Les sites web traquent le discours de la haine
Les entreprises combattent l’antisémitisme en ligne après la décision contre Twitter de 2013 qui a fait jurisprudence en France
Bruxelles (JTA) – Juste un an après qu’une cour française ait contraint Twitter de retirer certains contenus antisémites, des experts expliquent que la décision a eu un triple effet, conduisant d’autres entreprises à agir plus agressivement contre les discours de haine afin d’éviter des poursuites.
La décision de 2013 rendue par la Cour d’Appel de Paris a conclu un procès lancé l’année précédente par l’Union des étudiants juifs de France sur le hashtag #UnBonJuif qui était utilisé pour regrouper des milliers de commentaires antisémites qui violaient la loi française contre le discours de la haine.
Depuis lors, YouTube a interdit de manière permanente les vidéos postées par Dieudonné, humoriste controversé français condamné à dix reprises pour incitation à la haine raciale contre les Juifs.
En février, Facebook a retiré la page du révisionniste Alain Soral pour avoir « publié à plusieurs reprises des éléments qui ne respectent pas les règles de Facebook », selon l’entreprise. La page de Soral avait entraîné de nombreuses plaintes l’année précédente mais a seulement été effacée cette année.
« Les grandes entreprises ne veulent pas de procès, » explique Konstantinos Komaitis, un ancien universitaire et actuel conseiller politique à Société Internet, une organisation internationale qui encourage les gouvernements à assurer un accès et une utilisation durable d’Internet.
« Alors après la décision en France, nous observons la tendance des fournisseurs de services sur Internet comme Google, YouTube, Facebook d’essayer d’adapter leurs règles de service, leur propre jurisprudence interne, pour s’assurer qu’elles respectent les lois nationales ».
La changement vient à la suite d’une série de décisions fortes rendues par des cours européennes contre des individus qui ont utilisé des plate-formes en ligne pour inciter au racisme et à la violence.
Lundi, une cour britannique a condamné un délinquant à un mois de prison pour avoir publié sur Twitter « Hitler avait raison » à un avocat juif.
La semaine dernière, une cour à Genève a condamné un homme à cinq mois de prison pour avoir publié des textes niant la Shoah.
En avril, une cour française a condamné deux hommes à cinq mois de prison pour avoir publié une vidéo antisémite.
« Ces condamnations plus strictes doivent certainement à la prise de conscience par les juges des dangers posés par la haine en ligne. Cela se comprend également à la lumière du djihadisme sur le net et de l’influence que cela a sur des gens comme Mohammed Merah », a déclaré Christophe Goossens, conseiller juridique de la Ligue belge contre l’antisémitisme, en faisant référence au meurtre de quatre Juifs, dont trois enfants, à l’école juive de Toulouse en 2012.
Dans l’affaire de Twitter, l’entreprise a fait valoir qu’étant une entreprise américaine, elle était protégée par le premier amendement de la constitution.
Mais la cour a rejeté l’argument et obligé Twitter à retirer certains commentaires et à identifier certains des auteurs. La justice a également exigé que l’entreprise mette en place un système pour repérer et ensuite retirer des commentaires qui violent les lois contre les discours de la haine.
Twitter a répondu en remaniant ses règles de service pour faciliter le respect de la loi européenne, a expliqué Patricias Cartes Andres, chef des relations publiques de Twitter, lors d’une conférence lundi à Bruxelles organisée par le Réseau international contre la haine virtuelle, ou RICHV.
« Les règles ont été changées de telle sorte que cela nous permette de supprimer plus de contenus lorsque des groupes sont ciblés », a expliqué Cartes Andres au JTA. Avant le procès, a-t-elle ajouté, « si vous ne visiez personne en particulier, vous pouviez vous en tirer ».
Le changement est entré en vigueur il y a cinq mois, mais Twitter « voulait être très prudent à ce sujet parce qu’il y aura d’autres communautés, comme la communauté de la liberté d’expression, qui seront contrariées à ce sujet car elles le perçoivent comme de la censure », explique Cartes Andres.
Suzette Brokhorst, la secrétaire de RICHV, a déclaré que les règles ajustées de Twitter font partie d’un « changement d’attitude » des fournisseurs de service en ligne depuis 2013.
« Avant le procès, Twitter a fait un doigt d’honneur à l’Europe », explique Brokhorst. « Mais ils ont compris que s’ils voulaient travailler en Europe, ils devaient continuer à respecter les lois européennes. D’autres entreprises en viennent aux mêmes conclusions ».
Selon Komaitis, l’affaire Twitter reposait sur une jurisprudence de 2000 qui avait forcé le moteur de recherche de Yahoo! à interdire la vente d’objets nazis. Pourtant, la décision de 2013 « est allée beaucoup plus loin », explique-t-il, « en montrant la pression accrue pour que les fournisseurs respectent les lois nationales, dévoilent l’identité des délinquants et mette en place de mécanismes de repérage ».
Pourtant, la conférence RICHV a montré les énormes divergences entre les pratiques voulues par les activistes européens antiracisme et celles utilisées aujourd’hui par les entreprises technologiques.
Une zone de tensions se constitue autour du négationisme de la Shoah, qui est illégal dans de nombreux pays européens mais que plusieurs compagnies américaines, considérant que la protection de la liberté d’expression prévaut aux Etats-Unis, refusent de censurer.
Delphine Reyre, directrice de la politique de Facebook, a déclaré dans une conférence que l’entreprise considère que les utilisateurs devraient pouvoir débattre du sujet.
« Le discours de réponse est un outil puissant que nous perdons avec la censure », explique-t-elle.
Cartes Andres a cité l’exemple du hashtag #PutosJudios, « putes juives » en espagnol, qui a attiré en mai des milliers de commentaires après que l’équipe de basketball ait perdu contre sa rivale israélienne. Plus de 90 % des commentaires étaient des « déclarations positives qui attaquaient ceux qui employaient l’expression offensante », explique-t-elle.
Certains des commentaires font l’objet d’une enquête de police en Espagne lancée après la dépôt de plainte par 11 groupes juifs.
Pourtant, Mark Gardner du Groupe de Sécurité Communautaire britannique n’était pas d’accord.
« Il n’y a pas de discours de réponse au négationisme de l’Holocauste, a expliqué Gardner à la conférence. Je ne vais pas envoyer des survivants de l’Holocauste débattre de l’existence d’Auschwitz en ligne. C’est ridicule ».