, qui est en cours de construction pour les 42 familles à une trentaine de kilomètres au nord d’Ofra.
La première implantation israélienne approuvée depuis 25 ans a été promise par le Premier ministre Benjamin Netanyahu dans les semaines qui ont précédé l’évacuation, quand la démolition est devenue inévitable, malgré les efforts de sa coalition de droite.
Le gouvernement avait notamment fait adopter la Loi dite de régulation, qui est, pour Boaron, la deuxième réussite de la « lutte publique » menée par les évacués d’Amona. Votée par la Knesset en mars, la législation permet à Israël d’exproprier des terrains palestiniens privés où ont été construits des avant-postes, à condition que la construction se soit faite « de bonne foi » ou avec le soutien du gouvernement.

Et pourtant, ces deux triomphes ont leurs pièges.
La construction d’Amichai est entravée d’obstacles, et des conflits budgétaires entre ministères ont à un moment gelé les travaux pendant un mois.
Et alors qu’elle devait initialement empêcher le démantèlement d’Amona, la Haute cour de Justice a jugé que la Loi de régulation ne pourrait pas sauver l’avant-poste de manière rétroactive. De plus, il semble de plus en plus probable qu’elle soit même annulée par la Haute cour, après la pétition de propriétaires palestiniens. Avichai Mandelblit, le procureur général, a refusé de défendre la loi, jugeant qu’elle contrevenait au droit national et international.
Le gouvernement a cependant pu résoudre le conflit budgétaire qui avait entraîné le gel de la construction d’Amichai, en allouant 55 millions de shekels à la reprise des travaux la semaine dernière. Et même si Boaron reconnaît que la Loi de régulation pourrait « mourir comme un enfant », la législation qui légaliserait rétroactivement quelque 4 000 logements en Cisjordanie a établi un précédent pour un gouvernement, qui devra finalement faire face à une décision sur les avant-postes, explique Ziv : les réguler ou simplement les annexer.
Dans tous les cas, ce sera une victoire pour les évacués, qui ne semblent pas anticiper un quelconque accord de type territoire contre la paix avec les Palestiniens dans le futur, proche ou lointain.

Boaron explique que c’est la « lutte publique » des habitants d’Amona qui a permis d’aboutir à ces deux réussites substantielles, qui bénéficieront aux Israéliens de Cisjordanie pour les prochaines années. « Amona s’est sacrifié pour le bien-être de ceux qui viendront après nous, et en agissant ainsi, nous avons déclenché un combat plus important que tous les autres », a-t-il dit, faisant référence aux « campagnes » moins efficaces des habitants du Gush Katif et de Migron avant leurs évacuations en 2005 et 2012. Ces campagnes ont depuis été oubliées, et n’ont apporté aucune nouvelle implantation, ni aucune loi favorable aux implantations pour adoucir l’amertume de l’évacuation.
« Nous montrons que, si vous effacez une communauté, nous la remplacerons par dix de plus », a dit Ziv en parlant des efforts des anciens habitants d’Amona. « Grâce à nous, il y a la Loi de régulation et une nouvelle commune construite en Judée Samarie. C’est pour cela que nous nous battons. »
Passage de témoin
Ayant déjà enduré une évacuation ordonnée par le gouvernement, les anciens habitants d’Amona se trouvent dans une position unique pour conseiller les 15 familles de l’avant-poste de Netiv Haavot, qui doit être démoli dans moins de sept mois.
Netiv Haavot a été fondé en 2001, comme un quartier éloigné de l’implantation d’Elazar, au sud-ouest de Bethléem. En septembre 2016, la Haute cour a estimé que 15 maisons de ce quartier avaient été construites sur des terrains palestiniens privés, et a ordonné leur démolition avant le 8 mars 2018.

Les habitants ont lancé une campagne similaire à celle des évacués d’Amona, en se tournant vers les responsables publics pour tenter de conclure un accord qui permettrait d’éviter la mise en œuvre du jugement.
Même s’ils ont fait appel à la Haute cour pour tenter d’empêcher la destruction de six des maisons, qui ne reposent qu’à peine sur des terrains palestiniens privés, le ministre de la Défense Avigdor Liberman a dit le mois dernier à des journalistes que l’évacuation semblait inévitable.
Les évacués d’Amona ont néanmoins transmis un message clair aux habitants de Netiv Haavot : n’arrêtez pas le combat.
« Ils doivent se battre jusqu’au bout. Que peuvent-ils faire d’autre ? », a demandé Ziv. Il a balayé l’idée que ces campagnes empêchent les habitants de passer doucement à une vie après l’évacuation, étant donné les faibles perspectives de succès.
« Plus les gens viennent et disent qu’ils refusent de jouer à ce jeu, plus nous pourrons empêcher la poursuite de telles calamités, a ajouté Ziv. Il est important de se rappeler que la population est largement avec nous. »
Cela ne veut pas dire que les évacués d’Amona n’ont pas noté ceux qui leur ont mis des bâtons dans les roues ces dernières années.
En haut de cette liste, on retrouve la Haute cour de Justice et les ONG de gauche « financées par l’Union européenne » qui ont mené l’évacuation d’un terrain qui, selon Ziv, n’a jamais connu le moindre occupant palestinien. « Et même s’ils y étaient, cela ne veut pas dire que c’était à eux », a-t-il précisé.
« Nous avons un système de justice qui préfère les étrangers, les terroristes et les infiltrés aux citoyens d’Israël », a-t-il affirmé.

Viennent ensuite les politiciens : de Netanyahu, qui « n’a jamais parlé franchement » avec eux, au ministre des Finances Moshe Kahlon, que Ziv a décrit comme le « gardien de la gauche », en passant par les députés de l’opposition comme Yair Lapid, le président de Yesh Atid, qui ont agi contre eux « par méchanceté ».
Les dirigeants du Conseil de Yesha, représentant les Israéliens de Cisjordanie, sont aussi sur la liste. Ziv affirme que l’organisation a fortement fait pression sur les habitants d’Amona pour qu’ils baissent les bras et acceptent des compromis moins favorables proposés par le gouvernement en échange d’une évacuation pacifique.
« Si Zambish avait été avec nous, les choses auraient été différentes », a dit Ziv, en faisant référence par son surnom au membre le plus influent du mouvement des implantations, Zeev Hever.

Ne prendre personne au mot
Ziv comme Boaron ont été clairs : leur combat n’est pas terminé. « Nous demandons que Netanyahu et son gouvernement respectent leurs engagements en nous construisant une nouvelle commune, mais nous avons appris à ne pas accorder beaucoup de valeur à leurs paroles », a dit Ziv.

Le 9 août, pendant un rassemblement de soutien au Premier ministre, au cœur de plusieurs enquêtes de corruption, Netanyahu a mis un point d’honneur à parler des anciens habitants de l’avant-poste illégal, dont l’évacuation était impossible à empêcher.
S’en prenant en même temps à Avi Gabbay, le président du Parti travailliste, qui un mois avant avait déclaré que les besoins des Israéliens de la périphérie étaient plus importants que ceux des habitants des avant-postes illégaux, Netanyahu s’est vanté : « nous avons Dimona, et nous avons Amona », en référence à la diversité de ses électeurs.
« J’étais dans la voiture, et j’ai cru rêver », a dit Boaron.
Plusieurs jours après ce discours, il a écrit sur Twitter : « Bibi. Nous avons Dimona. Nous n’avons pas Amona. Et si tu n’en prends pas la responsabilité, nous n’aurons pas non plus Amichai. »
Là se trouve peut-être la différence entre les 42 familles d’Amona et les autres évacués : même si avoir un gouvernement pro-implantation a sans aucun doute été fondamental, la pression incessante qu’elles ont placée sur les responsables publics pour qu’ils dédommagent l’évacuation a obligé les députés à répondre par plus qu’une simple petite phrase : par des faits sur le terrain.
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