Les relations germano-turques plus tendues que jamais
Le président Erdogan a notamment évoqué le "sang corrompu" d'élus allemands d'origine turque après la reconnaissance du génocide arménien
La brouille germano-turque autour de la reconnaissance du génocide arménien s’est encore exacerbée jeudi, des responsables allemands s’emportant contre le chef de l’Etat turc et ses propos sur le sang « corrompu » d’élus allemands d’origine turque.
Et selon le quotidien turc Hurriyet, un groupe d’avocats turcs se présentant comme l’Association du Combat pour la Justice a déposé une plainte visant à faire inculper les onze élus allemands aux racines turques pour « insulte à l’identité turque et à l’Etat turc ».
Le président du Bundestag allemand, Norbert Lammert, a vivement critiqué jeudi en séance le président Recep Tayyip Erdogan qui a accusé ces derniers jours ces députés de soutenir le terrorisme et proposé de tester leur sang.
« Qu’un président démocratiquement élu puisse, au XXIe siècle, associer ses critiques à l’encontre d’élus démocratiquement élus du Bundestag allemand avec des doutes sur leurs origines turques, décrive leur sang comme corrompu, je n’aurais pas cru ça possible », a déclaré Norbert Lammert devant la chambre basse du Parlement qui revenait sur le vote d’une résolution le 2 juin reconnaissant le génocide arménien.
« La leçon qu’ils méritent »
« Le soupçon (exprimé par M. Erdogan) que des membres de ce Parlement puissent être le porte-voix de terroristes, je le conteste formellement », a-t-il ajouté, alors que ces élus ont aussi reçu des menaces de mort.
M. Erdogan a d’abord estimé le week-end dernier qu’il fallait « analyser dans un laboratoire le sang des députés allemands d’origine turque » accusés d’être « les bras prolongés des terroristes », en allusion aux rebelles kurdes.
Mercredi soir, il a évoqué cette fois leur « sang corrompu » et la nécessité de leur donner « la leçon qu’ils méritent » pour avoir accusé « leur propre pays de génocide ».
« Dans notre culture, dire que quelqu’un a un sang corrompu, c’est une référence à son caractère. Cela désigne quelqu’un qui fait du mal à son propre peuple », a expliqué M. Erdogan, avant de s’envoler pour les Etats-Unis où il doit assister aux obsèques de Mohamed Ali.
Ces turbulences compliquent des relations déjà tendues avec Ankara, notamment sur l’application d’un accord controversé entre l’Union européenne et la Turquie, porté par Berlin, qui a considérablement réduit l’afflux de migrants en Europe.
Conséquences
De son côté, le président du Parlement européen, l’Allemand Martin Schulz, a souligné dans une lettre à M. Erdogan que ses attaques pouvaient « endommager durablement les relations » de la Turquie avec ses partenaires.
L’un des députés allemands concerné, le Vert Cem Özdemir a pour sa part jugé que le plus grave n’était pas le traitement qui lui était réservé mais la répression des élus turcs dans leur propre pays.
« Si on met de côté les menaces de mort et les insultes, nous autres parlementaires allemands ne sommes pas incarcérés et on ne lève pas notre immunité pour avoir tout simplement exprimé ce que nous pensions, contrairement à nos confrères en Turquie », a-t-il dit dans l’hebdomadaire arménien en Turquie, Agos.
En début de semaine, le porte-parole de la chancelière Angela Merkel, Steffen Seibert, avait déjà jugé « incompréhensibles » les propos de M. Erdogan.
« Le Bundestag a pris une décision souveraine qu’il convient de respecter », a affirmé M. Seibert, en rappelant aussi que Mme Merkel, lors d’une consultation préalable au sein de son groupe parlementaire CDU, avait voté en faveur de la résolution sur le génocide arménien.
Nombre d’historiens et plus de vingt pays, dont la France, l’Italie et la Russie, ont reconnu qu’il y avait eu un génocide des Arméniens. Mais la Turquie affirme qu’il s’agissait d’une guerre civile, doublée d’une famine, dans laquelle 300 000 à 500 000 Arméniens et autant de Turcs ont trouvé la mort.