Les suspects de la yeshiva, éléments radicaux d’une implantation plus modérée
Alors que cinq lycéens ont été arrêtés, soupçonnés d'être impliqués dans le meurtre d'une Palestinienne, on estime à Rehelim que la patience avec Pri Haaretz pourrait s'épuiser
Il y a presque trois mois, un groupe d’adolescents aurait quitté l’implantation de Rehelim dans le nord de la Cisjordanie, un vendredi tard dans la soirée, et se serait dirigé vers le carrefour de Tapuah, à proximité. Là-bas, soupçonnent les services de sécurité du Shin Bet, l’un d’entre eux a jeté une grosse pierre qui a fracassé la vitre du pare-brise d’un véhicule en circulation, touchant Aisha Rabi à la tête et tuant cette mère de huit enfants âgée de 47 ans.
Les jeunes lycéens fréquentaient la yeshiva Pri Haaretz, fondée il y a plus de trois ans à Rehelim.
Mais les habitants de l’implantation, ainsi que ceux qui connaissent bien la communauté, affirment que Rehelim n’a que peu de choses en commun avec cet internat qui s’est installé en son sein.
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« Nous les avons autorisés à installer ici la yeshiva mais on n’est pas à Yitzhar », s’exclame Elyashiv Mark, 31 ans, se référant à une implantation voisine considérée par l’establishment sécuritaire israélien comme un véritable bastion de l’extrémisme.
« L’idéologie est encore très forte chez nous et nous pensons qu’il ne doit pas y avoir de compromis concernant notre établissement sur la terre d’Israël mais nous sommes aussi plus intégrés », a déclaré Mark lundi dans un entretien téléphonique accordé au Times of Israel.
« Personne ne tente ici de justifier la violence », a-t-il poursuivi.
Shabtay Bendet, l’un des fondateurs de Rehelim, explique que la communauté a été établie en 1991 de manière similaire aux autres avant-postes.
« Nous avons créé des choses sur le terrain sans approbation de la part du gouvernement et nous avons seulement tenter d’obtenir des autorisations a posteriori », dit Bendet, qui a quitté la ville il y a approximativement une décennie et qui travaille maintenant comme directeur de l’équipe « d’observation des implantations » de La Paix maintenant, une ONG de gauche.
Commentant les arrestations de cinq lycéens inscrits à Pri Haaretz, la semaine dernière, Bendet ajoute que, sans aucun doute, les jeunes garçons « ont été davantage influencés par la yeshiva que par l’implantation ».
Mark explique que lui et ses voisins ont été « choqués » lorsqu’ils ont entendu les premières accusations dans l’affaire du meurtre de Rabi.
« Mais sans tirer des conclusions concernant leur légitimité, nous savions que les suspects seraient originaires de la yeshiva et qu’il ne s’agissait pas de nos enfants à nous », affirme-t-il.
Le président du conseil d’une autre communauté du nord de la Cisjordanie tire la même conclusion que les résidents de Rehelim. « Les jeunes peuvent ressembler ici aux ‘jeunes des collines‘ mais ils n’agissent pas de la même façon », dit-il en référence aux jeunes activistes d’extrême-droite arborant des papillotes non taillées et de larges kippas et connus pour commettre parfois des attaques contre les Palestiniens et même contre l’armée israélienne, en plus d’établir régulièrement des avant-postes au-delà de la Ligne verte.
Pri Haaretz a ouvert ses portes à l’automne 2016 et accueille environ 70 élèves. L’internat a été fondé par le rabbin Yehuda Libman, ancien résident d’Yitzhar et étudiant à la yeshiva radicale de l’implantation, Od Yosef Chai.
Libman avait cherché à mettre en place un programme adapté pour les adolescents « moins intéressés à l’idée d’apprendre la Torah 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 », explique sous couvert d’anonymat un membre de l’assemblée locale de Rehelim.
Un élève prenant la parole dans la vidéo de recrutement de l’école affirme que la yeshiva offre « un mélange d’amour pour la terre d’Israël, une connexion avec les sages mais aussi un lien avec le Beit Midrash, avec des danses et des prières », en utilisant le mot en hébreu désignant un lieu d’apprentissage.
Les responsables de Pri Haaretz ont refusé les demandes de commentaires du Times of Israel à l’occasion de cet article et les rabbins ont donné pour instruction aux élèves de ne pas s’entretenir avec les journalistes.
« Tandis que, bien sûr, Libman a créé un programme sérieux et intense, il a aussi attiré des jeunes marginaux qui paraissaient ne pas être capables de s’adapter à des yeshivas plus rigoureuses », explique le membre de l’Assemblée.
Il indique que les résidents avaient reconnu la possibilité que des jeunes au profil perturbé s’installent à Rehelim lorsque Libman avait demandé à pouvoir y établir son internat.
« Un certain nombre de familles étaient fortement opposées à l’idée d’une yeshiva ici », a continué le membre de l’assemblée. « Mais en fin de compte, une majorité de personnes a estimé que Libman pourrait réellement venir en aide à ces jeunes et sa requête a bénéficié d’un vote favorable ».
Les habitants de Rehelim avaient accepté une période d’essai de trois ans et décidé que les dortoirs, ainsi que les bâtiments scolaires, seraient installés aux abords de l’implantation de manière à ne pas trop gêner les locaux.
« Malgré tout, dans l’ensemble, les gens ont fait confiance à Libman », a noté Mark au cours de notre entretien téléphonique.
Le rabbin avait été, dans le passé, une personnalité « éminente » dans le cercle des Jeunes des collines, rappelle Bendet.
Il avait néanmoins lentement perdu sa crédibilité parmi les éléments les plus radicaux de ce mouvement de droite. En 2014, un groupe d’Israéliens issu d’un avant-poste situé aux abords de Yitzhar avait mis à sac une base de la police des frontières voisine, affrontant les soldats qui avaient auparavant détruit des structures illégales qui leur appartenaient.
« Les jeunes ont considéré que Libman avait tenté de servir d’intermédiaire entre eux et les soldats plutôt que de prendre leur parti », explique Bendet.
Peu de temps après l’incident, le rabbin avait quitté Yitzhar et s’était installé dans l’implantation voisine de Migdalim.
En raison de son lien avec Yitzhar, auquel s’ajoute le fait qu’il est également lieutenant-colonel au sein des réservistes israéliens, Libman est encore considéré à Rehelim comme quelqu’un « qui assure la connexion entre deux mondes, l’un qui est radical et l’autre plus diplomatique », résume Bendet.
Toutefois, la confiance placée par les habitants dans le rabbin avait été rapidement mise à l’épreuve. En septembre 2016, le site d’information Walla avait publié une vidéo montrant les lycéens de Pri Haaretz en train d’endommager une oliveraie palestinienne voisine.
« Nous nous inquiétions que ce soit le début de nombreux problèmes mais il ne s’était rien passé depuis », a noté le membre de l’assemblée.
Tandis qu’un responsable de la Défense reconnaît que Pri Haaretz n’a pas fait les gros titres ces dernières années, il estime que cela ne signifie pas que l’établissement est sorti des radars des forces de sécurité.
« Certains rabbins et élèves, là-bas, croient en la ‘Torat Hamelech’, » accuse le responsable, se référant à un livre compilé au sein de la yeshiva Od Yosef Chai de Yitzhar qui suggère que la loi juive permet de tuer des non-Juifs dans certaines circonstances.
Le responsable de la Défense souligne également que le rabbin d’extrême-droite de Yitzhar, Yitzchak Ginsburgh, a été invité à intervenir devant les élèves de Pri Haaretz l’année dernière.
Les critiques blâment les écrits de Ginsburgh – notamment un pamphlet faisant l’éloge de Baruch Goldstein, habitant d’implantation qui avait tué 29 fidèles musulmans à un tombeau de Cisjordanie en 1994 – qui, selon eux, attisent les attaques commises par les extrémistes juifs contre les Palestiniens de Cisjordanie.
« Nous sommes totalement en désaccord avec de telles croyances et un plus grand nombre encore d’entre nous sommes ennuyés de voir que Ginsburgh a pu entrer à Pri Haaretz, » a dit Mark.
Mais Bendet estime que Rehelim et le mouvement pro-implantation au sens plus large n’est pas totalement exempt de responsabilité pour les violences, qui ont connu leur paroxysme avec le meurtre de Rabi, au mois d’octobre.
« Presque personne ne pense que de telles actions sont justes, mais il y a un silence global à leur sujet qui les rend légitimes à un certain degré », explique l’ancien fondateur de Rehelim devenu activiste au sein de l’organisation La Paix maintenant.
« Ce qu’on dit, ce n’est pas : ‘Mais qu’ont donc fait ces jeunes ?’, » dit Bendet. « Mais plutôt : Pourquoi s’en prennent-ils à nous ? »
La députée du Likud Nava Boker, l’une des quelques membres du gouvernement à avoir répondu à l’annonce faite dimanche dernier par le Shin Bet que les cinq élèves de Pri Haaretz qui avaient été arrêtés étaient soupçonnés d’être impliqués dans le meurtre de Rabi, le 12 octobre, partage d’ailleurs ce point de vue.
« Chaque jour, des pierres sont jetées sur des véhicules en Cisjordanie et si vous vous demandez pourquoi vous n’en entendez pas parler, c’est parce que ce sont des Palestiniens qui jettent des pierres à des Juifs », a écrit Boker dans un tweet dans lequel elle a également comparé le Shin Bet au KGB soviétique dans son traitement des suspects.
Les avocats des adolescents affirment que leurs clients ont subi des violences pendant leurs interrogatoires, la semaine dernière. Mardi, les deux suspects appréhendés lors d’une deuxième série d’arrestations dans l’affaire du meurtre de Rabi ont obtenu l’autorisation de rencontrer leurs avocats pour la première fois. Les trois autres, qui avaient été appréhendés le 30 décembre, ont attendu presque une semaine avant de voir les leurs.
La loi israélienne permet aux autorités de reporter la visite d’un avocat auprès d’un suspect dans une affaire de terrorisme pendant un maximum de 21 jours – une décision qui peut être contestée lors d’un appel devant le tribunal.
Alors que les interrogatoires initiaux se terminent, ce qu’il va dorénavant se passer pour les élèves devrait être plus clairement établi dans quelques jours.
A Rehelim, pendant ce temps, les habitants se préparent à discuter du prolongement de trois ans du contrat passé avec Pri Haaretz.
« Bien sûr, le jugement de la cour en ce qui concerne l’implication des jeunes dans ce dossier sera significatif pour décider du maintien, ici, de la yeshiva« , conclut le membre de l’assemblée de Rehelim.
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